Merci beaucoup pour votre invitation à venir m'exprimer dans le cadre de votre mission d'information relative aux agences de notation.
Depuis le début de la crise, ces agences ont connu une ascension sur le baromètre de la notoriété. Si les gens connaissent leurs banques, ils ont aussi découvert en quelques mois ces autres acteurs des marchés financiers. Le « triple A » est devenu fin 2011 un sujet de conversation courante.
Cette notoriété s'est encore renforcée avec les diagnostics erronés dressés sur les produits subprimes. Nous avons tous entendu parler de l'excellente notation de Lehman Brothers quelques semaines avant sa faillite.
Toutefois, il serait facile de jeter l'anathème sur ces agences car quelles que soient les critiques souvent légitimes que l'on peut porter sur leurs actions, elles ne sauraient être tenues pour les seules responsables ni même les principales responsables des crises financières successives. Les responsabilités sont partagées. Les décideurs ont accordé une importance excessive aux notations en les plaçant au coeur de leurs décisions économiques et politiques. Les investisseurs ont fait de ces notations un critère ultra dominant dans leurs choix d'investissement. Et les régulateurs bancaires et financiers ont consacré le recours aux notations dans leurs propres réglementations.
Ces agences n'ont fait que combler un vide laissé par les investisseurs, qui ont délaissé l'analyse technique des risques, et par les entreprises, qui ont réduit les fonctions de conformité et de contrôle interne. Dans son rapport de 2009 sur les agences de notation, l'AMF appelle à une « désintoxication de la notation », en encourageant les investisseurs à réaliser eux-mêmes leurs propres analyses, en particulier lorsqu'ils investissent dans des produits structurés. Il est essentiel que chacun, banques et investisseurs institutionnels, remplisse pleinement son rôle en matière d'analyse des risques.
Je vais d'abord vous préciser quel est le rôle de l'AMF avant d'indiquer quels progrès ont été réalisés en ce qui concerne l'encadrement de l'activité des agences de notation.
En application de la loi de sécurité financière du 1er août 2003, l'AMF publie annuellement un rapport sur le rôle des agences de notation, leurs règles déontologiques, la transparence de leurs méthodes et l'impact de leur activité sur les émetteurs et les marchés financiers. En 2011, L'AMF a ainsi publié son septième rapport. L'AMF n'a eu de cesse de plaider pour une réforme ambitieuse de la régulation des agences de notation, et ce bien avant la crise de 2008. Ainsi avions-nous attiré l'attention sur certains aspects préoccupants des transferts de risques réalisés dans le cadre de la titrisation et sur le caractère inapproprié du système de notation des produits de financement structuré. A notre initiative, l'organisation internationale des commissions de valeur (OICV) a engagé des travaux conclusifs sur le rôle des agences de notation dans le cadre de la notation de ces produits, travaux conduits en étroite coordination avec le Forum de la stabilité financière.
La loi de sécurité financière nous a donné toute latitude pour inclure dans nos rapports des développements sur les sujets qui nous paraissent pertinents d'un point de vue économique. A titre d'exemple, notre rapport de 2006 s'est focalisé sur la notation des fonds d'investissement et des sociétés de gestion. En 2010, notre rapport s'est intéressé aux notations souveraines. La notation des crédits aux entreprises a fait l'objet d'une partie dans chacun des sept rapports.
Depuis l'adoption du règlement européen de décembre 2009, les agences sont soumises à une procédure d'enregistrement. Durant l'été 2010, les demandes d'enregistrement ont été transmises au Comité européen des régulateurs de marchés de valeurs mobilières (CESR) et instruites individuellement par les autorités nationales compétentes. L'AMF a été désignée, pour la France, comme autorité compétente pour l'enregistrement et la supervision des agences. Un collège d'autorités compétentes a été mis en place pour permettre un examen conjoint des demandes d'enregistrement. J'insiste sur ce point important à mes yeux : ce n'est pas l'AMF, pour les agences établies en France, qui a décidé seule mais bien un collège de régulateurs européens.
Cette procédure d'enregistrement s'est déroulée en deux phases principales : d'abord, une phase d'examen de l'exhaustivité du dossier, puis une phase d'examen de la conformité du dossier au règlement européen et aux recommandations que le CESR, prédécesseur de l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), avait publiées en juin 2010.
Les filiales nationales des trois principales agences, Standard & Poor's, Fitch Ratings et Moody's, ont été enregistrées par l'AMF pour la France. De même, elle a « certifié » l'agence japonaise JCRA qui n'a pas de présence en Europe.
Depuis le 1er juillet 2011, la supervision des agences relève de la compétence de l'AEMF, dont vous avez auditionné le président, M. Steven Maijoor. Il n'est donc pas utile que je revienne en détail aujourd'hui sur les compétences de l'AEMF.
Dans le cadre de notre mission relative aux abus de marchés, le secrétaire général de l'AMF peut décider d'ouvrir une enquête. Cela a été le cas en 2011, après que Standard & Poor's a indiqué avoir diffusé par erreur, le 10 novembre, à certains de ses abonnés, un message faisant état d'une dégradation de la note de crédit de la France. A ce jour, l'enquête est toujours en cours. Je tiens toutefois à préciser que toutes les questions touchant à l'organisation des agences et à l'application de leur méthodologie sont de l'entière compétence de l'AEMF.
J'en arrive à la question de la réforme de la réglementation applicable aux agences.
Nous connaissons tous les reproches faits aux agences : une situation d'oligopole ; une absence historique de régulation du secteur, portant sur la méthodologie, le mode de financement, le niveau de transparence des agences ; un problème de conflit d'intérêts structurel, les agences étant payées par l'émetteur du titre qu'elles notent ; un effet « pompier pyromane », puisque chaque information négative tend à renforcer la crainte des investisseurs de sorte que chaque dégradation de notation a un impact fort et cumulatif. La dégradation d'une note aggrave la difficulté à rembourser la dette.
Les Etats-Unis ont pris de l'avance dans la mise en place de mesures concernant les agences de notation. Dès 2006, des procédures d'homologation des agences auprès de la Securities Exchange Commission (SEC) ont été mises en place, au titre du régime des « Nationally Recognized Statistical Rating Organisations » (NRSRO). Puis, la loi Dodd-Frank a renforcé les missions et moyens de la SEC dans son rôle de supervision des agences. Mais on a aujourd'hui le sentiment que le Congrès ne souhaite pas aller beaucoup plus loin en matière de règlementation des agences.
L'Europe a rattrapé très vite son retard sur les Etats-Unis. Une série de mesures ont été prises : publicité des méthodes d'évaluation et des documents sur lesquels les agences ont travaillé ; notation des produits complexes avec un symbole clairement distinct de celui utilisé pour la notation de la dette des Etats ; interdiction d'exercer le métier de conseil ; rotation interne des analystes tous les cinq ans.
En novembre, Michel Barnier a présenté de nouvelles pistes de réforme. Le premier principe est celui de la « désintoxication », en particulier par le déréférencement réglementaire. Il faut toiletter les textes européens qui font référence à la notation des agences. Le deuxième principe est la clarification de la responsabilité civile des agences. De nombreux émetteurs privés que je rencontre demandent qu'il soit possible de mettre en cause la responsabilité des agences lorsqu'il y a une erreur sur la notation d'une entreprise ou d'un titre.
Plus concrètement, les principales propositions en discussion parmi les Etats membres et avec le Parlement européen sont :
- l'obligation pour les agences de rendre public leur rapport et de prévenir tout émetteur, y compris les gouvernements, vingt-quatre heures avant la sortie d'une note ;
- un régime harmonisé de responsabilité civile pour faute lourde ;
- l'obligation pour les produits de finance structurée d'être notés par au moins deux agences ;
- l'obligation de publier une note pondérée indiquant la part des différents facteurs ;
- l'interdiction aux acteurs possédant une participation de plus de 5 % d'une agence de se faire noter par elle.
D'autres dispositions restent en discussion, notamment la rotation des agences. Par cette mesure, la Commission européenne souhaiterait ouvrir le jeu et introduire plus de concurrence, ce qui n'est pas du goût de toutes les agences.
L'objectif est de parvenir à une orientation générale lors du conseil ECOFIN de mai. Côté Parlement européen, les discussions se feront a priori en commission ECON le 24 avril avec un vote le 21 mai et un passage en séance plénière en juillet.
Quant au concept de « désintoxication », une réflexion est en cours sur les moyens d'éviter le recours mécanique aux notations et de réduire la dépendance aux agences, en particulier dans la réglementation existante. Mais il faut garder à l'esprit que s'il est possible de mettre en oeuvre un déréférencement des agences dans certaines normes sectorielles, la difficulté réside dans les alternatives envisageables en pratique. Les investisseurs et les banques devraient développer leurs propres capacités d'analyse crédit, mais ils n'en ont pas toujours les moyens. On peut souhaiter à tout le moins que les informations nécessaires à une analyse complète soient mises à leur disposition de la même manière qu'elles le seraient pour une agence. Il y a là un véritable souci de traitement « égal et équitable » dans la transmission d'informations essentielles.
S'agissant de la notation des dettes souveraines, l'enjeu est de réfléchir aux critères de notation, qui doit reposer sur les fondamentaux économiques et non sur les conditions de marché ou sur des analyses géopolitiques générales. Le but n'est pas de codifier les méthodologies des agences, mais que les agences indiquent quelle est leur méthodologie, les modifications qu'elles y apportent, la pondération entre les différents critères et que les Etats en soient informés.
Si la critique envers les agences de notation est légitime, la dénonciation ne suffit pas. Elles sont des thermomètres qui mesurent la fièvre des marchés, mais ce thermomètre a pris aujourd'hui trop de place et sa fonction a été surévaluée. Le député européen Pascal Canfin, qui soutient un encadrement strict des agences, a dit justement « qu'un thermomètre ne porte aucun diagnostic, ne fait aucune recommandation et ce n'est pas le cas des agences de notation ». Le rôle joué par les agences dans les différentes crises est le symptôme d'un système financier malade de son opacité. La réforme des agences de notation doit donc s'inscrire dans le cadre plus global d'une refondation de notre système financier.