Intervention de Pierre-Marie Abadie

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 9 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de Mm. Pierre-Franck Chevet directeur général de l'énergie et du climat et pierre-marie abadie directeur de l'énergie au ministère de l'écologie du développement durable des transports et du logement

Pierre-Marie Abadie, du développement durable, des transports et du logement :

directeur de l'énergie au ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je procéderai à une présentation assez rapide.

En ce qui concerne le marché français de l'électricité, il convient de rappeler, même si cela peut paraître un lieu commun, que les prix de l'électricité en France sont sensiblement inférieurs à la moyenne des prix européens. Cette situation est due en partie à l'existence d'un parc électro-nucléaire construit dans de bonnes conditions dans les années 1980 et maintenant en phase d'amortissement ; elle est également due à un réseau de transport et de distribution dont le rapport qualité-prix est plutôt performant par rapport à celui des réseaux de nos principaux voisins.

Je tiens à souligner ce dernier point. Cet avantage relatif s'explique par des raisons structurelles : le réseau de transport a été construit de manière très homogène et en lien direct avec les outils de production ; il en va de même pour le réseau de distribution, bien que l'on entende souvent déplorer la dégradation de la qualité de ce réseau ces dernières années par rapport au passé - cette dégradation est réelle, mais la qualité de notre réseau reste l'une des meilleures au niveau européen : le seul pays qui nous dépasse dans ce domaine est l'Allemagne, pour un coût beaucoup plus élevé. En termes de rapport qualité-prix, le coût de nos infrastructures a donc été meilleur que dans les autres pays.

S'agissant des sources, je précise que les données d'Eurostat permettent une comparaison au niveau européen des prix de l'électricité pour les ménages : la France est effectivement l'un des pays de l'Union européenne où l'électricité est la moins chère pour ces derniers. Parmi les pays où l'électricité est encore moins chère figurent la Bulgarie, l'Estonie, la Roumanie, la Lettonie, la Lituanie, dont je n'exclus pas qu'ils présentent soit des mix électriques très particuliers - par exemple, une centrale nucléaire très amortie -, soit des modes de régulation qui font que tous les coûts ne sont pas reflétés par le prix. Quoi qu'il en soit, la France est l'un des pays de l'Union européenne où l'électricité est la moins chère : en France, le particulier paie le mégawatt-heure 138 euros, toutes taxes comprises, et la moyenne européenne, France non comprise, s'établit à 189 euros, d'où l'écart de 36 % ou 40 % souvent évoqué. En Allemagne, le particulier paie 253 euros : ce chiffre s'explique par un mix électrique plus cher, de nombreuses taxes et le fait que la fameuse Energiewende, la mutation énergétique, est essentiellement payée par les particuliers.

En ce qui concerne les prix payés par les industriels, l'écart est plus faible, mais la France reste bien située : elle est très proche d'un pays comme la Suède, qui présente la particularité d'un mix électrique composé d'hydroélectricité, de biomasse et de nucléaire. En France, le prix moyen du mégawatt-heure payé par les industriels s'établit à 85 euros tout compris - production, transport, distribution et commercialisation agrégés -, le prix moyen dans l'Union européenne, France non comprise, s'établit à 114 euros, soit un écart de 30 % à 36 %. Le prix moyen s'établit à 125 euros en Allemagne : l'écart avec la France est donc plus faible, ce qui traduit le fait que les Allemands font nettement moins payer le coût de leur système énergétique à leurs industriels. En termes de compétitivité, il s'agit d'un vrai sujet de réflexion.

La construction actuelle des tarifs réglementés de vente est fixée par un décret du 12 août 2009. La CRE est systématiquement consultée sur les projets de tarifs. Dans ce domaine, sa dernière délibération remonte au 28 juin 2011 : elle constate que les tarifs réglementés de vente « couvrent effectivement les coûts comptables d'EDF sur chacun des segments tarifaires - bleu, jaune et vert - » et sont ainsi légèrement supérieurs aux coûts de production.

La loi NOME revêt une importance particulière dans ce paysage. En effet, EDF étant le seul bénéficiaire de la compétitivité du parc de production nucléaire, il pouvait vendre son électricité à un prix largement inférieur au prix du marché européen. Le coût de production du mégawatt-heure s'établissait, pour EDF, entre 35 euros et 40 euros, alors que le prix du marché s'élève aujourd'hui à 55 euros, mais il a pu monter à plus de 60 euros ou de 70 euros. Les concurrents d'EDF n'étaient donc pas en état de fournir des offres à des prix comparables aux tarifs réglementés de vente.

Cette situation soulevait plusieurs difficultés.

Premièrement, la Commission européenne nous reprochait la fermeture de notre marché de l'électricité, en l'absence de toute libéralisation. La Commission dénonçait simultanément une aide d'État déguisée aux industriels, puisque l'électricité leur était vendue à un prix inférieur aux prix de marché.

Deuxièmement, les innovations en aval se trouvaient limitées puisque seul EDF était capable d'atteindre le client final. Les autres opérateurs qui auraient pu développer des idées innovantes ne pouvaient pas concurrencer EDF puisqu'ils n'avaient pas d'électricité à vendre à des prix compétitifs.

Troisièmement, enfin, l'intégration au marché européen risquait d'être remise en cause à terme, alors qu'elle est absolument essentielle, surtout dans une perspective de transition énergétique et de développement des énergies renouvelables. En effet, comme vous le savez, les énergies renouvelables sont caractérisées par l'intermittence de leur production, parfois excessive, parfois insuffisante : si l'on peut répartir cette volatilité sur le marché européen le plus large possible, le coût de ces énergies se trouve réduit d'autant. Par exemple, l'Espagne est très peu interconnectée avec le reste de l'Europe : parfois, elle produit beaucoup trop d'énergie et est obligée de stopper ses éoliennes, alors qu'elle aurait envie d'exporter chez nous cette électricité qui est très peu chère ; parfois, elle manque d'électricité, au risque de se trouver en rupture d'approvisionnement : elle doit alors importer de l'électricité de France, celle-ci étant plutôt d'origine nucléaire. Plus l'interconnexion est développée, plus ces facteurs d'inefficacité disparaissent. S'intégrer au marché européen est donc également important pour développer les énergies renouvelables.

C'est donc dans ce contexte qu'a été élaborée la loi NOME que M. le président Poniatowski connaît bien. (Sourires.)

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