Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un fait nouveau que le Président de la République s’exprime lui-même sur le lycée. Et c’est un fait heureux, tant il est vrai que les 2, 2 millions de lycéens représentent une part importante de l’avenir de la France.
La réforme dont le Président de la République a tracé les grandes lignes est ce qui reste du projet de lycée modulaire imaginé par votre prédécesseur ; c’est dire, entre nous, qu’il ne reste pas grand-chose… Je souhaite qu’à travers la concertation dont vous êtes chargé, monsieur le ministre, vous puissiez donner à cette réforme la substance qui lui manque.
Je m’étonne tout d’abord que le Président de la République n’ait pas évoqué, dans son discours, les besoins du pays, sinon au détour d’une phrase, et comme par raccroc, à propos de la réforme de la section du bac technologique « sciences et techniques industrielles », ou STI.
Il y aurait pourtant beaucoup à dire sur la baisse constante du nombre d’étudiants inscrits dans les filières scientifiques de nos universités. Dans la compétition mondiale, où les pays asiatiques forment toujours plus d’ingénieurs, de techniciens, de chercheurs, c’est une grave lacune ! Le handicap qui en résulte pour le pays, du fait de la mauvaise orientation des élèves et des étudiants vers des filières sans débouchés, n’en sera pas corrigé.
Le Président de la République vous a chargé, monsieur le ministre, de poursuivre la consultation ; je souhaite que vous le fassiez avec le souci républicain de l’intérêt général, avec la volonté de former les citoyens et les producteurs ; j’entends par là les ouvriers qualifiés, les techniciens, les ingénieurs, les chercheurs dont a besoin un pays moderne, pleinement engagé dans la compétition mondiale.
Lorsque, en 1984, j’avais défini, dans une perspective de démocratisation, un objectif de 80 % de jeunes atteignant le niveau du bac – et non, madame Morin-Desailly, obtenant le bac –, car nous en étions à l’époque à 40 %, lorsque j’avais revalorisé l’enseignement professionnel, en créant les bacs pro, et régionalisé la construction ainsi que l’équipement des lycées, je m’étais tourné vers une société d’études, filiale de la Caisse des dépôts et consignations, qui a produit une étude prévisionnelle de ce que pourrait être la structure de la population active de la France en l’an 2000.
Quand on veut parler du lycée, c’est ainsi qu’il faut réfléchir : en partant des intérêts du pays.
Je relève une seconde contradiction dans le discours du Président de la République : il déclare vouloir préserver l’excellence, le niveau d’exigence, mais, en même temps, s’étonne, voire s’indigne, du nombre de redoublements au lycée, du fait que 35 000 lycéens, à la fin de la terminale, n’ont pas le bac et, enfin, que 80 000 bacheliers n’obtiennent pas un diplôme d’enseignement supérieur.
Mais il n’aura échappé à personne que, à le suivre dans son raisonnement, il faudrait donner le bac à tout le monde et un diplôme d’enseignement supérieur à tous les bacheliers ! C’est le principe même de l’élitisme républicain que le Président de la République met en cause, un principe qui vise à la fois à la démocratisation des études et au maintien de l’exigence intellectuelle et de la qualité de l’enseignement.
Rappelons le mot d’Henri Wallon, à la Libération : « L’école républicaine a pour but la promotion de tous et la sélection des meilleurs. » La sélection est dans la nature des choses ; le problème est de savoir si elle se fait sur des critères démocratiques.
Le Président de la République pointe à juste titre l’inégalité des chances selon l’origine sociale. Mais croyez-vous qu’on corrigera cette inégalité par un abaissement de l’exigence ? L’école ne peut corriger à elle seule l’inégalité sociale, sauf à prendre le risque de la démagogie et de l’égalitarisme niveleur. Il faut alors, et dans tous les domaines de l’action politique, une énergie républicaine que je ne discerne pas toujours dans les choix du Gouvernement, notamment en matière fiscale.
On peut certes améliorer l’orientation, mais je ne crois pas qu’on puisse instituer une orientation permanente et efficace, avec des stages passerelles et des remises à niveau pendant les vacances. Étendre la seconde dite « de détermination » à la classe de première risque de casser les filières de deux ans, qui permettent un certain approfondissement des matières. À l’évidence, une classe de terminale spécialisée ne suffit pas.
Prélever deux heures sur les horaires de cours pour un soutien des élèves en difficulté alors que baisse le nombre de postes de professeur, c’est aller au-devant du « lycée light » qu’on a reproché à votre prédécesseur.
On ne compensera pas non plus la baisse du nombre de professeurs de langues vivantes par le recrutement d’assistants parmi les étudiants étrangers.
Le Président de la République déclare vouloir casser la hiérarchie imposée des voies et des séries. L’intention est louable, mais ne faisons pas de la série S le bouc émissaire de ce qui ne va pas au lycée ! Elle est justement ce qui marche ! Certes, elle a le grave défaut d’attirer les bons élèves… Mais que faut-il faire de ces bons élèves ? C’est pour vous un véritable casse-tête, monsieur le ministre ! On a l’impression que, si vous n’aviez que des cancres, votre tâche en serait facilitée.