Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a une fois de plus un paradoxe entre le constat du chef de l’État sur le sort, « scandaleux », réservé à l’éducation culturelle et artistique dans notre système scolaire et les moyens mis en œuvre en faveur de cette action.
Il est pourtant déterminant de renforcer la place de l’éducation artistique et culturelle, en particulier au lycée. De nombreuses études, outre l’expérience de terrain, ont démontré toute son efficacité dans la réussite de l’ensemble des élèves. Elles ont également mis en lumière que l’art apprend à apprendre, développe le potentiel de chaque élève et facilite la compréhension d’un monde de plus en plus complexe, tout en forgeant son libre arbitre.
J’ai toujours plaidé en faveur de l’enseignement de l’histoire des arts à l’école, mais il s’agit dans mon esprit non pas seulement d’un enseignement transversal, mais surtout d’un enseignement à part entière, avec des enseignants spécifiquement formés. Or, si le ministre de la culture a récemment regretté l’absence d’une agrégation d’histoire de l’art, il faut savoir qu’il n’existe même pas de CAPES pour cette matière !
Par ailleurs, un enseignement de l’histoire des arts ne saurait remplacer la pratique et le contact direct avec la création et les artistes. Tant mieux si les partenariats entre les lycées et les institutions culturelles de leur région sont enfin systématisés ! Mais avec quels moyens ? Certes, il n’est plus question de supprimer les dispositifs d’éducation artistique et culturelle, mais leurs crédits sont diminués, ce qui revient au même.
Des metteurs en scène, des comédiens, des chorégraphes, des plasticiens, des musiciens proposent des actions remarquables et passionnantes. Cette présence des artistes au lycée est fondamentale et doit être renforcée, ce qui passe par des financements d’État pérennes, mais aussi par l’harmonisation du statut et la rémunération des artistes intervenants, mise à mal par la remise en cause du régime des intermittents du spectacle. On ne répétera jamais assez que ce qui coûte cher, c’est non pas la culture, mais bien l’absence de culture !
La démocratisation culturelle est un chantier permanent qu’il faut sans cesse approfondir, et le lycée a un rôle-clé à jouer en la matière.
Face à l’uniformisation et à la standardisation d’une culture marchande mondialisée du divertissement, dont la jeunesse est la première cible, la République doit se donner les moyens pour que l’offre artistique et culturelle publique ne soit plus réservée à 15 % de la population mais s’adresse à tous les citoyens, surtout à ceux qui en sont le plus éloignés. C’est une question de justice sociale, de solidarité, d’égalité des citoyens et de respect du droit à la culture pour tous.
C’est pourquoi, si je salue la volonté du chef de l’État que soient retransmises dans chaque lycée les « premières » de la création théâtrale, musicale et lyrique financée grâce au soutien public, je m’interroge : où, quand, comment et dans quelles conditions ? L’État ne va-t-il pas, encore une fois de plus, se défausser sur les collectivités locales ? De plus, une retransmission ne remplace pas la magie du spectacle vivant. C’est bien à l’épreuve du feu qu’on se brûle, c’est bien l’expérience vécue qui fait naître le désir d’art. La retransmission de la création peut être un outil pédagogique, mais elle ne peut se substituer à l’irremplaçable émotion de l’« éternel présent » qu’est la représentation, événement unique et insaisissable.
Comme son nom l’indique, le spectacle vivant, cela se vit. C’est même vital !
Malgré les quelques mesures proposées, l’éducation artistique et culturelle reste particulièrement fragile et semble condamnée à ne constituer que la variable d’ajustement des politiques éducatives, alors qu’elle est au centre de la vie, de l’humain, des connaissances ! C’est pourquoi l’éducation artistique et culturelle au lycée ne doit plus être à part, ni être optionnelle, ni reposer uniquement sur la bonne volonté de quelques professeurs ou chefs d’établissement passionnés.
Cela suppose que l’éducation artistique et culturelle relève dorénavant d’une véritable politique nationale dans la durée. Et il s’agit bien de réclamer plus d’État non « pour diriger l’art, mais pour mieux le servir », ainsi que l’a très bien formulé André Malraux. C’est une condition nécessaire pour que personne n’en soit écarté.
Certes, les emplois du temps des lycéens sont déjà bien remplis, mais l’éducation artistique leur permet de gagner du temps dans le beau et difficile « métier de vivre » Elle développe l’imaginaire, l’intelligence sensible et la créativité dont chacun est porteur. Et nous savons bien que, à diplôme égal, c’est la culture générale et la capacité à symboliser le monde qui fait la différence dans l’obtention d’un emploi. Comme le formule si bien Edgar Morin, « la culture, c’est ce qui relie les savoirs et les féconde ». Et je rejoins Pascal : « L’homme est fait pour penser, c’est toute sa dignité. »
La création, par France Télévisions, d’une vidéothèque en ligne de films classiques à usage des lycées va dans le bon sens. Face à la montée en puissance de la culture de l’écran, l’éducation nationale a l’impérieux devoir de former les jeunes à l’image et au tri des informations, comme à leur appréhension critique.
En outre, si les technologies sont aujourd’hui un passage obligé dans l’accès aux connaissances, la dimension humaine, humaniste et humanisante de leur appropriation doit primer sur la technique.
Il n’est pas difficile de partager le constat selon lequel il y a urgence à revaloriser les filières littéraires, les « humanités », pour reprendre ce terme qui les définit si bien, d’autant que la lecture est en net recul, comme le démontre la dernière étude sur les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique.
Pour autant, il ne faut pas oublier que les jeunes se détournent des filières scientifiques après le baccalauréat et que l’on peut même parler de désaffection massive. C’est pourquoi, s’il est essentiel de revaloriser les séries littéraires et technologiques, il est parallèlement indispensable de renforcer la place de la culture scientifique pour tous.
La lutte contre l’illettrisme scientifique est fondamentale. C’est plus que jamais un enjeu crucial pour peser sur les choix environnementaux, éthiques, sociaux et industriels qui résultent des avancées scientifiques elles-mêmes, d’autant que les sciences et les techniques sont de plus en plus présentes dans notre quotidien et se trouvent au cœur des grands débats de société, qu’il s’agisse du réchauffement climatique, de l’avenir de l’énergie nucléaire, de l’alimentation, des organismes génétiquement modifiés, des biotechnologies, des nanotechnologies, etc.
Il est donc important de démocratiser l’accès à la culture scientifique, car c’est aussi un enjeu de la démocratie et de la citoyenneté. Il n’y a pas de démocratie sans généralisation et partage des savoirs, sans citoyens éclairés.
L’art et la culture sont des armes de construction massive, qui nous apportent chaque jour de nouvelles raisons d’édifier non pas le meilleur des mondes, mais un monde meilleur.
Alors que la France adhère à l’objectif stratégique de Lisbonne visant à faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus dynamique du monde d’ici à 2010 », je déplore le décalage permanent entre les déclarations et les actes, entre l’affichage et les moyens qui ne suivent pas. C’est incompréhensible, alors même que l’intelligence est la première ressource de notre pays, qui l’oublie malheureusement trop souvent !