Parler des lycées, c’est aussi évoquer l’avant et l’après-lycée.
Avant, c’est le collège unique, dont nous avons tellement parlé, souvent pour le critiquer. Je ne veux pas entrer dans cette polémique, mais simplement prendre en compte une réalité illustrée par le film Entre les murs, que je vous recommande à tous, si vous ne l’avez pas vu. Ce film évoque le travail des enseignants, notamment du professeur de français, d’une classe de quatrième, certes sympathique, mais peu réceptive, c’est le moins que l’on puisse dire. Cet enseignant doit faire comprendre à vingt-cinq jeunes âgés de quatorze à seize ans le sens des mots les plus simples du français courant. On le voit notamment expliquer aux élèves que le mot « argenterie » ne désigne pas une habitante de l’Argentine… Il s’y prend d’ailleurs très bien, utilisant une méthode qui paraît progressive et très sûre.
En regardant ce film, je me suis demandé quels étaient les points communs entre le travail extraordinaire de ce professeur et celui des enseignants de lycée. Rien, si ce n’est la matière. Mais, comme l’a très bien expliqué M. Chevènement, ancien ministre de l’éducation nationale et ministre d’État, il ne faut pas réduire le niveau d’exigence.
Si le travail des enseignants n’est pas le même, pourquoi les former de la même manière ? Il me semble que nous devrions avoir le courage d’aborder ce thème, qui mérite réflexion. Cela s’est d’ailleurs fait dans un passé quelque peu ancien. Je pourrais citer un lointain prédécesseur de M. Chevènement, Joseph Fontanet, qui avait imaginé un corps d’enseignants pour le premier cycle. Cette idée n’était nullement dévalorisante, n’impliquait aucun classement hiérarchique, ne connotait aucune différence de dignité ; il s’agissait simplement de tenir compte des réalités.
Par ailleurs, il faut le rappeler, 130 000 à 150 000 jeunes quittent le collège sans qualification et s’engagent dans la vie sans être armés pour l’affronter, tandis que, après le lycée, 80 000 bacheliers n’obtiennent pas de diplôme d’enseignement supérieur, même s’ils ont poursuivi des études.
Pourquoi le lycée, qui est à la charnière entre le collège et l’enseignement supérieur, ne se préoccuperait-il pas de tous ces jeunes, de ceux qui sont sortis du collège sans diplôme, et de ceux qui se sont lancés dans des études supérieures sans succès ? Pourquoi ne pas essayer de trouver des solutions ?
Je pense, par exemple, au dispositif proposé par Jean-Claude Carle, rapporteur du projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, et qui l’a fait adopter : les élèves de quinze ans et plus pourront, s’ils ne trouvent pas dans le collège les enseignements qui correspondent à leurs goûts ou à leurs capacités – je n’aime pas ce terme, mais il est commode – être placés en apprentissage tout en restant sous statut scolaire. Je suis persuadé que d’autres formules de ce type pourraient être trouvées.
J’en viens maintenant à l’autonomie des établissements, sur lequel mon propos rejoindra ceux de Mme Mélot et de M. Longuet.
Les mesures annoncées ne pourront être pleinement déployées que si l’on donne aux établissements, et par conséquent au chef d’établissement, à l’organe de gouvernance de l’établissement, la latitude suffisante pour trouver les dispositions, les méthodes, les éléments de souplesse qui permettront de tenir compte des besoins des élèves.
Je suis persuadé qu’il faut avancer dans cette voie de l’autonomie, monsieur le ministre. Le chemin est difficile parce que cette réforme soulève des inquiétudes et que le principe de l’égalité républicaine, auquel je suis attaché, est aussitôt brandi.
Cependant, à partir du moment où le lycée prépare au baccalauréat et où celui-ci reste un diplôme national – nous y tenons ! –, les garde-fous paraissent suffisants pour laisser aux établissements une réelle autonomie dans la préparation de ce diplôme. Certes, je le reconnais, ce principe est contraire à notre tradition, mais il ne s’agit pas de « déstructurer » quoi que ce soit, monsieur Chevènement. Si à l’autonomie est associé un processus d’évaluation constant, cela est possible.
J’en viens à la mise en place des deux heures d’accompagnement, dont vous avez précisé les contours, monsieur le ministre. Je constate avec d’autres intervenants que, depuis quelques années, cet accompagnement tend à tenir compte du besoin des élèves, et c’est fort heureux. Il est ainsi pratiqué dans le primaire, en sixième et même pour certains élèves de seconde.
J’ai noté cependant que l’inspection générale de l’éducation nationale ou quelqu’un comme Philippe Meirieu considèrent que l’accompagnement n’apporte qu’un petit coup de pouce à certains élèves et ne permet pas d’aider ceux qui sont le plus en difficulté. En outre, les enseignants, enserrés dans le carcan des programmes, oublient parfois de faire place à des heures plus individualisées. Avant d’aller plus loin, il est donc nécessaire de procéder à une évaluation des dispositifs existants. Je suis persuadé, monsieur le ministre, que vous avez cette idée présente à l’esprit.
Pour conclure mon propos, je veux dire que la réforme du lycée est une chance à ne pas manquer. Nous sommes pratiquement tous d’accord sur les grandes orientations. La difficulté gît dans les modalités, l’action quotidienne. Or c’est là que se trouvent les solutions.
Monsieur le ministre, nous avons confiance en vous. Votre tâche, vous en êtes également conscient, sera sans doute longue et rude, mais sachez que nous vous soutiendrons.