Intervention de Bernard Stirn

Mission d'information Judiciarisation — Réunion du 8 février 2022 à 14h45
Audition de M. Bernard Stirn président de section honoraire au conseil d'état membre de l'institut

Bernard Stirn, président de section honoraire au Conseil d'État, membre de l'Institut :

Vous êtes pessimiste. Il existe quand même des marges de choix tout à fait importantes sur certains sujets où le Parlement a complètement la main. Dans l'intérêt de la construction européenne, il est vrai qu'il faudrait sans doute évoluer vers un droit de l'Union européenne qui respecte davantage les marges d'appréciation nationales. Le phénomène est toutefois relativement récent, postérieur à la Seconde Guerre mondiale et il est général et pas uniquement français.

En dehors de la Cour suprême des États-Unis, avant 1945 et de la Cour constitutionnelle autrichienne, créée en 1920, aucun pays ne connaissait le contrôle de la loi. Désormais, selon des modalités comparables, même s'il subsiste en réalité quelques différences, toutes les grandes démocraties exercent un contrôle de constitutionnalité. En Europe, tout particulièrement, il existe en outre un consensus sur le fait que la norme internationale l'emporte sur la loi nationale.

Nous pourrions renforcer notre travail en commun sur un point, important pour le Parlement et auquel le Sénat tient tout spécialement, et qui porte sur la manière de faire de bonnes lois. Durant les trente dernières années, on a tiré la sonnette d'alarme, mais l'on constate toujours une certaine dégradation de la loi qui se manifeste dans la prolifération des textes et dans leur instabilité. Le Conseil d'État a publié son premier rapport sur le sujet dès 1990. Il a été suivi de plusieurs autres, à intervalles réguliers, et cette préoccupation a également été relayée dans les travaux parlementaires. Le Sénat a mis en place en janvier 2018 une mission « Bureau d'abrogation des lois anciennes et inutiles » (BALAI).

Durant ces dernières années, le travail en commun du Parlement et du Conseil d'État a progressé de manière importante, notamment depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui a prévu la consultation du Conseil d'État sur des propositions de loi. Les parlementaires, députés ou sénateurs, auteurs des propositions de loi, utilisent de plus en plus cette possibilité et bénéficient ainsi du travail accompli par le Conseil d'État pour présenter des textes bien rédigés, qui respectent les normes supérieures et qui ne posent pas de problème au regard du droit européen, du droit international ou de la Constitution.

Cela fait trente ans que nous constatons la dégradation de la qualité de la norme législative et réglementaire et peu de progrès ont été réalisés. La codification et les efforts d'abrogation des lois inutiles constituent des réussites mitigées. Quant aux études d'impact, il reste des marges de progrès très importantes à réaliser. Toutefois, il n'y a pas de fatalité et nous ne sommes pas condamnés à avoir un système normatif dégradé, même s'il est vrai que Montaigne constatait déjà que « la France a plus de lois que tout le reste du monde ensemble » et que Montesquieu rappelait en son temps que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Le sujet existe depuis très longtemps dans la philosophie politique de notre pays.

Nous avons engagé des travaux en commun pour résoudre le problème, qu'il faudrait sans doute étendre à une échelle plus importante pour continuer d'assainir le stock des textes existants et pour mieux canaliser le flux de ceux qui arrivent. Tout cela contribuerait à mieux préparer la loi et je sais que nous partageons ces objectifs.

Il faut aussi renforcer la compréhension entre nos deux institutions, car si certaines mesures ont été écartées par le juge comme incompatibles avec la Convention européenne des droits de l'homme ou contraires au droit de l'Union européenne, elles ne sont pas si nombreuses. Vous savez bien, au Parlement, que la question du respect du droit de l'Union européenne et de la Convention européenne des droits de l'homme se pose pour tout projet de loi et proposition de loi. Les précautions prises sont importantes et, qu'il s'agisse du juge judiciaire ou du juge administratif, les censures de lois pour méconnaissance du droit international et du droit européen existent, même si c'est en nombre assez limité. Toutefois, il est désormais plus fréquent qu'une disposition législative soit censurée à l'issue d'une QPC plutôt que d'un contrôle de conventionnalité. Les chiffres sont sans commune mesure.

De manière générale, quand une loi peut être jugée incompatible avec la Convention européenne des droits de l'homme, mais qu'elle peut être compatible « ainsi interprétée », le juge fait l'effort d'une interprétation conforme. J'évoquais précédemment l'arrêt Dame Lamotte du 17 février 1950 qui consacre le droit au recours pour excès de pouvoir. La technique d'interprétation conforme aux principes généraux du droit reste très pratiquée, notamment au regard de la Convention européenne des droits de l'homme et même du droit de l'Union européenne.

Quant aux études d'impact, en toute franchise, elles ne fonctionnent pas. La situation s'est sans doute améliorée depuis 2008, mais elle reste peu satisfaisante. Les études d'impact sont produites en réalité a posteriori, pratiquement jamais a priori, alors qu'on en attend une évaluation des avantages et des inconvénients que pourrait avoir un texte avant de s'y engager plus avant. Le Conseil d'État travaille à améliorer cet outil. Le Conseil constitutionnel peut sans doute jouer un rôle en cela. Le Parlement peut également relever son niveau d'exigence. Quoi qu'il en soit, le sujet pourrait donner lieu à des travaux communs, car il s'agit de mettre fin à ce qui relève d'une mauvaise habitude plus que d'une volonté du Gouvernement de contourner l'obligation constitutionnelle de produire une étude d'impact.

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