Intervention de Jean-François Conil-Lacoste

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 9 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-François Conil-lacoste directeur général de powernext et d'epex spot

Jean-François Conil-Lacoste, directeur général de Powernext et d'EPEX SPOT :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord à vous remercier de m'avoir invité à cette audition, qui permettra peut-être de clarifier un certain nombre de sujets. C'est bien volontiers que je vais tenter de répondre aux questions que M. le rapporteur vient de rappeler.

Pour faciliter la présentation de mon propos et le débat qui s'ensuivra, nous avons préparé un fil conducteur sous la forme d'un document relié, qui vous a été remis.

Je commencerai donc par répondre à la première question, qui porte sur l'historique et le rôle économique de Powernext.

Sans reprendre toute sa genèse, je dirai que Powernext est née du besoin d'organiser les échanges sur le court terme dans le cadre de la libéralisation du marché de l'électricité en Europe et, partant, en France, à la suite de la transposition en 2000 de la directive européenne de 1996 sur la libéralisation des marchés de l'énergie.

Ainsi, Powernext a été créée en 2001, juste après la mise en place de l'autonomie du gestionnaire du réseau de transport, RTE s'étant en quelque sorte émancipé d'EDF, et la création du régulateur de l'électricité, devenu depuis régulateur de l'énergie, lequel nous a portés sur les fonts baptismaux en juillet 2001.

Nous avons ensuite développé une référence de prix sur le marché français en participant à l'organisation d'un marché spot, sur le rôle duquel nous reviendrons, et également d'un marché à terme en 2004. Nous avons considéré, dans le cadre du processus d'intégration du marché européen, que le rapprochement avec nos partenaires allemands faisait sens. En 2008, avec mon homologue allemand, M. Menzel, nous avons donc fusionné nos activités électriques pour donner naissance à une nouvelle bourse, EPEX SPOT, dont je suis ici aussi représentant, en tant que directeur général, au même titre que de Powernext. Ces deux structures sont basées à Paris, au 5, boulevard Montmartre.

EPEX SPOT assume aujourd'hui l'organisation des marchés électriques spot day-ahead et intraday - je reviendrai plus tard sur le sens de ces termes - en France, en Allemagne, en Autriche ainsi qu'en Suisse, et apporte également un certain nombre de services à des bourses de pays de l'est tels que la Hongrie.

Néanmoins, son coeur de métier est la gestion des marchés organisés day-ahead et intraday, c'est-à-dire respectivement la veille pour le lendemain et le jour même, dans les pays que j'ai cités en premier. Sa fonction économique essentielle consiste donc à faciliter les transactions de court terme sur l'électricité en organisant la libre confrontation de l'offre et de la demande de la manière la plus transparente et la plus large qui soit. Il s'agit donc de rassembler un très large spectre d'acteurs, de sorte que le débat sur le prix se déroule de la façon la plus démocratique et pertinente possible.

De ce processus doit sortir quotidiennement un prix de référence de l'électricité spot en France pour chacune des vingt-quatre heures de la journée du lendemain, lequel aide ensuite les acteurs économiques à prendre des décisions économiques en toute responsabilité.

Le rôle de la bourse est donc de faciliter l'accès à ce marché - faciliter l'accès aux urnes, en quelque sorte -, de développer la liquidité, et de faire en sorte qu'il y ait un véritable débat, profond, large et transparent au bénéfice du consommateur final.

En outre, les marchés gérés par EPEX SPOT permettent aux acteurs de préparer leur équilibre emplois-ressources. Chacun sait que l'électricité ne se stocke pas et qu'il faut donc équilibrer en permanence injection et soutirage. Le rôle de la bourse, puisque nous sommes maintenant dans un système horizontal et non plus vertical, est précisément d'aider à faire cet équilibrage, en fonction des réseaux électriques de transport, en France, en Allemagne, en Suisse et en Autriche.

Il est important de noter que le rôle de cette bourse, au-delà de dégager un prix de référence, est aussi d'équilibrer les réseaux de transport. Nous reviendrons plus tard sur l'aspect temporel de cette activité, entre le day-ahead, l'infra-journalier, etc.

Tout cela s'inscrit résolument dans le processus d'intégration du marché européen. Nous avons repris dans le slide 3 une citation de l'ancien commissaire européen à l'énergie, Andris Piebalgs, qui nous avait fait l'honneur de présider la conférence de presse au cours de laquelle nous avions annoncé la fusion des marchés électriques français et allemands au sein d'EPEX SPOT, bourse détenue, je le rappelle, à 50 % par Powernext et à 50 % par son homologue allemand EEX. Aux yeux de M. Piebalgs, il était très important qu'un prix de référence indiscutable se révèle à la suite d'un débat le plus large possible. À cet égard, il considérait le rôle de la France et de l'Allemagne comme absolument fondamental.

Par ailleurs, le Conseil européen a décidé, le 4 février 2011, que l'achèvement du marché intérieur de l'électricité était une priorité, afin de garantir à tous les citoyens européens une « énergie sûre, durable, financièrement abordable, raisonnable, dont l'approvisionnement est garanti » et qui contribue à la compétitivité européenne.

Dès lors, il a fixé un objectif particulièrement ambitieux en termes de calendrier puisqu'il ne s'agit de rien moins que de créer un marché intégré de l'électricité interconnecté pleinement opérationnel en 2014, c'est-à-dire demain. À cet égard, nous reviendrons sur le rôle que les bourses jouent au premier plan, avec les gestionnaires de réseaux de transport, dans l'élaboration de ce marché intégré, au travers du couplage des marchés. Nous verrons que le prix de référence aujourd'hui en France résulte aussi de ce couplage. À mon sens, on ne peut pas parler du marché français sans l'inscrire résolument dans cette dynamique européenne à laquelle on ne peut pas échapper, tout comme on ne peut pas échapper à une audition d'une commission d'enquête.

J'en viens au slide 4, qui détaille l'actionnariat de Powernext, détenteur de 50 % d'EPEX SPOT, et qui a remanié un peu son tour de table à l'occasion de la fusion de la fin de l'année 2007. La majorité de son capital est détenue par une holding de gestionnaires de réseaux de transport, dont RTE, qui y est majoritaire, les deux autres étant, depuis l'origine, Elia et TenneT, les gestionnaires de réseau belge et hollandais. Le reste des actionnaires, ce sont des acteurs du marché tels qu'EDF et GDF Suez. Par ailleurs, comme Powernext a cédé ses activités électriques en les plaçant au sein d'EPEX SPOT, elle se consacre désormais au marché du gaz français spot et à terme, lancé en novembre 2008. C'est la raison pour laquelle on retrouve au tour de table de Powernext les gestionnaires de réseau de gaz GRTgaz et TIGF, filiale de Total.

Côté EEX, il y a également eu un peu de remaniement, mais la majorité reste détenue par Eurex, filiale à terme de Deutsche Boerse. On constate donc un équilibre assez intéressant entre deux mondes : le monde financier, représenté par Eurex, qui a la majorité d'EEX, et le monde industriel électrique, représenté par les gestionnaires de réseaux de transport chez Powernext.

EPEX SPOT et Powernext ont leur siège social à Paris, tandis qu'EEX est basée à Leipzig, et ces sociétés sont très interactives. EPEX SPOT, qui compte quarante-cinq employés, reçoit notamment beaucoup d'aide de Powernext en matière d'IT - Information technology - et au plan commercial. Son chiffre d'affaires en 2011 a été de 34,3 millions d'euros. L'activité de la maison-mère, Powernext, se résume aujourd'hui à un suivi très rapproché d'EPEX SPOT, mais aussi au développement du marché du gaz et d'autres investissements. Elle compte trente-cinq employés, et a réalisé, en 2011, un profit net d'un peu plus de 5 millions d'euros.

Monsieur le rapporteur, j'en viens à votre deuxième question, qui concerne la place de la bourse dans la coordination temporelle du marché, illustrée par le slide 5. Il faut savoir que l'organisation du marché aujourd'hui en Europe n'est pas la même qu'en Australie ou au Japon. Dans ce dernier pays, le marché électrique est toujours verticalement intégré, mais les autorités réfléchissent à sa réorganisation, peut-être en s'inspirant du modèle européen. À cet égard, j'ai reçu récemment le directeur énergie et ressources naturelles du ministère de l'industrie japonais, que M. Pierre Bornard a, lui aussi, vu longuement.

En ce qui concerne l'Europe, nous sommes passés d'une organisation en silos, verticalement intégrée selon le schéma production-transport-commercialisation, à une organisation horizontale, au sein de laquelle ont d'abord été séparés la production et le transport. De ce fait, nous avons fait apparaître un marché de gros et ce qu'on appelle le trading, à savoir le négoce d'électricité pour fluidifier les échanges. C'est une organisation radicalement différente de celle qui prévalait autrefois en France et qui prévaut encore aujourd'hui au Japon, par exemple.

La pierre angulaire de ce dispositif est le marché spot veille pour le lendemain, que l'on appelle day-ahead. Nous organisons une enchère tous les jours de l'année, y compris les jours fériés. Aujourd'hui, l'heure de cette enchère est harmonisée avec celle de nos voisins dans le cadre du couplage des marchés européens. C'est à midi que cela se passe ! Nous allons bientôt avoir les résultats du jour, aux alentours de midi et demi. Tous les jours de l'année, une enchère réunit donc les offres et les demandes de mégawatt-heures, pour livraison sur chacune des vingt-quatre heures de la journée du lendemain.

Ce marché est essentiel car il répond au tempo du réseau de transport, lequel a besoin, un jour à l'avance, de savoir comment équilibrer injection et soutirage. Il s'agit d'un grand rendez-vous, où l'essentiel des échanges va se faire dans les meilleures conditions économiques possible, pour faciliter la vie du gestionnaire de réseau de transport. Ce marché a donc d'abord une mission d'équilibrage en termes de volume, et le prix qui en sortira sera fonction des volumes qui vont se confronter sur chacune de ces vingt-quatre heures. Il s'agit vraiment de la pierre angulaire du marché.

Si un acteur a raté ce grand rendez-vous, il peut se rattraper sur ce que l'on appelle l'infra-journalier, lequel est encore relativement modeste, puisqu'il représente globalement 13 % des échanges sur les marchés interconnectés en Europe, mais seulement 5 % à 10 % en France. Ce marché, qui est continu et non à enchères, est accessible jusqu'à quarante-cinq minutes avant la livraison. Il donne ainsi une chance aux acteurs, qui n'ont pas pu équilibrer leur portefeuille emplois-ressources, de le faire dans des conditions économiques plus tendues. Et si ce n'est pas possible, au dernier moment, en raison d'un aléa ou parce qu'une production attendue n'a pas pu être réalisée pour des raisons techniques, le gestionnaire du réseau de transport intervient lui-même en temps réel, en utilisant ses réserves primaires, secondaires, tertiaires, à un coût qui va être indexé sur le prix spot, mais qui peut être extrêmement lourd pour l'acteur en déséquilibre.

Le pilier central est donc le marché day-ahead, veille pour le lendemain, où l'essentiel des échanges se fait, dans les meilleures conditions économiques possibles, grâce à un large débat sur le prix et les volumes. Puis intervient le recours au marché infra-journalier, lequel devient de plus en plus liquide, notamment à cause du renouvelable intermittent - on y reviendra plus tard -, grâce auquel il peut être procédé, au dernier moment, à ce qu'on appelle le fine-tuning. Cet outil va prendre de plus en plus d'importance. Après, le relais est transmis au gestionnaire de réseau de transport, qui, lui, va résoudre les derniers déséquilibres.

De l'autre côté du spectre se trouve le marché à terme, lequel va proposer des contrats en continu, qui peuvent être hebdomadaires, mensuels, mais surtout annuels. Ils permettent aux acteurs de se couvrir contre le risque de prix à échéance d'un mois, d'un trimestre, d'une année ou de deux années. C'est un marché à la logique totalement différente, mais EPEX SPOT ne s'en occupe pas. Nous n'intervenons que sur les marchés day-ahead et infra-journalier.

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