Intervention de Pierre-Marie Abadie

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 9 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de Mm. Pierre-Franck Chevet directeur général de l'énergie et du climat et pierre-marie abadie directeur de l'énergie au ministère de l'écologie du développement durable des transports et du logement

Pierre-Marie Abadie, du développement durable, des transports et du logement :

Certainement ! M. le sénateur Lenoir doit également la connaître par coeur, eu égard aux fonctions qu'il a exercées dans le cadre d'un autre mandat !

Cette loi vise à garantir au consommateur le bénéfice de la compétitivité du parc électronucléaire français, au lieu de le réserver aux électriciens, tout en permettant le développement de la concurrence en aval, là où elle est le plus susceptible d'apporter des innovations : dans les services - la domotique, l'efficacité énergétique - ou dans la tarification, pour faire payer le vrai prix de l'électricité à la pointe par rapport à la base, par exemple. Enfin, comme je l'ai indiqué, cette loi doit aussi permettre une intégration du marché français au marché européen.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi NOME, les tarifs ont continué à évoluer : le TaRTAM, dispositif transitoire, a disparu et les industriels ont pu bénéficier d'un prix de l'ARENH qui équivalait au TaRTAM. Le législateur a choisi de garantir une continuité entre ces deux dispositifs parce que, comme nous le verrons tout à l'heure, nous savons que les tarifs de l'électricité vont connaître une tendance haussière : fixer le coût de l'ARENH à un niveau inférieur au TaRTAM n'aurait donc eu aucun sens, pas plus que de le fixer à un niveau supérieur, car le TaRTAM - un peu par hasard, il faut le reconnaître -, respectait assez bien la réalité des coûts. Il n'y avait donc pas de raison d'associer l'entrée en vigueur de la loi NOME à une hausse des tarifs puisque celle-ci sera progressive dans le temps.

Les clients résidentiels bénéficient donc des tarifs réglementés de vente, d'une part, et des offres des opérateurs privés qui se fournissent au prix de l'ARENH, d'autre part. L'observatoire de la CRE montre que ces offres évoluent en cohérence avec les tarifs réglementés de vente.

Le ministre avait développé devant vous les éléments structurels d'évolution des tarifs dans les années à venir. Il faut bien avoir en tête que, depuis le milieu des années 1990, les tarifs réglementés de vente avaient plutôt tendance à baisser et ont commencé à augmenter à partir du début des années 2000, essentiellement au rythme de l'inflation. Cette évolution traduit la fin d'un cycle d'investissements, non seulement dans la production d'électricité, mais également dans le transport et la distribution.

Dans les années à venir, nous allons entrer progressivement dans un cycle d'investissements massifs, rendant indispensable la hausse des tarifs réglementés de vente : le fait est connu et a déjà fait l'objet de nombreux débats.

Une partie de ces investissements est déjà engagée depuis les années 2006 et 2007. EDF a dû vous présenter des documents en ce sens : la courbe des investissements dans l'outil de production et, plus globalement, dans tout le système électrique, commence à se redresser à cette date. Ce redémarrage est observé pour l'outil de production nucléaire, mais aussi pour le transport - à la suite des tempêtes de la fin des années 1990, un programme de sécurisation a été engagé - et la distribution - depuis la deuxième moitié des années 2000, un effort d'investissement est entrepris pour rétablir la qualité de la distribution, qui s'était légèrement dégradée.

Pour le futur, le parc électronucléaire va devoir engager de nouveaux investissements pour faire face aux enseignements tirés de Fukushima, d'une part, et pour permettre l'allongement de la durée de vie des centrales au-delà de quarante ans, d'autre part.

À ce stade, il faut avoir présent à l'esprit que tous les postes constitutifs des tarifs - la production nucléaire, la production non nucléaire, le transport, la distribution - exigent des investissements importants dans les années à venir : il ne faut donc en négliger aucun pour bien appréhender l'évolution tarifaire. La composition des tarifs peut se détailler ainsi : la production d'énergie représente un gros tiers, l'acheminement un autre tiers, la CSPE ne représente que 7 % mais est en hausse - elle englobe la péréquation, le coût d'achat pour la cogénération et les énergies renouvelables -, enfin, le poids des différentes taxes reste relativement stable.

Vous avez demandé à plusieurs reprises au ministre de préciser l'évaluation de la hausse à venir des tarifs. Il est difficile de répondre à cette question : en effet, si nous savons que chaque poste va augmenter, nous ignorons dans quelles proportions.

En ce qui concerne la production nucléaire, nous commençons à disposer d'ordres de grandeur avec les premiers résultats des stress tests, mais le travail permettant d'évaluer l'importance des investissements à réaliser pour tirer les leçons de Fukushima est encore en cours de réalisation. Il faut prendre en compte les enjeux techniques, mais aussi les enjeux industriels : dans quel délai le tissu industriel pourra-t-il s'adapter pour réaliser les nouveaux équipements, conduire les travaux, assurer l'ingénierie ?

En ce qui concerne les énergies renouvelables, l'évolution des tarifs dépend du rythme de développement et, notamment, du volume d'équipements photovoltaïques réalisés, car ceux-ci représentent un coût très élevé, pour une production d'énergie assez faible. Une inconnue forte demeure quant au nombre total de dossiers qui seront effectivement réalisés parmi ceux qui ont été accumulés entre 2009 et 2011. Nous ne connaîtrons pas avant un an, environ, le nombre définitif : ceux qui veulent nous rassurer, en termes budgétaires, nous disent qu'il y en aura très peu ; d'autres assurent que la quasi-totalité sera retenue ; la vérité sera vraisemblablement entre ces deux extrêmes, mais je serais incapable de donner une quelconque estimation aujourd'hui.

En ce qui concerne le transport et la distribution, la CRE doit calculer un nouveau TURPE qui s'appliquera au début de l'année 2013. Ce chantier est très lourd ; de nombreux paramètres doivent être pris en compte : certains sont déterminés par la CRE, mais il faut aussi évaluer le niveau des investissements dans le transport et la distribution. Puisque vous êtes aussi des élus locaux, vous savez que des commissions départementales doivent se réunir pour identifier la totalité des investissements nécessaires dans le réseau de distribution : le niveau exact des investissements va être connu progressivement, espérons-le avec le maximum de précision, dès 2012, mais l'exercice exigera vraisemblablement plusieurs années. Le niveau exact de l'augmentation du TURPE reste donc à déterminer et la CRE y travaille.

Enfin, cette évolution s'inscrit dans un contexte international haussier. En effet, des pays voisins doivent également réaliser de lourds investissements et le coût de l'électricité augmentera aussi chez eux. Pour nous, la hausse des tarifs en valeur absolue est, certes, importante, mais la hausse relative est capitale pour la compétitivité de notre économie : il faut donc faire en sorte que la hausse du prix de l'électricité soit plutôt moins rapide chez nous que chez nos voisins. Par exemple, les Britanniques doivent renouveler un quart de leur parc ; les Allemands, quant à eux, ont décidé de sortir du nucléaire et doivent réaliser des investissements de l'ordre de 17 gigawatts dans le charbon, sans compter tous leurs investissements dans les énergies renouvelables. Nous devrions parvenir à rester compétitifs, mais nous devons rester vigilants.

Dans l'Union européenne, tous les pays ne connaissent pas la même situation et l'on a trop souvent tendance à uniformiser les problématiques. Le Royaume-Uni doit assumer un programme de renouvellement massif de son outil de production : l'investissement capitalistique est important, mais c'est aussi l'occasion pour nos amis britanniques de repenser leur mix électrique puisqu'il va être renouvelé en profondeur. Ils ont fait le choix d'une économie décarbonée et leur objectif essentiel est la réduction des émissions de CO2, en utilisant tout l'éventail des outils existants : le nucléaire, le captage et le stockage de carbone, les énergies renouvelables - essentiellement l'éolien offshore.

Les Allemands sont dans une situation légèrement différente. Ils doivent procéder à un renouvellement en profondeur de leur système électrique, mais en raison d'un choix politique, d'un choix de société, à savoir l'abandon du nucléaire, qui représentait un quart de leur production d'électricité. Ils ont choisi d'augmenter massivement la production d'énergie décarbonée, essentiellement le photovoltaïque et l'éolien, et de s'appuyer, dans la période de transition, sur le charbon et les centrales à gaz.

D'autres pays doivent faire face à des défis de renouvellement moindres. C'est le cas de la France, qui doit réaliser d'importants investissements, mais dont l'outil de production ne doit pas être renouvelé massivement, parce qu'il est encore relativement jeune. Les premières centrales à atteindre l'âge de trente ans étaient Fessenheim et Tricastin ; le seuil des quarante ans sera atteint pour la première fois en 2017. Nos investissements actuels portent essentiellement sur les énergies renouvelables - à l'horizon de 2020, nous devrions disposer de 19 gigawatts d'électricité éolienne -, mais il s'agit d'un effort de diversification et non d'un renouvellement massif de notre parc de production. Nous avons la chance de ne pas affronter des défis aussi lourds, en termes de dépenses, que les Allemands ou les Britanniques.

Face à la hausse prévisible, la direction générale de l'énergie et du climat estime qu'il importe de développer un accompagnement pour garantir la sécurité énergétique, la qualité de service et le développement industriel.

Notre première préoccupation consiste donc à garantir l'efficience du système électrique : les évolutions tarifaires ne seront compréhensibles par les consommateurs qui si nous leur assurons que nous avons fait, à tout moment, les meilleurs choix au regard de nos objectifs - lutte contre le changement climatique, protection de l'environnement, sécurité des approvisionnements et compétitivité - et dans tous les registres, qu'il s'agisse de la production, du transport, de la distribution, de la régulation et de la CSPE.

Notre deuxième préoccupation porte sur la protection des consommateurs les plus modestes. La question de la précarité énergétique a été traitée, essentiellement, par l'outil tarifaire - les tarifs sociaux pour l'électricité ou le gaz - et des mesures tendant à améliorer la maîtrise de la consommation d'énergie, comme le programme « Habiter mieux » pour la rénovation du bâti. Il faudra faire évoluer ces outils dans la durée : en effet, en raison de la hausse des tarifs, le nombre des personnes en situation de précarité énergétique augmentera. Il convient donc de définir les bons outils afin de toucher les bonnes populations et cet exercice s'avère difficile.

D'une part, il faut traiter les fragilités par des tarifs protecteurs bénéficiant aux populations qui en ont effectivement besoin, il faut éviter les « trous dans la raquette », alors que certaines populations échappent aujourd'hui aux dispositifs sociaux parce qu'elles n'utilisent ni le gaz, ni le chauffage collectif, ni l'électricité, mais le propane ou le butane ; à une époque, les consommateurs de fuel domestique étaient concernés par ces dispositifs, mais tel n'est plus le cas. Dans ce domaine, certaines idées ont été développées, comme le « chèque énergie ».

D'autre part, il ne faut pas s'enfermer uniquement dans des méthodes palliatives se limitant aux tarifs, mais traiter le problème au fond, en améliorant l'isolation thermique et la performance énergétique du bâti, parce qu'il s'agit souvent de gens qui consomment beaucoup, leur logement étant à la fois mal équipé et mal isolé.

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