Intervention de Pierre-Marie Abadie

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 9 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de Mm. Pierre-Franck Chevet directeur général de l'énergie et du climat et pierre-marie abadie directeur de l'énergie au ministère de l'écologie du développement durable des transports et du logement

Pierre-Marie Abadie, du développement durable, des transports et du logement :

Je ne reviens pas sur les comparaisons de prix au niveau européen. Je m'attarderai juste quelques instants sur un graphique intéressant, celui qui détaille la facture d'électricité d'un particulier en France, en Espagne et en Allemagne.

La partie relative à la fourniture, autrement dit la production, montre la performance du parc français, puisqu'elle se situe à 51,4 euros par mégawatt-heure, contre 90 euros en Espagne et 85 euros en Allemagne. Voilà, en gros, la différence entre un modèle fondé sur un mix de marché, où tout le monde est à peu près au même prix, et le nôtre, qui aboutit à un prix décalé.

Par ailleurs, l'acheminement coûte plus cher en France qu'en Espagne, car il y est plus performant, mais moins qu'en Allemagne, où la qualité est encore un peu meilleure, notamment en termes de distribution. Le soutien aux énergies renouvelables représente, lui, 6,3 milliards d'euros dans notre pays - les chiffres sont ceux du second semestre 2011 ; le montant sera de 10 milliards d'euros -, contre 35 milliards d'euros en Allemagne. Je précise que la facture d'électricité intègre également d'autres taxes, pour rebondir sur votre remarque, monsieur le rapporteur. Les Allemands ont en effet fait peser sur l'électricité et l'énergie toute une série de mesures fiscales.

Les comparaisons que nous avons effectuées portent également sur le coût des différentes filières. Celles-ci nous donnent notamment une vision un peu plus détaillée des parties relatives à l'investissement, à l'exploitation, au combustible.

Pour faire simple, il y a, d'un côté, les énergies à fort taux de CAPEX, ou capital expenditure : le photovoltaïque, l'éolien, mais aussi le nucléaire puisque le coût du combustible y est très faible. Il y a, de l'autre, au contraire, des filières comme celle des cycles combinés gaz, ou CCG, où les coûts d'investissement sont faibles tandis que le prix du combustible, le gaz en l'occurrence, est en proportion très important. Les modes de fonctionnement sont donc très différents.

Il convient tout de même de faire attention avec de telles comparaisons, car un certain nombre d'éléments ne sont pas comparables. Les centrales nucléaires, biomasse, à gaz, au charbon sont capables de fonctionner très longtemps : entre 6 000 et 7 000 heures dans une année, qui équivaut à un peu plus de 8 000 heures. Les installations éoliennes ou photovoltaïques fonctionnent, elles, par intermittence, donc pendant beaucoup moins d'heures.

Je ne suis pas en train de dire, comme le font souvent les anti-ENR, que, derrière chaque éolienne, se cache une centrale au gaz. Mais n'oublions pas le coût de l'intermittence dans notre analyse. Pour rendre les différentes filières comparables, à service rendu égal, il faudrait ajouter 10 ou 15 euros au coût des installations que je viens d'évoquer.

Dans le cadre des différents enjeux, il apparaît que l'éolien terrestre est une filière mature, avec des prix connus, autour de 80 euros par mégawatt-heure. Le photovoltaïque, a contrario, l'est beaucoup moins : les coûts varient extrêmement vite, pour des raisons non seulement structurelles, mais aussi, parfois, conjoncturelles, parce que cette économie repose en grande partie sur la subvention. Dès qu'un pays arrête de subventionner, le marché chute d'un coup et les prix s'effondrent. De plus, l'irruption des Chinois n'a pas été anticipée : s'agit-il d'une évolution structurelle ou conjoncturelle ? La question est posée. Ce marché est très volatil.

Je passe plus rapidement sur les tarifs pour la petite hydroélectricité et pour les installations de cogénération, ceux-ci connaissant une stabilité relative.

J'évoquerai maintenant de nouveau la précarité énergétique, pour laquelle vous nous avez demandé un certain nombre de données chiffrées.

En la matière, il nous faut rester modestes, car la précarité énergétique reste un phénomène mal évalué, qui n'est pas observé du tout de la même façon suivant les pays. Le Médiateur de l'énergie et le président de la CRE ont récemment organisé, en partenariat avec l'université Paris-Dauphine, un colloque sur la précarité énergétique, auquel j'ai participé. Ce fut l'occasion de bien mettre en évidence cette diversité des situations, y compris en termes de perception.

Ainsi, en Allemagne - je peux en témoigner, car c'est un pays que je connais bien -, la précarité énergétique enregistre une nette croissance, mais elle ne constitue pas aujourd'hui une problématique politique. Alors que les indicateurs montrent une montée moindre chez nous, c'est dans notre pays un vrai sujet.

Pourquoi un tel écart ? Outre, peut-être, un degré différent d'acceptabilité des prix de l'énergie, il y a aussi le fait que le coût de l'énergie, en Allemagne, ne se mesure pas seul : il est intégré à un bloc de dépenses, autour du logement. La perception n'est donc pas la même selon que le marché du logement est plus ou moins tendu.

En France, ont été mis en place le tarif de première nécessité pour l'électricité et son équivalent pour le gaz. Il y avait potentiellement 650 000 bénéficiaires en 2010. Or, clairement, certaines personnes n'étaient pas « atteintes » par le dispositif. Nous avons donc prévu une automaticité dans l'attribution des tarifs, pour accéder à ces populations fragiles. Au-delà de l'aspect technique de la mesure, le constat de la réalité nous a servi de leçon : ces mêmes populations sont difficiles à atteindre.

La précarité énergétique ne se traite donc pas uniquement au niveau de la direction générale de l'énergie et du climat, des services locaux, des associations. Tous les acteurs doivent être mobilisés en même temps pour pouvoir toucher les publics concernés.

Il n'y a pas de corrélation nette entre revenu et consommation électrique. C'est d'ailleurs pour cela que, au-delà de la question des tarifs, il faut traiter le fond du sujet, à savoir l'efficacité énergétique des bâtiments où vivent les personnes précaires. Celles-ci ne disposent pas de réelles capacités d'investissement : il peut s'agir de propriétaires pauvres ou de locataires dont les bailleurs ne sont pas intéressés par d'éventuels travaux d'entretien ou d'amélioration. Tout l'enjeu est de maintenir ces logements et de les améliorer.

Je laisse à Pierre-Franck Chevet le soin de répondre à la question 4 sur le CO2.

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