Intervention de André Potocki

Mission d'information Judiciarisation — Réunion du 8 février 2022 à 14h45
Audition de M. André Potocki conseiller honoraire à la cour de cassation ancien juge à la cour européenne des droits de l'homme président de la commission de réflexion sur la « cour de cassation 2030 »

André Potocki, ancien juge à la Cour européenne des droits de l'homme, président de la commission de réflexion sur la « Cour de cassation 2030 » :

Il faut bien admettre que la Cour de cassation est un lieu étrange. Même pour les juristes confirmés, cette juridiction est nimbée de mystère. Elle rendait encore jusqu'à il y a peu des décisions cryptiques, très difficiles à comprendre et à interpréter, selon des procédures, qui, tout en étant d'une régularité parfaite et d'un formalisme extrême, étaient très difficiles à comprendre. Parfois, et même de plus en plus souvent, ses décisions interviennent brusquement dans des domaines qui font l'objet de débats, d'articles de presse, de prises de position ou d'actions politiques. J'imagine que les gens se demandent d'où vient cet arrêt, comment il a été élaboré, qui sont ceux qui l'ont rendu...

L'idée est donc de montrer comment la Cour de cassation élabore sa décision sur ces affaires extrêmement intéressantes pour les citoyens, de faire apparaître la complexité des affaires qui lui sont soumises et du processus de résolution de celles-ci par le droit.

Je veux citer une très belle formule du merveilleux professeur qu'est Mireille Delmas-Marty : « il faut élaborer une pédagogie de la complexité pour éviter une démagogie de la simplicité. » Je trouve cette phrase extrêmement forte. En l'occurrence, l'idée serait donc que, entourée de tout un dispositif pédagogique permettant au plus grand nombre de comprendre ce qui se passe, la Cour de cassation tienne, de façon publique, ouverte, filmée, une première séance durant laquelle elle entendrait une multitude d'acteurs, de sachants, d'amicus curiæ, qui permettraient de bien comprendre, surtout dans un débat très interactif, ce qui est en jeu et les différents éclairages possibles. Dans un second temps, l'ensemble de ces éléments seraient intégrés dans une audience plus classique, au cours de laquelle les juges pourraient interroger les parties et leurs avocats sur les conséquences que l'on peut tirer juridiquement de ce qui a été dit. On ne pourrait pas le faire très souvent : seules une ou deux affaires de ce type pourraient être traitées suivant cette procédure chaque année, mais on rendrait ainsi l'institution de la Cour de cassation visible, avec une forme de théâtralisation, ce qui n'a rien de dépréciatif, au contraire.

Des affaires aussi importantes que celles du voile islamique ou de la gestation pour autrui (GPA) auraient très bien pu donner lieu à une discussion pour que l'on comprenne à quel point ces questions sont extraordinairement compliquées. Cela aurait permis de beaucoup mieux comprendre le rôle de la Cour de cassation et, parfois, l'affaire elle-même.

Les parlementaires pourraient-ils s'exprimer dans cette procédure pour faire connaître leur opinion devant la Cour de cassation ? C'est la partie la plus difficile de votre question. Nous en avons beaucoup discuté dans nos délibérations. Nous étions bien sûr séduits par l'enrichissement extraordinaire que pourrait apporter la présence des parlementaires, qui pourraient expliquer comment la loi a été conçue. Toutefois, plusieurs points nous ont fait renoncer à cette solution. Premièrement, nous voyons bien la difficulté que ce fonctionnement peut poser au regard du principe de séparation des pouvoirs : on pourrait se demander si cela n'entraînerait pas une confusion. Deuxièmement, imaginons que les chambres présentes expriment un avis très précis. La Cour de cassation se trouverait alors dans une situation assez délicate : si elle suit cet avis, on l'accusera de soumission, le temps du référé législatif étant fini depuis longtemps ; si elle ne le suit pas, on lui reprochera de se révolter contre l'autorité des parlementaires, qui savent mieux qu'elle la façon dont il faut interpréter et peut-être même appliquer la loi.

Nous nous sommes donc dit qu'il était peut-être prudent de ne pas s'avancer sur ce terrain.

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