Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un grand honneur pour moi d’intervenir sur un sujet aussi vital pour l’avenir de notre pays.
Colonie jusqu’en 1946, la Réunion est, à cette date, devenue département français. De 1946 à 2009, nous avons donc franchi des étapes considérables dans le domaine de l’acquisition des connaissances indispensables à la dignité humaine.
Je saisis l’occasion de ce débat et de l’examen de la réforme du lycée, qui, je le suppose, nous sera bientôt soumise, pour vous dire, monsieur le ministre, que de belles opportunités se présentent à l’outre-mer.
Le 6 novembre, le Président de la République vous invitera à participer à l’Élysée au comité interministériel de l’outre-mer. Le principal sujet qui devrait y être abordé est celui de l’éducation. En effet, aucun développement économique n’est possible sans capacité d’acquérir des connaissances. C’est encore plus vrai pour une société comme la nôtre, qui connaît malheureusement des contraintes très importantes, si nous voulons nous hisser au niveau de la métropole et devenir compétitifs sur le plan européen.
Permettez-moi de faire un rapide état des lieux.
Après une soixantaine d’années de départementalisation, on constate que nos résultats ne sont pas comparables à ceux de la métropole. Ainsi, les tests réalisés en CM2 montrent que 40 % des élèves dans les DOM n’ont pas la moyenne en français, contre 25 % sur le plan national ; en mathématiques, 55 % des élèves n’ont pas la moyenne, contre 35 % sur le plan national. La proportion d’élèves en retard à l’entrée au collège et au lycée est supérieure de 7 à 10 points dans les DOM. De surcroît, le taux d’échec scolaire est largement supérieur à la moyenne nationale et 40 % des élèves quittent le système éducatif sans diplôme et sans maîtriser les connaissances nécessaires, contre 20 % en métropole. Pour couronner le tout, le drame est que, faute d’orientation, les bacheliers s’engouffrent à l’université, où 60 % d’entre eux échouent en première année.
Mais ne nous contentons pas de pleurer, car nous sommes là pour agir. Je veux donc faire quelques suggestions.
Saisissons l’occasion du CIOM du 6 novembre pour invoquer l’article 72, quatrième alinéa, de la Constitution, qui permet de mener des expérimentations. En effet, lorsqu’on veut mener des réformes générales du système d’éducation en France, on se heurte à beaucoup de difficultés. Dès lors, pourquoi ne pas expérimenter de nouvelles méthodes d’éducation dans les départements d’outre-mer si le conseil général, le conseil régional ou le rectorat le demandent ? Aucune expérimentation n’a jamais été conduite à cet égard en métropole ou outre-mer !
Prenons l’exemple du primaire.
Chez nous, comme à la Martinique, à la Guadeloupe ou en Guyane, on parle créole dès la naissance. Quand vous amenez sur le territoire de ces départements des maîtres qui ne parlent pas créole, les enfants qui commencent leur scolarité sont bloqués dans leur expression orale, qui est pourtant la voie royale de l’apprentissage des connaissances.
Je propose donc de régionaliser le contenu de l’enseignement dispensé dans les IUFM d’outre-mer. Je pense aussi qu’il faudra avoir l’audace de régionaliser le recrutement dans les IUFM, non pas en fonction de l’origine ou de la couleur de la peau, mais en s’appuyant sur des tests professionnels permettant de savoir si telle ou telle personne maîtrise la langue locale, qui fait évidemment partie de la culture locale. Ainsi, la transmission pourra avoir lieu.
Comme nous l’avons dit lors du débat sur la situation des départements d’outre-mer, cette mesure représenterait en outre un débouché pour des milliers de jeunes diplômés qui sont aujourd’hui au chômage, car, au concours d’entrée à l’IUFM, ils sont confrontés à la concurrence de gens venant de métropole et beaucoup plus diplômés qu’eux.
Il faudrait également expérimenter outre-mer – ce ne serait sans doute pas moins nécessaire dans certains départements métropolitains – un encadrement plus rapproché dans le primaire, de telle manière que les élèves qui entrent en sixième maîtrisent les trois acquis essentiels : compter, lire et écrire.
Car le chiffre est faramineux : plus de 30 % des élèves arrivent en sixième sans savoir lire, écrire, compter ou parler français ! Que voulez-vous qu’ils fassent au collège ? À quoi bon leur apprendre l’anglais ou l’algèbre s’ils ne savent même pas lire ? On leur fait lire des livres qu’ils ne peuvent pas même déchiffrer !
Un élève que je suis allé voir à la suite d’un conflit avec un professeur, que ses camarades et lui avaient même frappé, m’a déclaré : « Ma tête a bloqué. Je ne comprends plus rien au collège, et je ne sais pas ce que je fais à l’école. J’ai l’impression d’être en prison ! » D’où sa réaction violente, que, en fin de compte, j’ai comprise. Il a ajouté que, si on lui apprenait un métier, il se sentirait capable de suivre cet enseignement.
Monsieur le ministre, j’ai entendu plusieurs sénateurs, de tous les groupes, dire que l’on ne peut pas faire la réforme du lycée sans faire celle du collège. Or vous ne pourrez probablement pas réformer le collège dans toute la France. Par conséquent, menez l’expérimentation chez nous ! Nous sommes demandeurs, et je sais que d’autres départements français le sont aussi.
Je pense que le collège unique a vécu. Il faut aller vers un collège à plusieurs sections. Car nous n’avons pas tous les mêmes capacités ni le même parcours ; nous ne venons pas tous des mêmes milieux sociaux, nous n’avons pas tous la chance d’avoir des parents instruits, sans compter que certains sont doués pour être boulanger, d’autres pour être maçon ou électronicien. C’est donc à partir de la classe de quatrième qu’il faut consolider l’orientation. J’appelle cela le collège de la vocation, et je suis prêt à en discuter avec vous.
De grâce, obtenez que les départements d’outre-mer qui le souhaitent puissent expérimenter des systèmes d’éducation plus performants, mieux adaptés à la sociologie locale, à la culture locale et à la volonté des élèves. Réformez le primaire pour favoriser la maîtrise des acquis, réformez le collège en trois sections pour l’ouvrir au monde du travail.
Concernant la réforme du lycée, je voudrais faire quelques suggestions qui m’ont été inspirées par mes amis enseignants à la Réunion.
La classe de seconde doit conserver un enseignement général et un programme commun à toutes les classes. Le module de découverte, que prévoyait la réforme de votre prédécesseur, devrait être réintroduit, car il permet une ouverture sur le monde.
La classe de première devrait également conserver un tronc commun d’enseignement. Il n’est pas normal que, à la fin de la seconde, les élèves ne puissent plus passer d’une série à l’autre. C’est un moyen de valoriser la filière littéraire, comme le prône le chef de l’État. C’est ensuite, en terminale, que les acquis seront renforcés et que les élèves se spécialiseront.
Pour conclure, je voudrais réitérer ma principale demande, monsieur le ministre : autorisez les départements d’outre-mer qui le souhaitent à expérimenter, dans le cadre des lois de la République, un système d’éducation mieux adapté au contexte local. L’argent public serait ainsi mieux utilisé et les enseignants, qui accomplissent un travail remarquable – je tiens à le dire à cette tribune –, seraient davantage mobilisés.
Lorsque nous aurons conduit vers la connaissance des générations entières de jeunes, qui forment un atout pour le développement des DOM, de la France et de l’Europe, nous aurons avancé dans la voie de la dignité et de la responsabilité.