La création du marché européen de quotas de CO2 a constitué une première au niveau international. C'est probablement l'une des seules zones au monde où fut mis en place un système permettant d'avoir des informations sur les prix du CO2.
Comme vous pouvez le constater, le diagramme présentant l'évolution des prix sur ce marché a, pour le dire librement, une drôle de tête ! Mais il est parlant, car nous pouvons y voir toutes les fluctuations subies sur la période, avec une granulométrie quasi complète.
Ce diagramme fait apparaître deux réalités.
Premièrement, la crise « réelle », si je peux m'exprimer ainsi, joue sur les prix du CO2. Une fois que des quotas ont été attribués, si les choses vont mal, cela relâche la contrainte pesant sur les entreprises, ce qui est alors justifié ; à l'inverse, dès que la situation économique repart, cette contrainte réapparaît fortement. Dans les deux cas, l'évolution de la régulation du CO2 répond à un équilibre qui n'est pas illogique.
Deuxièmement, il ressort qu'un certain nombre de hausses ou de baisses sont directement liées à ce qu'a dit ou n'a pas dit la puissance publique. Je rappelle qu'il ne s'agit pas d'un marché naturel, puisque tiré entièrement par la contrainte CO2 posée par les États. C'est un marché, certes, mais administré. Dans le cadre de ses recommandations sur la régulation des échanges de quotas de CO2, M. Michel Prada avait, assez logiquement, souligné la nécessité pour les États de veiller à bien communiquer sur le sujet : à l'évidence, une communication bien maîtrisée joue sur les marchés. Ce point est important.
Il convient de tenir compte du contexte. Ce n'est pas très visible sur le diagramme, mais, sur la dernière période, au début de 2011, on devine un léger sursaut, un petit palier brutal, dû à Fukushima, qui rappelle l'importance de la question du CO2. Il y a aussi un effet d'emballement ou de contrainte rapide sur les marchés d'hydrocarbures, avec, pour conséquence, une hausse des prix du CO2. Juste après cet événement « réel », s'ouvre une période que l'on a résumée par l'expression « efficacité énergétique ». Sous ce vocable peut-être un peu bizarre se cache l'annonce d'une directive, toujours en cours de discussion, mais qui devrait, je l'espère, bientôt aboutir, sur l'efficacité énergétique. Quelque part, cette annonce, tirant dans le sens de la baisse des émissions de CO2, a finalement doublonné la contrainte et a quelque peu « affaibli », aux yeux des opérateurs, les obligations pesant sur la partie CO2, autrement dit la partie industrielle. C'est la raison pour laquelle nous avons assisté à une baisse des prix. Depuis lors, la baisse constatée est simplement l'effet de la crise.
Au niveau européen, une question se pose, sans être totalement tranchée : au regard d'une telle évolution, que faut-il faire ?
Une première tentation serait de réguler fortement tout le marché, le faire monter dès qu'il y a une baisse, et réciproquement. C'est à la fois logique et contradictoire avec l'objectif assigné à un marché. Un autre extrême serait de ne strictement rien faire. Si c'est pour reproduire ce genre de séquences sur la durée d'ici à 2020, le signal-prix ne sera bon pour personne, y compris pour les industriels.
La France soutient l'idée selon laquelle il y a au moins deux certitudes. D'une part, pour ne plus connaître de tels dysfonctionnements, les États membres doivent bien entendu faire preuve d'un minimum de discipline quant à la transmission de certaines informations : voilà une règle de base à respecter, indépendamment du débat du fond. D'autre part, le point principal est la nécessité de donner un signal pour 2030. Nous sommes en 2012 : le système ne peut plus reposer sur le seul horizon 2020. Comme l'a montré notre discussion sur le nucléaire, mais c'est vrai partout, un investissement industriel ne se décide pas en huit ans. Il faut au moins vingt années de discussions préalables, soit une demi-vie d'installation industrielle, quelle qu'elle soit.
L'Europe, pas seulement la France, se doit de donner un signal sur ses intentions en la matière, sur le degré de contraintes qu'elle va imposer, sur les objectifs visés, au moins en termes de CO2 global et peut-être aussi de CO2 industriel. C'est le minimum à exiger.
Il y a d'autres réflexions en cours, plus ouvertes, et ce sur tout un tas de mécanismes. Je mentionnerai la création éventuelle d'une autorité européenne indépendante de régulation de ce marché. À mon sens, une telle instance ne peut fonctionner que si elle dispose d'un cadre d'action et d'objectifs définis. Mettez-vous à la place des responsables d'une autorité de régulation qui aurait été créée pour l'occasion, mais sans recevoir d'instructions précises de la part des États membres, notamment sur l'objectif d'un prix plancher. Que peut-on conclure du diagramme s'il n'y a pas d'instructions des États membres ?
Ce marché du CO2 présente des points négatifs et positifs.
Points négatifs : il connaît des imperfections, une certaine volatilité, et se caractérise par un signal faible. Cela ne permet pas d'avoir une vision claire sur tout ce qui doit être fait en matière énergétique, pas seulement par la France d'ailleurs. Je rejoins ce que Pierre-Marie Abadie disait tout à l'heure à propos de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne ; il faut absolument que les différents pays travaillent sur le sujet.
Points positifs : c'est le seul marché au monde qui, dans ce domaine, sur une telle période, a pu fonctionner, sans que ce soit anecdotique, et nous donner des indications intéressantes. Il ne faudrait pas le détruire simplement parce qu'il est imparfait.
Les États membres se doivent véritablement de chercher à l'améliorer, en envoyant un signal pour 2030 s'ils veulent atteindre les objectifs fixés. Telle est, en tout cas, la position que nous défendons actuellement.