« Comment enseigner quand tout le monde ment ? » Permettez-moi, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de commencer mon intervention par une note pessimiste en citant la question que posait Charles Péguy et qui reste d’actualité, qu’on en approuve ou non les termes. En 2007, Alain Bentolila soulevait de nouveau le problème : « L’enseignement a réussi la massification scolaire, mais il a créé des ghettos scolaires et davantage d’illettrisme... Notre école se ment et ment à ses élèves, dont les frustrations seront d’autant plus exacerbées que le constat de leur insuffisance aura été déraisonnablement repoussé. »
Monsieur le ministre, nier que le lycée est en proie à de grandes difficultés, c’est prendre le risque d’une dégradation supplémentaire de notre système éducatif et méconnaître les immenses défis auxquels nos sociétés sont confrontées. Le lycée est pourtant une étape cruciale dans la constitution « des hommes en tant qu’hommes », pour reprendre la formule d’Emmanuel Kant. Il s’agit d’y former de futurs citoyens.
Ces difficultés concernent de nombreux aspects du système lycéen.
La première d’entre elles tient à l’organisation des enseignements. Il semble qu’une double hiérarchie se soit installée au fil des années au sein du système éducatif : d’une part, entre le lycée général et technologique et le lycée professionnel, victime d’une dévalorisation sociale, qui le fait apparaître comme l’institution refuge de jeunes en perdition ; d’autre part, entre les filières de la voie générale. Sa structure actuelle ne favorise en rien l’égalité des chances, car la filière scientifique est devenue une voie royale d’accès aux formations supérieures sélectives, prisée par des élèves issus des milieux sociaux favorisés : quatre bacheliers scientifiques sur dix sont enfants d’enseignants, de cadres ou de chefs d’entreprise, contre trois sur dix en L et en ES. De plus, la structuration des filières tend à enfermer les élèves dans des tuyaux disciplinaires desquels il leur est très difficile de s’extraire.
La deuxième difficulté a trait à l’organisation des filières qui résulte de l’orientation des élèves. Celle-ci engendre un stress permanent, tant pour les parents que pour les élèves, lesquels ont l’impression d’être les victimes d’un processus subi, en raison du manque de transparence sur les différents métiers et les formations y conduisant. Il ressort des consultations menées auprès des élèves et de leurs parents que l’orientation est une étape qui intervient trop tardivement, qui est enfermée dans une logique de filières hiérarchisées et qui ne prend pas en compte la perspective de l’insertion professionnelle et de la formation tout au long de la vie.
Enfin, la troisième difficulté renvoie à l’objectif même du lycée : préparer les élèves à l’insertion professionnelle. Or, aujourd’hui, le lycée est souvent, trop souvent, considéré comme une fin en soi et l’objectif d’emmener 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat y est pour quelque chose.
En outre, notre système éducatif est caractérisé par la médiocrité du niveau de nos lycéens en langues étrangères, en comparaison avec celui de nos partenaires européens. Nous ne pouvons nous le permettre alors que les mutations provoquées par la mondialisation nous imposent de mieux maîtriser plusieurs langues étrangères. L’enjeu est important : il s’agit de la compétitivité économique de la France.
Autre difficulté grave : le système français inspire une certaine mésestime de soi aux élèves qui se dirigent vers un lycée professionnel, convaincus qu’ils ne sont pas assez bons pour s’orienter vers un lycée général. Cette dévalorisation sociale est à l’origine d’une désaffection problématique pour les filières industrielles, notamment, alors même qu’elles donnent accès à de considérables gisements d’emplois.
D’un autre côté, les bacheliers des filières générales, effrayés par l’ampleur des effectifs en premier cycle universitaire, se précipitent vers des formations du type BTS ou IUT, prenant ainsi la place de bacheliers des filières technologiques, évincés des lieux d’études qui leur sont pourtant destinés.
Les difficultés sont légion et nous ne pouvons délaisser plus longtemps le lycée, institution symbole de la République.
Au mois de septembre, une délégation de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat s’est rendue en Finlande pour étudier le système éducatif. La Finlande figure au premier rang des enquêtes du Programme international pour le suivi des acquis des élèves, le PISA, conduites par l’OCDE. Ce système éducatif est fondé sur un principe d’autonomie et l’enfant est au cœur du système. Les résultats paraissent excellents et la compétitivité de ce petit pays de 5 millions d’habitants est remarquable. Si le système n’est pas transposable, de bonnes idées sont à prendre et il y a, en tout cas, de quoi nourrir le débat.
Nous devons mener une réflexion d’ensemble sur notre système éducatif, mais cessons de rêver au grand soir de l’éducation, comme l’a si bien dit Richard Descoings. Attachons-nous d’abord à améliorer ce qui peut être amélioré, à réformer par petites touches les déséquilibres existants.
J’entends dire ici et là que la réforme n’est pas nécessaire, que tout va bien dans de nombreux lycées. Mais les premiers à réclamer le statu quo sont ceux qui bénéficient de cette hiérarchie entre les filières et qui sont issus des milieux favorisés. Richard Descoings a justement fait remarquer, lors de l’audition organisée au Sénat, que les professeurs étaient d’anciens bons élèves. Or l’égalité des chances doit rester au cœur des principes de notre système éducatif.
Au-delà de nos divergences, gardons à l’esprit les trois objectifs qui doivent continuer d’animer le lycée : premièrement, la transmission des savoirs et des connaissances selon des parcours de formation diversifiés ; deuxièmement, la construction progressive de la citoyenneté par le développement de l’esprit critique et la maîtrise d’une culture commune ; troisièmement, enfin, la préparation à l’insertion professionnelle, en développant notamment l’esprit d’initiative et la créativité.
Monsieur le ministre, devant ces objectifs ambitieux, mais indispensables, trois impératifs s’imposent à nous pour réformer le lycée. Nous devons parvenir à construire un lycée plus juste, plus efficace et plus performant pour nos adolescents.
Comment, d’abord, pouvons-nous rendre le lycée plus juste ?
L’égalité des chances est le fondement même de notre modèle républicain méritocratique. Il a orienté notre système éducatif depuis sa formation. Or, aujourd’hui, rares sont les élèves et les parents qui y croient encore, et l’ascenseur social ne fonctionne plus.
Pour rétablir l’égalité des chances, nous devons, d’une part, mettre fin aux hiérarchies qui se sont constituées au fil du temps entre les voies et les filières. Tout en maintenant une distinction entre la voie technologique et la voie générale, nous devons entreprendre une véritable rénovation des filières technologiques : cela passe par la diffusion de la culture technologique comme élément de la culture commune délivrée pendant l’année de seconde.
Une plus grande transparence de ces filières doit aussi s’associer à une volonté politique forte afin de renforcer l’accès de celles-ci à l’enseignement supérieur.
Nous devons, d’autre part, mettre fin à la hiérarchie entre les filières de la voie générale. Gardons un choix large de spécialisations avec les trois séries S, ES et L, mais remettons ces trois filières sur un pied d’égalité.
La filière littéraire, délaissée par les élèves, doit faire figure de filière de pointe pour ce qui concerne les langues étrangères, mais il convient parallèlement d’y faire une plus grande place à la culture scientifique. En revanche, la série S doit gagner en spécialisation scientifique pour préparer à la formation de chercheur et d’ingénieur. Nous éviterons ainsi que les bons littéraires s’inscrivent en filière scientifique pour entamer ensuite des études de lettres, de droit, de sciences politiques ou de commerce.
Donner les mêmes chances de réussite à l’ensemble des élèves, c’est leur assurer une totale liberté de choix pour leur orientation. Le processus d’orientation doit être rendu plus lisible et le choix de chaque élève doit répondre à un projet professionnel concret. Il est indispensable de créer des liens avec des professionnels, des étudiants, qui viennent faire part de leur expérience. Le lycée doit être considéré non plus comme une fin en soi, mais comme une des étapes précédant la formation et l’insertion professionnelle.
De plus, il devrait être possible pour l’élève de changer de décision après s’être orienté. Les passerelles entre les filières à l’intérieur du lycée doivent être prévues si l’on ne veut pas que l’orientation soit ressentie comme un choix imposé, subi. On doit mettre fin à l’enfermement dans une filière sans possibilité d’une seconde chance. Cette situation est devenue inacceptable.
D’autre part, il ne faut surtout pas négliger la mésestime de soi qui habite les élèves et qui est bien souvent à l’origine d’un mauvais choix pour leur orientation. Nombreux sont ceux qui, venant d’un milieu défavorisé, se résignent à une filière par manque d’information ou d’incitation de la part de leurs parents. Au nom du principe d’égalité des chances, donnons à ces jeunes les moyens correspondant à leurs capacités, leurs ambitions. La mise en place d’heures supplémentaires d’accompagnement pour la réalisation des devoirs devra permettre de compenser les inégalités de capital culturel entre les familles.
L’idéal serait que les élèves puissent choisir leur filière selon leurs aptitudes et leur motivation. Il faut les guider vers cet objectif. Il faut valoriser chaque filière et faire en sorte qu’il n’y ait pas de hiérarchie, chaque orientation étant reconnue et respectée.
Notre deuxième impératif est de redonner au lycée toute son attractivité. Comment éviter que, chaque année, des milliers de jeunes quittent le système éducatif sans aucun diplôme ni aucune qualification ?
Dans son Plaidoyer pour une diversité républicaine, Philippe Joutard résume bien le défi qui se pose à nous : « Plus un enseignement devient de masse, plus il doit s’individualiser s’il veut être efficace et attractif. »
De nombreux jeunes issus des filières technologiques et professionnelles disent avoir été conduits dans cette voie par défaut, pour la simple raison que leurs résultats ne leur permettaient pas de prétendre à une filière générale. On passe donc outre toutes les possibilités qu’offrent ces filières. Faute de transparence, ces jeunes ne savent pas dans quelle formation s’inscrire, à quel métier se destiner, et ce dans un sentiment général de mésestime de soi et de dévalorisation sociale.
Dès lors, il faut rendre plus visibles des structures comme les lycées professionnels et technologiques, qui offrent des formations diversifiées et, à terme, de réelles perspectives d’embauche dans des secteurs en pleine croissance, tels le génie électrique et l’informatique industrielle, l’informatique et les réseaux de télécommunications, qui offrent de nombreux emplois, sans parler de tous les métiers du bâtiment.
Accroître la lisibilité des filières technologiques, consentir un effort national sur la valorisation des filières et de leurs débouchés grâce à des parcours de réussite, offrir aux étudiants issus de ces filières une meilleure accessibilité aux BTS et aux IUT, faire de la filière STI une formation de pointe : voilà une série de mesures qui permettront de renforcer l’attractivité des filières technologiques.
Troisième impératif : rendre le lycée plus performant.
Le lycée général ne peut être une fin en soi, car, contrairement au lycée professionnel, il doit nécessairement préparer la plupart de ses élèves à poursuivre des études dans l’enseignement supérieur. Cet objectif répond à besoin économique, social et politique. Comment, en effet, pouvons-nous prétendre affronter un monde globalisé si nous ne formons pas les chercheurs et les cadres diplômés en nombre suffisant ?
Le lycée est, de fait, une étape cruciale dans la formation des jeunes, comme le montre l’exemple finlandais. Ce petit pays réussit la performance d’être l’un des plus innovants au monde, avec l’un des plus forts taux de brevets. Cette créativité étonnante permet à la Finlande d’occuper l’une des premières places, à l’échelle mondiale, en termes de compétitivité économique.
Les liens entre le monde professionnel et le lycée doivent être démultipliés. Les établissements doivent offrir la possibilité aux élèves de rencontrer des personnes susceptibles de les guider dans le choix de leur orientation : salariés, chefs d’entreprise, représentants de diverses professions. Sur ce point, les propositions de Richard Descoings – regrouper les anciens d’un même lycée afin de mettre en avant leurs parcours de réussite et donner la possibilité aux élèves d’effectuer plusieurs stages en entreprise – sont très pertinentes.
Le lycée doit aider les élèves à trouver leur place dans la société : il doit les initier à la rédaction d’une lettre de motivation et à l’élaboration d’un curriculum vitae, car les élèves sont inégaux devant ces exercices selon le niveau socioprofessionnel de leurs parents et leur origine socioculturelle.
En outre, les langues étrangères doivent faire l’objet d’une attention toute particulière. Trop souvent, nous entendons que les élèves français n’ont pas un bon niveau en anglais, ou plus généralement en langues étrangères. Les conditions et les formats d’enseignement doivent être repensés, de même que les formes d’évaluation. Nous y gagnerons en efficience et en cohérence.
Je souhaite vous faire part, monsieur le ministre, de plusieurs propositions dont la mise en œuvre pourrait atténuer, j’en suis sûre, les frustrations dont sont victimes nos lycéens.
Ne pourrions-nous pas mettre en place, de la seconde à la terminale, une heure quotidienne d’anglais ou d’une autre langue vivante ? On trouve ce genre de pratiques en Allemagne, notamment, et l’on sait que les lycéens allemands parlent mieux l’anglais que les lycéens français.
Ne pourrions-nous pas envisager que les programmes télévisés des chaînes publiques fassent une plus grande place aux langues étrangères, en particulier à l’anglais, en sous-titrant certains reportages ou films diffusés en langue originale au lieu de traduire systématiquement ? Cette pratique, qui a cours dans d’autres pays, permet de se familiariser avec d’autres langues.
Ne pourrions-nous pas encourager la mobilité internationale en prévoyant des avantages fiscaux pour les parents souhaitant envoyer leurs enfants à l’étranger via des organismes spécialisés dans les séjours linguistiques ? Pour ne pas pénaliser les familles les moins favorisées, nous pourrions octroyer des bourses aux élèves méritants afin qu’ils effectuent des séjours linguistiques. Une telle mesure me paraîtrait plus justifiée que les actuelles déductions fiscales dont certains parents bénéficient lorsqu’ils payent à leurs enfants des cours privés. Financer indirectement ce type d’enseignement revient à admettre que l’école n’est plus assez performante et concourt à la dégradation progressive de notre système éducatif.
Ne pourrions-nous pas également refonder le rôle des assistants de langues étrangères présents dans les lycées, afin d’optimiser leur utilité pédagogique ?
Il faudrait aussi que chaque lycée de France soit jumelé avec un établissement d’un autre pays d’Europe et, bien sûr, que l’usage des nouvelles technologies soit développé tant pour la communication que pour l’apprentissage.
Enfin, nous ne pourrons rendre nos lycées plus justes, plus attractifs, plus performants, si nous ne leur donnons pas la liberté pédagogique nécessaire. Les lycées doivent relever le pari de l’égalité des chances, que nous voulons gagner. Pour cela, ils doivent être capables de proposer des remèdes adaptés à chaque situation. Ils doivent pouvoir gérer à leur guise les heures d’accompagnement et aménager avec souplesse l’organisation des classes. Ce gain d’autonomie serait soumis à évaluation : les établissements devraient publier un ensemble d’indicateurs démontrant leur capacité à tirer profit de leur liberté pédagogique. Comme l’explique Benoist Apparu dans son rapport d’information, la réforme du lycée offre à la nation une occasion unique de renouveler sa confiance aux enseignants ainsi qu’aux chefs d’établissement.
Monsieur le ministre, le Président de la République a marqué sa volonté de réformer le lycée et vos propositions vont dans le bon sens. Il faut que, dans notre pays, aucun jeune ne soit laissé au bord de la route et que la nouvelle génération puisse faire progresser le niveau de compétitivité de la France. Je peux vous assurer que l’ensemble du groupe UMP soutient votre action.