Le métier de la Coface est de garantir les entreprises contre le risque de non-paiement par leurs clients. Une entreprise souhaite avoir une assurance sur un client : moyennant une prime, elle s'adresse à nous. Si elle s'engage dans une transaction avec ce client et n'est pas payée, nous la remboursons.
Quand elle agit pour le compte de l'Etat, la Coface garantit les grands contrats à l'exportation de type Airbus, pour lesquels il n'existe pas d'assurance privée. L'Etat perçoit les primes et paye les sinistres. Cette activité est bénéficiaire depuis une dizaine d'années. Dans ce cadre, nous sommes prestataires de services pour l'Etat qui nous paye, et nous a renouvelé sa confiance tous les trois ans depuis notre création en 1948. Cette part de notre activité a cependant fortement décru, elle pèse aujourd'hui 4 % du chiffre d'affaires, contre 50 % à mon arrivée il y a quatorze ans. Ce n'est pas une diminution en valeur absolue, c'est que la part de l'assurance privée s'est considérablement accrue.
Pour son propre compte, la Coface garantit les entreprises dans les 67 pays où elle est implantée. Nos 120 000 clients vendent à 55 millions d'entreprises. Nous suivons donc la situation financière de ces 55 millions d'entreprises, ce qui nous donne une approche micro-économique extrêmement précise de la conjoncture mondiale. A partir des courbes de défaut de paiement, nous pouvons évaluer immédiatement la situation réelle d'un client et, par extrapolation, d'un pays. En macro-économie, on se trompe beaucoup, pas en micro-économie : si 30 000 entreprise thaïlandaises sont en défaut de paiement, on est certain que la situation globale de la Thaïlande va se dégrader. C'est pourquoi le FMI ou l'OCDE nous demandent des informations. Nous sommes contraints d'avoir une vision très précise de chaque client puisque nos erreurs nous sont coûteuses ; si nous nous trompons, nous devons rembourser. Quand les agences de notation se trompent, cela n'a aucune importance pour elles.
L'exercice de la notation est pour autant indispensable. On regarde le Michelin avant d'aller au restaurant, le Parker avant d'acheter du vin, l'Argus pour une voiture. De même, les entreprises qui commercent entre elles ont besoin de connaître les défauts de leurs clients, d'autant qu'avec le paiement à 90 jours, elles font deux fois plus de crédit que les banques.
Il existe trois types de notation. La notation corporate, celle des entreprises, repose sur des éléments statistiques indiscutables et est donc relativement facile. Il est plus difficile de noter les produits structurés, à l'origine de la crise des subprimes, puisqu'on ne sait pas ce qu'il y a dedans. C'est encore plus difficile pour les États : quelle statistique de faillite d'État pourrait-on avoir ? Nous, à la Coface, nous avons une vraie base statistique sur 55 millions d'entreprises. Quand un exportateur hongkongais s'adresse à la Coface de Hongkong pour savoir ce qu'il en est d'une entreprise thaïlandaise, il bénéficie de notre savoir accumulé.
Les agences de notation, elles, ne savent pas ce qu'elles notent. Une entreprise demande à être notée ; on veut se la garder au chaud, on va donc avoir un a priori positif. Trois quatre « clanpins » débarquent, regardent trois mois d'information et discutent avec un responsable. Après quoi, ils notent. C'est comme cela que, trois mois avant sa faillite, Enron était noté AAA par trois agences de notation. Nous, nous savions que les fournisseurs n'étaient pas payés.
Les trois grandes agences de notation anglo-saxonnes ne notent en France que soixante-dix entreprises, quand nous avons des données statistiques sur 55 millions. Elles ne s'intéressent pas au coeur du sujet, la situation des grosses PME.
Standard and Poors est venu nous proposer, il y a une dizaine d'années, de nous noter en insistant sur la grande faveur que cela représentait. Il fallait que je paie la modique somme de 55 000 dollars et, comme ils n'y connaissaient rien, que je rédige moi-même la fiche de notation.
Les agences se trompent régulièrement sur les entreprises. Quant aux produits structurés et notamment les subprimes, on ne sait pas ce qu'il y a dedans. Les banques ont vendu des subprimes à des véhicules financiers qui ont été notés AAA parce que les agences de notation les garantissaient. C'est la City Bank, donc... Et, sur les 5 000 véhicules financiers concernés, 90 % ont fait faillite.
Ainsi, les agences de notation ont un droit de vie ou de mort sur les entreprises, puisqu'elles déterminent leurs possibilités d'accès au crédit, et leur rôle n'est pas moindre au niveau des Etats : mal noté, un Etat ne peut plus émettre d'obligation à un taux raisonnable.
En août dernier, Standard and Poors dégrade les Etats-Unis de AAA à AA, se fondant sur la dette trop élevée. Le secrétaire d'Etat américain aux finances informe l'agence qu'elle a surévalué la dette de 2 000 milliards de dollars. Une paille ! Que répond l'agence ? Corrige-t-elle son appréciation ? Elle dit « Oui, sans doute, mais la situation n'est pas très claire, avec les Républicains au Capitole... »
Autre exemple, celui de la France. En termes de dette publique, de déficit commercial et de déficit budgétaire, la France fait mieux que la Grande-Bretagne, qui n'est pas dégradée. L'appartenance à la zone euro a-t-elle été déterminante ? Dans ce cas, pourquoi ne pas avoir dégradé tous les pays de la zone euro, au lieu de quelques-uns ? L'exemple de la dégradation de la Tunisie au lendemain de sa révolution - beau message pour la jeunesse tunisienne ! -, en l'absence de toute donnée économique, achève de prouver que les agences font de la politique et pas de la finance. Lisez leurs rapports sur les différents pays : cela mérite au mieux 8/20 en première année de Sciences-po.
Alors qu'elles font 40 % de marge sur chaque note, on ne peut attaquer les agences en justice car elles s'abritent derrière le premier amendement de la Constitution américaine qui protège la liberté d'opinion. Elles notent et elles prétendent ne faire qu'émettre des opinions ! Une entreprise dégradée sur de faux critères ne peut demander de dommages-intérêts à l'agence, qui bénéficie donc d'une impunité totale.
C'est ainsi que les agences sont en très grande partie à l'origine de la crise de 2008-2009. Le président français et le commissaire européen en charge du marché intérieur s'en sont émus. Ils ont voulu faire quelque chose, mettre en place une autorisation pour les agences de notation souhaitant exercer en Europe. Qu'a proposé la commission de Bruxelles ? Augmenter les quotas de femmes dans les conseils d'administration, faire tourner les agences de notation, et donner 24 heures aux États avant la publication de la note. Jamais il n'a été question du contrôle des agences. On contrôle tout, le lait, les jouets chinois, les banques, pas les agences. Pourquoi n'y a-t-il pas d'autorité de contrôle, un organisme indépendant, qui sanctionne financièrement les erreurs, prononce l'exclusion ? Mystère. Et c'est pareil aux États-Unis. Il faut croire que les agences ont confié leur lobbying à des gens très intelligents.
Pourquoi ne sommes-nous pas une agence de notation ? Nous avons entrepris des démarches en ce sens, il y a un an et demi, mais notre actionnaire, Natixis, se refuse à être banquier et notateur. Ayant le plus grand respect pour lui, je m'incline. Je reste convaincu de la nécessité d'une agence qui concurrence les trois grandes, et qui ait notre connaissance du métier. Mon actionnaire veut vendre la Coface. Il considère qu'il n'y a pas assez de synergie - le grand mot à la mode ! - entre notre travail et celui de la banque. Mon souhait est qu'il vende à un actionnaire potentiel qui verrait là un chemin pour exercer la tâche de notation.