Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’être parmi vous cet après-midi. Il était en effet important, quelques jours après que le Président de la République eut exposé les grandes orientations de la réforme du lycée, que la représentation nationale s’exprime, d’autant que, je m’empresse de l’indiquer à M. Virapoullé, il n’y aura pas de texte de nature législative sur ce sujet.
Je remercie donc M. Legendre et la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, qui a déjà eu l’occasion de m’auditionner à deux reprises depuis mon entrée en fonction à la fin du mois de juin, d’avoir organisé ce débat. Croyez bien que, au moment de la finalisation de la réforme du lycée, nous prendrons en considération les propositions constructives que viennent de faire les différents intervenants.
Il y a quelques jours, j’ai eu l’honneur de conduire la délégation française à la conférence générale de l’UNESCO. À cette occasion, j’ai rappelé que le monde n’avait sans doute jamais eu autant besoin d’éducation.
Dans les pays émergents, l’éducation est la meilleure réponse pour réduire les inégalités, pour lutter contre la misère, mais aussi contre les totalitarismes, par l’apprentissage de la liberté.
Quant au monde développé, il n’a jamais eu autant besoin d’éducation. Dans la crise mondiale que nous traversons aujourd’hui, la meilleure réponse pour nos jeunes est l’investissement dans l’avenir, dans l’éducation.
Dans cette crise économique d’une violence inouïe, le diplôme est la meilleure arme anti-chômage, comme en témoignent les statistiques de l’emploi. En effet, un jeune diplômé a cinq fois plus de chances de trouver un emploi qu’un jeune du même âge ayant quitté le système éducatif sans diplôme.
La réforme du lycée est donc le moyen de moderniser et d’adapter notre système éducatif aux défis d’aujourd’hui.
Pourquoi réformer le lycée ? Le lycée est sans doute l’un des piliers de notre système éducatif, dont nous partageons tous les valeurs ; nous les avons d’ailleurs en héritage. Le lycée incarne parfaitement les valeurs de la République : l’égalité des chances, l’accès au savoir pour tous, la récompense du mérite, la capacité de sélectionner l’élite républicaine, plusieurs d’entre vous l’ont souligné, mais aussi la possibilité pour chacun de trouver une solution à la fin des études secondaires ; j’y reviendrai.
Notre volonté n’est pas de faire table rase du passé. Comme l’a très bien dit M. le président de la commission de la culture, le lycée n’est pas en perdition. Depuis que le général de Gaulle a rendu l’instruction obligatoire jusqu’à seize ans, en 1959, depuis que le collège unique a été mis en place, au milieu des années soixante-dix, le lycée a ouvert grand ses portes : il accueille aujourd’hui toute la jeunesse de France. Vous avez été nombreux à le rappeler, nous sommes passés en un peu plus d’une génération de 25 % d’une classe d’âge obtenant le baccalauréat à 65 % aujourd’hui. C’est une véritable prouesse !
De la même manière, je ne pratique pas l’autoflagellation permanente sur l’évaluation de notre système éducatif. Nous n’avons pas à rougir collectivement du niveau moyen de nos élèves qui quittent le système secondaire par rapport à celui de leurs camarades du même âge des grands pays développés ; nous n’avons pas à rougir du système éducatif français.
M. Jean-Pierre Chevènement soulignait tout à l’heure, à juste titre, que le lycée ne fonctionnait pas si mal. Je me permets d’ajouter que le lycée fonctionne bien aujourd'hui pour les bons élèves, pour ceux qui savent faire les bons choix. Pour les autres, nous devons collectivement nous interroger. C’est la démarche qui a été retenue par le Gouvernement et qui a sous-tendu le travail mené par Richard Descoings, à la demande du Président de la République.
Nous devons nous poser un certain nombre de questions. Plusieurs d’entre vous l’ont souligné, 80 000 jeunes échouent à la fin de la première année d’université, soit un étudiant sur deux ! Sans doute faut-il progresser dans la capacité d’orienter ces jeunes, leur permettre de trouver leur voie en matière d’enseignement supérieur, mais aussi les y préparer. Le fossé qui existe entre les méthodes d’enseignement du lycée et celles qui sont pratiquées dans l’enseignement supérieur est sans doute trop important.
De surcroît, 50 000 lycéens quittent chaque année le système éducatif sans aller jusqu’au baccalauréat, auxquels il convient d’ajouter tous ceux qui l’ont déjà quitté à la fin du collège. Nous laissons ainsi chaque année 120 000 jeunes au bord du chemin, sans diplôme, en sachant pertinemment qu’ils auront cinq fois moins de chances de trouver un emploi que les autres. C’est ainsi que, aujourd'hui, globalement, le taux de chômage de notre jeunesse s’élève à 22 %, soit l’un des taux les plus élevés au sein des pays développés.
Je voudrais aborder un dernier élément concernant notre appréciation du lycée.
J’évoquais notre modèle républicain, l’égalité des chances, l’accès au savoir pour tous. Le lycée permet-il l’accès au savoir pour tous quand on sait qu’un enfant d’ouvrier qui entre en seconde a cinq fois moins de chances qu’un enfant de cadre d’accéder trois ans plus tard à une classe préparatoire ? La répartition sociologique des élèves de sixième, qui correspond globalement à la sociologie française, est la suivante : 16 % d’enfants de cadres et 55 % d’enfants d’employés et d’ouvriers. Elle est exactement inverse en première année d’université, à savoir 55 % d’enfants de cadres et 16 % d’enfants d’ouvriers et d’employés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, une telle situation justifie les mesures que nous vous proposons aujourd’hui et qui ont pour objectif, je le répète, non pas de tout chambouler au lycée, mais de nous appuyer sur ce qui fonctionne bien pour remédier en profondeur aux faiblesses de notre système de second degré au sein de l’éducation nationale.
Pour identifier les mesures à prendre, nous avons entamé une longue concertation. M. Richard Descoings a lui-même organisé la concertation au sein des communautés éducatives dans plus de 70 lycées. Au total, la concertation a été réalisée dans plus de 1 000 établissements par les rectorats, associant les enseignants, les élèves, les parents d’élèves.
Nous avons ainsi pu repérer les grands points qui appellent une amélioration et qui nécessitent une véritable mobilisation de notre part. Ces différents points constituent les orientations que le Président de la République a eu l’occasion d’évoquer voilà quelques jours.
Comme vous l’avez indiqué, monsieur Gouteyron, nous aurons à en définir les modalités dans les semaines qui viennent ; cela aussi fait partie de la méthode du Gouvernement. Nous aurions pu vous proposer une réforme clé en main, ficelée de A à Z. Nous avons préféré commencer par une large concertation, de plusieurs mois. Nous proposons aujourd’hui des orientations avec un cap, une philosophie et un certain parti pris, je vous l’accorde, mais nous laissons une marge de discussion avec nos différents partenaires, pour tenir compte des dialogues qui vont se poursuivre jusqu’à la mi-décembre, au moment où je réunirai le Conseil supérieur de l’éducation.
Durant cette période, je mènerai des concertations avec les organisations syndicales à l’échelon national. Parallèlement, j’ai engagé un tour de France des académies. À cette occasion, je réunis nos cadres, les proviseurs et les chefs d’établissement, dont vous avez été plusieurs à souligner l’importante place qu’ils doivent occuper dans cette réforme et dans le lycée de demain. C’est également l’occasion pour moi d’avoir des échanges, au sein des lycées, avec les lycéens, les parents d’élèves et les enseignants.
Je reviens à présent sur les différents axes de cette réforme, mesdames, messieurs les sénateurs, ce qui me permettra de répondre à vos questions.
Le premier axe est l’orientation.
Aujourd’hui, notre système d’orientation est souvent vécu comme subi par les élèves. Il est perçu comme un couperet, une épreuve par les familles et la jeunesse. À quatorze ans, on n’a pas forcément une vocation pour la vie. À un âge où la jeunesse se pose bon nombre de questions sur elle-même, sur le sens de la vie, le fait de se projeter dans le monde adulte et de décider, une fois pour toutes, de s’engager dans une filière ou une série est souvent vécu comme une épreuve. Or c’est notre système actuel.
Nous voulons évoluer vers un système beaucoup plus progressif et réversible. Pourquoi ? Parce qu’on peut être un élève médiocre, à quatorze ou quinze ans, au lycée et s’accomplir dans des études supérieures, à dix-neuf ans, ou dans un projet professionnel, à vingt-deux ans. Toute la difficulté – et la grandeur – de notre système éducatif est d’être capable de détecter chez un élève la qualité, le talent, la vocation, la motivation pour l’orienter vers la filière où il trouvera sa voie et, sans doute, son insertion professionnelle.
Pour cela, nous allons agir à plusieurs niveaux. Les corrections de trajectoire seront dorénavant possibles, le droit à l’erreur sera reconnu. Si un élève de première S s’aperçoit à Noël qu’il a du mal à suivre, quelle est aujourd’hui la réponse du système éducatif ? Il ne peut que constater progressivement son échec, ce qui se traduira éventuellement par un redoublement.
J’ouvre ici une parenthèse : 40 % des élèves qui présentent le baccalauréat ont redoublé au moins une fois. Est-ce un gage d’efficacité de notre système éducatif ? Je ne suis pas opposé au redoublement, mais celui-ci doit, selon moi, constituer l’exception. Il est trop souvent vécu comme un échec par les élèves et il ne permet pas une remise en selle, une réorientation, puis une meilleure insertion de l’élève dans une voie qui corresponde à ses aspirations.
Nous allons donc rendre possibles les changements de série, mais de façon très encadrée. Nous n’allons pas passer à un système de lycée à la carte, de lycée zapping ! Les conseils de classe proposeront les changements éventuels de série, qui seront facilités par une harmonisation des cours, avec des disciplines communes aux différentes séries, et par la mise en place de stages de remise à niveau, de stages passerelles pour rattraper les heures de cours de spécialisation qui n’auront pas été effectuées. C’est une première réponse pour un système plus progressif en matière d’orientation.
Vous avez été plusieurs à évoquer avec force la diversification des voies d’excellence : le président Legendre, mais aussi M. Jean-Claude Carle, qui a fait part de sa conviction à cet égard lorsqu’il était rapporteur du projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, ou Mme Morin-Desailly.
Aujourd’hui, le système français a ceci d’absurde que, hors du lycée général, point de salut et, au sein du lycée général, hors de la série S, point de salut ! Nous avons institutionnalisé une voie unique menant à l’excellence. Or je suis profondément convaincu que plusieurs chemins permettent d’y accéder.