Intervention de Denis Baupin

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 9 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Denis Baupin adjoint au maire de paris chargé du développement durable de l'environnement et du plan climat

Denis Baupin, chargé du développement durable, de l'environnement et du plan climat :

Bien entendu, nous agissons sur tous les facteurs qui permettent d'atteindre les objectifs de réduction fixés.

La principale difficulté concerne le parc du logement privé, avec cette spécificité parisienne qui fait qu'il est quasi exclusivement constitué de copropriétés. Or les dispositifs légaux mis en place visent principalement des pavillons ; là, l'éco-PTZ est particulièrement adapté pour agir. Nous devons continuer à faire progresser ce chantier majeur, sur lequel je reviendrai dans quelques instants.

Les bureaux posent encore plus de problèmes. J'ai eu l'occasion d'en discuter à plusieurs reprises avec l'équipe Bâtiment du Grenelle de l'environnement, qui essaie d'élaborer des outils concernant le tertiaire. Aujourd'hui, il y a la spécificité des consommations électriques de ces bâtiments, qui sont parfois plus importantes que celles relatives au chauffage : informatique, data centers, éclairage, climatisation... Il faut donc intervenir à la fois sur le bâti et sur cette consommation électrique spécifique. Or, sur ce point, nous sommes, si je puis dire, en demande d'outils. Je profite de mon audition par une commission parlementaire pour souligner que les collectivités ont besoin d'être aidées par la loi et le Gouvernement afin d'agir plus efficacement.

Pour ce qui concerne l'application du plan climat, nous agissons bien évidemment sur toutes les zones d'aménagement qui restent sur le territoire parisien et qui relèvent du grand projet de renouvellement urbain. Notons quelques opérations d'urbanisme emblématiques réalisées sur les secteurs Paris Nord-Est, Clichy-Batignolles, où se situera le futur palais de justice, Bercy-Charenton. Je le dis avec modestie, car ce n'est pas dans la culture des collectivités locales ; il s'agit par conséquent de mener un travail de sensibilisation des élus, des services, de l'ensemble des acteurs du territoire. En l'espèce, au moment des travaux préparatoires relatifs à ces chantiers, nous essayons d'élaborer une stratégie énergétique. Autrement dit, on ne se pose pas simplement la question de savoir quels équipements publics seront mis en place à tel ou tel endroit, combien de bureaux ou de logements sociaux seront installés ; on se demande également quels services énergétiques seront apportés. Une spécificité parisienne, qui constitue un énorme avantage, doit être soulignée : le réseau de chauffage urbain de la Ville de Paris, aujourd'hui délégué à la CPCU, est le troisième au monde après ceux de Moscou et de New York. Tout comme moi avant que je sois adjoint chargé du plan climat, nombre de Parisiens, y compris des élus, l'ignorent. Cet atout de la collectivité est peu valorisé et peu pris en compte.

Si l'on se penche sur les questions énergétiques, on se rend compte que, voilà quelques décennies, nos prédécesseurs - pas forcément les élus locaux, mais en tout cas l'État - avaient des idées plus avancées que nous sur ce qu'il convenait de faire sur le territoire parisien. Et certains outils ont été laissés en déshérence : les acteurs économiques, les énergéticiens n'ont pas toujours agi en ayant en tête une stratégie. Aujourd'hui, à l'occasion de la révision du plan climat, nous avons la volonté d'affirmer plus fortement notre vision en matière de politique énergétique, notamment pour ce qui concerne les zones d'aménagement.

Par ailleurs, nous nous sommes dotés d'un outil de sensibilisation de l'ensemble des acteurs du territoire, à savoir l'Agence parisienne du climat, qui est chargée de l'information des usagers. Elle compte une trentaine de personnes, principalement des conseillers info-énergie-climat. L'ADEME est associée au financement.

J'en reviens au bâti et à la question des copropriétés. Plusieurs outils existent.

Le plan « copropriétés : objectif climat » a été lancé voilà quatre ans. Il permet d'aller, par l'intermédiaire des conseillers info-énergie-climat, à la rencontre des 40 000 copropriétés parisiennes. Cela vous laisse imaginer l'ampleur de la tâche ! Nous finançons à 75 % les diagnostics énergétiques des bâtiments. Nous octroyons ensuite des aides, qui complètent celles qui sont accordées par l'ANAH, lorsque les travaux sont engagés.

Le processus est très long. Entre le moment où l'on commence à sensibiliser les copropriétaires et celui où une copropriété réunit la majorité nécessaire pour engager les travaux, plusieurs années peuvent s'écouler. Aujourd'hui, à peu près 1 % des logements parisiens privés se sont engagés dans ce dispositif. Toutefois, tous n'ont pas encore entrepris des travaux.

Cela nous a conduits à développer, depuis deux ans, un outil complémentaire plus spécifique : les opérations programmées d'amélioration thermique des bâtiments. L'une concerne 330 tours ou grands immeubles du XIIIe arrondissement. De ce fait, chiffre significatif, 2 % de la population parisienne est concernée. La démarche entreprise va plus loin que la précédente : des équipes vont rencontrer les copropriétés, les syndics ; un diagnostic thermique pris en charge financièrement par la ville est effectué ; à cette occasion, tous les bouquets de travaux possibles sont étudiés afin de permettre aux copropriétaires de prendre ou non la décision d'agir sur leur bâtiment. Mais une fois que la copropriété dispose de tous ces éléments, que démonstration de la pertinence économique des travaux lui a été faite, décidera-telle d'engager des travaux ? En l'espèce, la Ville de Paris essaie d'aller le plus loin possible du point de vue réglementaire.

D'ores et déjà, nous réfléchissons à la manière de développer le même dispositif sur d'autres secteurs du territoire parisien : autour de la place de la République, où le bâti, plus ancien, est très différent de celui du XIIIe arrondissement, ou encore dans le XIXe arrondissement, deux secteurs dans lesquels la précarité énergétique est grande. Il faut noter un lien avec le plan bâtiment Grenelle, dont les acteurs, qui sont à la recherche d'outils pour ce qui concerne les copropriétés, s'appuient beaucoup sur ce qui est fait à Paris.

À cet égard, je salue la décision qui a été prise de permettre l'octroi de prêts à taux zéro directement à la copropriété, et non plus à chaque propriétaire. Nous avons contribué à l'élaboration de cet outil. Il reste à vérifier que celui-ci va bien fonctionner. Une telle affectation d'un prêt de cette nature facilite grandement les démarches et donne un argument à ceux qui essaient d'agir à l'échelon de la copropriété.

Pour autant, aujourd'hui, la seule incitation ne suffira pas pour atteindre les objectifs que se sont fixés la France et l'Europe dans le domaine de la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation énergétique. À un moment, il faut oser passer à la réglementation. Certes, il ne s'agit pas de « taper » sur tous les copropriétaires et de les sanctionner s'ils ne rénovent pas leur bâtiment d'ici à trois ans.

La directive sur l'efficacité énergétique est en cours de discussion entre les différentes institutions européennes. En la matière, la France peut évidemment jouer un rôle lors du Conseil européen. Il faut tout mettre en oeuvre pour que l'on puisse passer de la simple incitation à l'adoption de mesures réglementaires permettant d'agir de façon plus efficace, que ce soit en termes de réglementation, mais aussi d'outils financiers, afin de favoriser la prise de décision par une copropriété.

Par ailleurs, une copropriété regroupant une multitude d'acteurs, il en résulte une complexité supplémentaire. N'oublions pas non plus la différence de revenu qui peut exister entre les différentes personnes concernées. De surcroît, il y a des propriétaires bailleurs, des propriétaires occupants, des locataires et leurs intérêts ne sont pas les mêmes. Par conséquent, il convient de trouver, en quelque sorte, une juste répartition des droits et des devoirs.

Le Grenelle de l'environnement prévoit de créer une ligne supplémentaire sur la quittance permettant de faire contribuer le locataire au titre des travaux de rénovation thermique à hauteur de 50 % du montant des économies de charge réalisées. Cette mesure me semble équilibrée. Certes, en fonction de la situation de précarité dans laquelle se trouve tel ou tel, on peut faire varier le système. Mais l'idée de partager la charge entre propriétaire et locataire paraît juste. En effet, si le propriétaire paie l'investissement alors que le locataire bénéficie des économies d'énergie réalisées, le système se bloquera forcément : le propriétaire ne sera pas incité à entreprendre des travaux. À un moment donné, tous les acteurs doivent bien avoir un intérêt à agir. Il convient de partager de façon équitable les économies d'énergie réalisées.

J'en viens aux actions possibles. Pour notre part, nous pensons nécessaire d'instaurer à un moment quelconque une obligation de diagnostic thermique sur tous les bâtiments afin de connaître véritablement l'état du bâti.

La Ville de Paris a commencé à agir de façon « macro » sur son territoire. Elle a réalisé une thermographie aérienne qui a consisté à photographier les toitures. Mais, comme le bâti parisien est élevé du fait de la densité de population, nous disposons de peu d'éléments relatifs aux étages inférieurs. C'est pourquoi une thermographie de façade a été effectuée sur 500 bâtiments représentatifs des différents bâtis parisiens. Ainsi nous avons aujourd'hui une base de données assez importante sur les économies d'énergie potentielles.

Désormais, un Parisien, en tapant son adresse sur un site Internet, peut obtenir directement la thermographie de son bâtiment, si toutefois celui-ci a été photographié. Et si tel n'est pas le cas, il pourra se référer à un bâtiment de même style, construit à la même période, ce qui lui permettra de se faire une idée des endroits où se situent les principales déperditions énergétiques. Cette pratique, qui n'est cependant qu'un outil de sensibilisation et d'orientation générale, permet d'inciter à réaliser le diagnostic.

En tout cas, si l'on veut réussir à mener un jour une action concrète, il faudra, selon un échéancier donné, obliger les propriétaires qui veulent mettre soit en vente, soit en location leur bien, à réaliser préalablement les travaux de rénovation thermique nécessaires. On pourrait, par exemple, prévoir que, d'ici à 2017, tous les bâtiments de classe G devront être rénovés puis qu'il en sera de même d'ici à 2019 pour tous ceux de classe F. Certes, les modalités du dispositif peuvent faire l'objet de discussions.

Un tel dispositif doit être accompagné de mesures de financement. En effet, si l'on n'apporte aucune aide financière, nombre de propriétaires ne seront pas capables d'entreprendre les travaux. L'étude de différentes copropriétés nous a permis d'établir un constat. Le plus souvent, la pertinence d'agir sur un bâtiment peut être démontrée. Ainsi, il peut être fort probable que les travaux de rénovation thermique d'un bâtiment donné seront amortis sur les cinquante prochaines années par les économies d'énergie réalisées et par la valorisation du patrimoine. Mais, même si, sur la table, l'équation paraît pertinente et si le propriétaire en convient, lorsque celui-ci s'est lourdement endetté pour acquérir son appartement, il rétorquera qu'il ne pourra pas réaliser les travaux. La question est donc de savoir comment externaliser l'endettement.

L'idée de mettre en place des dispositifs de tiers investisseur est donc apparue. Cette pratique développée à l'étranger - avec les Energy saving companies - est rentable, mais peu répandue en France. On peut se demander pour quelles raisons on a toujours pensé dans notre pays que l'énergie n'était pas chère et qu'il n'était donc pas nécessaire de l'économiser !

Quoi qu'il en soit, un grand nombre de collectivités de l'Île-de-France se sont déclarées favorables à un tel dispositif, sous le pilotage du conseil régional. Afin de l'expérimenter, elles sont en train de mettre en place une société d'économie mixte de tiers investissement, dénommée Énergies Posit'if. L'idée consiste à prendre en charge le bâtiment considéré pendant une période donnée, à réaliser les travaux d'économie d'énergie adéquats et à se rémunérer sur ces économies ; une fois les investissements compensés, le reste des économies d'énergie est affecté à la copropriété. Le système doit être neutre pour les propriétaires.

Ce type de simulation se heurte à une difficulté : il faut essayer d'anticiper le prix qu'atteindra l'énergie dans dix, quinze ou vingt ans. Pour l'instant, personne ne le sait autour de cette table.

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