Intervention de Denis Merville

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 9 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Denis Merville médiateur national de l'énergie

Denis Merville, médiateur national de l'énergie :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord vous remercier d'avoir pensé à auditionner le médiateur national de l'énergie. Il est vrai qu'il a fallu trouver une date en raison de petits problèmes de santé, mais je suis très heureux et très honoré d'être ici aujourd'hui.

Je suis accompagné de M. Bruno Lechevin, délégué général, de M. Stéphane Mialot, directeur des services, et de Mme Katia Lefeuvre, chargée des relations institutionnelles.

Vous nous aviez transmis ces questions, ce qui nous a permis de les préparer et de pouvoir vous répondre avec les éléments qui sont les nôtres.

Le médiateur national de l'énergie est l'expression de la volonté du législateur. C'est la loi du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie qui est à l'origine de sa création, en prévision de l'ouverture à la concurrence des marchés de l'électricité et du gaz le 1er juillet 2007 pour tous les clients résidentiels.

La loi précise les deux missions du médiateur : d'une part, recommander des solutions aux litiges entre les consommateurs et les opérateurs, c'est-à-dire les fournisseurs et les distributeurs ; d'autre part, participer à l'information des consommateurs d'électricité et de gaz naturel sur leurs droits et, plus généralement, sur le nouveau contexte dans lequel ils vivent depuis cette époque.

Par la création, en 2006, d'un médiateur national de l'énergie avec cette double mission, la loi française n'a fait qu'anticiper, dans l'intérêt des consommateurs, les objectifs communautaires de protection des consommateurs définis par les directives européennes du troisième paquet « énergie ».

On peut dire que la France est pionnière en Europe dans le domaine de la protection des droits des consommateurs d'électricité et de gaz.

Depuis ma nomination, au mois de novembre 2007, je constate une multiplication des réclamations et des sollicitations, soit directement par courrier et courriel, soit par le biais de notre centre d'appels, Énergie-info, service d'information des consommateurs que nous gérons et que nous cofinançons avec la Commission de régulation de l'énergie, la CRE. En 2011, nous avons eu 410 000 appels.

En 2011, mes services ont enregistré près de 18 000 réclamations, ce qui correspond à une augmentation de plus de 60 % par rapport à 2008.

J'expliquerai ce nombre élevé de réclamations par les deux principales raisons suivantes : d'une part, les dysfonctionnements et la complexité induits par la séparation fournisseur-distributeur, qui a nécessité une refonte des organisations et des systèmes d'information des groupes EDF et GDF-Suez et, d'autre part, l'augmentation importante du prix de l'énergie, qui a incité les Français à s'intéresser davantage à leurs factures, d'autant plus que le contexte économique et social actuel est difficile.

J'ajouterai peut-être qu'il y a aussi la notoriété du médiateur. Quand il n'y avait pas de médiateur, il n'y avait pas de réclamation. La première année, quand il était peu connu, il y avait beaucoup moins de réclamations. Et maintenant... Mais c'est notre mission d'informer et d'être là pour répondre aux sollicitations des consommateurs.

De ma nomination jusqu'à la fin de l'année 2011, j'ai émis 2 334 recommandations. Le rythme s'accélère, et - je le voyais encore tout à l'heure - nous ne sommes pas loin de 3 000 recommandations.

Il y a des recommandations particulières, ponctuelles, pour traiter des problèmes rencontrés par certains consommateurs avec des fournisseurs ou des distributeurs, et il y a des recommandations génériques.

J'ai toujours pensé que le médiateur était là pour apporter, modestement peut-être, sa contribution à un meilleur fonctionnement des marchés et qu'il fallait, au-delà du traitement des cas particuliers, prévenir les litiges similaires en mettant en évidence des dysfonctionnements. Je me souviens avoir émis, parmi les premières recommandations, celles sur les délais de remboursement de sommes indûment payées ; cela m'avait choqué de voir que les personnes avaient payé parfois 1 500 euros ou 1 600 euros et qu'il fallait neuf mois ou un an pour rembourser. Depuis, on l'a dit, et la loi NOME a modifié ou accéléré les choses.

C'est, je le crois, une vision de l'intérêt général de la médiation.

Nous le constatons quotidiennement au travers des courriers et des appels de consommateurs, près de cinq ans après l'ouverture à la concurrence du marché de l'énergie, nombre de Français peinent toujours à trouver leurs repères.

D'après les résultats du cinquième baromètre annuel Énergie-info, seuls 42 % de nos concitoyens savent qu'ils peuvent choisir leur fournisseur d'électricité et 37 % leur fournisseur de gaz. Pourtant, et c'est un paradoxe, lorsqu'on les interroge, les consommateurs nous répondent que l'énergie est un sujet de préoccupation important pour les trois quarts d'entre eux.

Cette étude révèle qu'il y a donc un grand pas entre la perception du marché et la réalité. Les deux tiers des personnes interrogées n'ont pas entendu parler des tarifs réglementés de vente. Une grande confusion perdure à propos des fournisseurs historiques. Ce baromètre montre que 30 % seulement des consommateurs savent que EDF et GDF-Suez sont deux entreprises différentes et concurrentes. Et quand on les interroge sur le rôle du distributeur, ils ont du mal à s'exprimer.

Force est de constater que le système s'est complexifié avec l'ouverture à la concurrence. Il convient de simplifier et de clarifier l'organisation des marchés.

Dans les premiers mois de ma prise de fonctions, on a vu le système ; il y avait à l'époque la non-réversibilité. Nous avions certainement un système qui était parmi les plus complexes en Europe, puisque ce qui était possible pour l'électricité ne l'était pas pour le gaz, ou nécessitait un délai de six mois... les gens ne s'y retrouvaient pas. Dès le départ, en tant que médiateur, j'ai dit qu'il fallait insérer de la confiance et permettre cette réversibilité, ce qui est possible aujourd'hui ; je crois que cela va dans le bon sens. Cela a été une avancée importante. Comme je le demande depuis 2008, la possibilité de revenir aux tarifs réglementés, dans tous les cas, sans condition de délai, est désormais acquise.

Je crois qu'il est absolument nécessaire de poursuivre les efforts d'information et même de pédagogie auprès des consommateurs pour faire progresser la connaissance de leurs droits. Car il ne peut y avoir de marché sain et efficace sans confiance, dans l'intérêt des consommateurs, mais également des divers opérateurs.

Les consommateurs français sont d'ailleurs peu nombreux à avoir changé de fournisseur. À la fin du mois de décembre 2011, les fournisseurs historiques restaient omniprésents sur leur créneau avec 94 % des parts de marché pour EDF dans l'électricité et 91 % des parts de marché pour GDF-Suez dans le gaz.

Jusqu'à récemment, et depuis les années quatre-vingt-dix, les prix de l'électricité évoluaient une seule fois par an à un niveau proche ou inférieur à l'inflation. Depuis 2009, des augmentations plus significatives et plus fréquentes ont été observées, essentiellement liées à l'augmentation des charges de service public.

Cette tendance haussière à un rythme plus fréquent, largement médiatisée, suscite une inquiétude compréhensible chez les consommateurs, qui subissent par ailleurs des hausses beaucoup plus importantes encore avec les autres énergies. Je pense au gaz, qui a augmenté de 60 % entre 2005 et 2011, sans parler de l'essence ou du gazole, qui a augmenté de 64 % entre 2001 et 2011.

Si l'ensemble des consommateurs sont impactés par ces augmentations, il est certain que les ménages vulnérables sont les plus touchés : soit ils ont des difficultés à payer leurs factures, soit ils se privent de chauffage. Nous recevons des courriers en ce sens. Des personnes nous disent effectivement avoir renoncé à se chauffer pendant plusieurs mois. Si cela peut être acceptable au printemps ou à l'été, à condition qu'il fasse beau, ça ne l'est pas quand on arrive à des périodes hivernales.

À l'occasion de la mise en place de l'observatoire national de la précarité énergétique en 2011, la ministre de l'écologie indiquait que 6,5 millions de nos concitoyens avaient déclaré avoir souffert du froid durant l'hiver 2010-2011.

Cela étant, la libéralisation des marchés et la loi NOME ont-elles eu un impact sur l'évolution du prix de l'électricité ? C'était la question que vous nous posiez.

Selon moi, à ce jour, la réponse est non. Ces changements n'ont pas eu d'effet direct sur les prix de l'électricité des clients domestiques : les tarifs réglementés - il y a tout de même 94 % des Français qui en bénéficient encore - ont augmenté essentiellement en raison de la hausse des taxes et des contributions ; j'y reviendrai. Quant aux offres de marché pour les clients domestiques, elles sont pour la plupart à un prix inférieur ou égal aux tarifs réglementés, sur lesquels elles sont d'ailleurs indexées.

Il convient toutefois de souligner que la réorganisation du secteur, en particulier la modification des systèmes d'information, a coûté plusieurs milliards d'euros aux fournisseurs et aux distributeurs. Ces coûts n'ont toutefois pas été automatiquement répercutés sur la facture d'électricité, car des économies ont été réalisées, mais parfois au détriment de la qualité de service : réduction des investissements dans les réseaux, fermeture de nombreuses agences, réduction des plages horaires d'ouverture des services à la clientèle...

Dans le rapport que j'ai remis au ministre chargé de l'énergie au mois de décembre 2010 sur les méthodes de facturation des fournisseurs et le traitement des réclamations, je recommandais que les opérateurs du secteur recréent une relation clientèle, sinon de proximité, du moins plus personnalisée. La disparition des accueils physiques et la mise en oeuvre de serveurs vocaux interactifs doivent-elles être considérées comme une évolution inéluctable des relations commerciales dans le secteur de l'énergie ? À mon sens, certainement pas. Je crois qu'il y a une forte demande de proximité. On le voit dans les courriers que nous recevons. On l'a vu dans les enquêtes qui avaient été menées à l'époque. On regrette souvent un peu de la proximité ou de la personnalisation, que ce soit pour les élus ou les associations de consommateurs.

Comment alors expliquer la hausse récente des prix de l'électricité pour les clients domestiques ? Comme vous le savez sans doute, les taxes et contributions représentent aujourd'hui de l'ordre de 30 % de la facture d'électricité.

Le développement des énergies renouvelables et la péréquation tarifaire dans les zones insulaires contribuent à l'envolée de la contribution aux charges de service public de l'électricité, la CSPE, payée par tous les consommateurs : celle-ci a augmenté de 66 % en 2011. De nouvelles hausses sont déjà prévues - au 1er juillet prochain, ce sera une hausse de 1,50 euro par mégawatt - ou sont à prévoir.

Voilà pour la première série de questions que vous posiez, monsieur le rapporteur.

Vous m'avez également interrogé sur la situation du consommateur français d'électricité au niveau européen.

Les statistiques dont nous disposons sont celles qui sont publiées par Eurostat pour 2009. Ce n'est pas le médiateur lui-même.

Selon la direction générale de l'énergie et du climat, la DGEC, le prix de l'électricité payé par les consommateurs français est inférieur de près de 40 % en moyenne à celui qui est payé par les autres consommateurs européens. Les consommateurs allemands paient leur électricité près de 85 % plus cher. Ainsi, en France, la facture moyenne annuelle d'électricité est de 700 euros environ contre 1 250 euros en Allemagne.

Rappelons pour mémoire que la consommation moyenne annuelle d'électricité d'un ménage français est de 5 mégawatts et de 8,5 mégawatts en cas de chauffage électrique.

Ainsi, en 2010, un ménage français consacrait en moyenne 2 900 euros à l'énergie. Ce budget se répartissait grosso modo de la manière suivante : 1 600 euros pour l'énergie domestique et 1 300 euros pour les carburants.

Selon une enquête de l'Institut national de la consommation, le budget moyen annuel consacré à l'électricité et au chauffage a augmenté - je dirais presque « bondi » - de 32 % en dix ans, entre 2000 et 2010, la facture énergétique mensuelle passant de 115 euros à 150 euros. Sur la même période, l'inflation a augmenté de 18 %.

Selon Réseau de transport d'électricité, ou RTE, et la CRE, lorsque la température baisse d'un degré Celsius, la consommation électrique française à la pointe augmente de 2 300 mégawatts, soit la puissance d'un peu plus de deux réacteurs nucléaires. Cette hausse de consommation représente à elle seule la moitié de la hausse totale observée en Europe dans ce cas.

La pointe de consommation d'électricité lors de vagues de froid telles que celle de l'hiver dernier croît très fortement et fragilise le réseau électrique. La pointe s'explique par le fait que le tertiaire s'additionne au domestique. L'équipement en radiateurs électriques des logements français participe largement à cette très forte thermosensibilité. Certaines régions sont plus touchées que d'autres. Vous savez qu'il y a des appels aux économies d'énergie et au civisme lancés par l'Association des maires de France pour faire en sorte que les collectivités et les bâtiments publics réduisent leur consommation aux heures où nos concitoyens sortent des bureaux.

Le chauffage électrique est un mode de chauffage plus sensible aux problèmes de pointe et d'extrêmes pointes. Il n'est pas nécessairement critiquable en lui-même. Le problème majeur provient essentiellement du fait qu'il a souvent été installé dans des habitations mal isolées, pour des raisons de moindre coût d'investissement. Équiper de chauffage électrique des logements qui sont de véritables « passoires énergétiques » n'est pas efficace et conduit en réalité à augmenter la facture d'électricité des ménages les plus démunis. Se pose alors la question de la précarité énergétique, que j'évoque régulièrement et qui nécessitera des investissements très importants. Mais j'aurai l'occasion d'y revenir dans quelques instants.

Ajoutons à cela que les politiques publiques d'incitation à l'isolation thermique sont difficilement lisibles pour nos concitoyens, car elles changent fréquemment au gré des lois de finances. D'où un effet relativement limité sur l'amélioration de l'habitat. Nous sommes à une époque où nos concitoyens doivent remplir leur déclaration d'impôts ; quand on regarde ce qui est déductible ou ce qui l'a été ces dernières années, il y a tout de même des changements qui sont très fréquents, et il n'est pas facile parfois, pour les élus que vous êtes, de pouvoir conseiller nos concitoyens.

Vous avez posé une autre série de questions pour savoir si les tarifs actuels de l'électricité paraissaient refléter fidèlement le « coût réel » de l'électricité.

En tant que représentant d'une autorité administrative indépendante, je ne peux pas concevoir que les tarifs réglementés de l'électricité ne reflètent pas le coût réel de l'électricité, ainsi qu'en dispose la loi. (Sourires.) Toujours est-il que je n'ai, en tant que médiateur, aucun moyen de le vérifier, mais ce sujet dépasse le cadre de mes missions.

En revanche, nous savons, notamment d'après les calculs de la CRE, que le niveau de la contribution aux charges de service public de l'électricité ne couvre pas les coûts réels.

Vous savez comme moi que la CSPE a été instaurée en 2003, qu'elle a connu une évolution notable en 2011, avec une augmentation de 66 %, qu'elle s'élève actuellement à 9 euros par mégawatt et passera à 10,50 euros par mégawatt au 1er juillet prochain et jusqu'au 31 décembre. Reconduite automatiquement par la loi à 4,50 euros par mégawatt depuis 2006, la CSPE ne permet plus depuis 2009 de couvrir les charges qu'elle est censée financer, c'est-à-dire le soutien à la cogénération et aux énergies renouvelables, la péréquation tarifaire dans les zones insulaires et les dispositifs sociaux en faveur des clients en situation de précarité.

La compensation intégrale des charges prévisionnelles 2012 - elle est de 5,2 milliards d'euros, dont 4,3 milliards d'euros correspondent aux charges prévisionnelles au titre de 2012 et environ 0,9 milliard d'euros à la régularisation de l'année 2010 - nécessiterait une contribution unitaire de service public de l'électricité estimée par la CRE à 13,70 euros par mégawatt. La loi de finances pour 2011 limite toutefois la hausse de la CSPE d'une année sur l'autre à 3 euros par mégawatt. Il en résulte pour EDF un défaut de compensation au titre de l'année 2010 de l'ordre de 1 milliard d'euros, qui s'ajoute à ses charges 2012.

Selon la CRE, le retard accumulé sera rattrapé d'ici à 2016 sous réserve que les hausses maximales possibles soient mises en oeuvre chaque année. La CSPE serait alors de 19,50 euros par mégawatt, ce qui représenterait une augmentation de plus de 10 % de la facture globale par rapport à aujourd'hui, sans compter les hausses qui interviendront par ailleurs sur les autres composantes de la facture d'électricité.

Je souhaite également attirer votre attention sur une autre taxe qui figure sur la facture de tous les consommateurs d'électricité, la contribution tarifaire d'acheminement, la CTA, dont le niveau ne couvrirait pas non plus le coût réel. Cette contribution, qui a été instaurée en 2004 et qui représente environ 1 milliard d'euros par an, a pour vocation de financer les droits spécifiques du régime de retraite des agents des industries électriques et gazières dans les activités en monopole.

Au mois de septembre 2010, la Cour des comptes faisait état dans son rapport annuel sur la sécurité sociale de plusieurs préconisations relatives au régime de ces industries. Elle relevait alors : « L'organisation de la protection sociale dans les industries électriques et gazières se caractérise par une complexité excessive, manquant de cohérence et souvent porteuse de déséquilibres financiers au détriment de la collectivité. Le surcoût supporté par le régime général de sécurité sociale atteint au moins 500 millions d'euros par an ». Afin d'assurer l'équilibre financier, la Cour des comptes recommandait une augmentation de la CTA, qu'elle estimait inéluctable à court terme. On nous dit qu'il manquerait environ 100 millions d'euros par an.

En tout état de cause, et nous y reviendrons, je ne vois que des perspectives d'évolution à la hausse des prix de l'électricité.

Dans ce cadre, il convient, de mon point de vue, de ne pas opposer le fait de faire payer le vrai prix au consommateur en général et l'accompagnement spécifique des consommateurs les plus vulnérables. On peut même aller encore plus loin : seule une aide significative au paiement des factures des plus précaires permettrait d'obtenir une acception sociale des hausses de prix à venir.

Il ne faudrait pas non plus opposer tarif social ou aide au paiement des factures avec les économies d'énergie. L'énergie la moins chère, c'est celle qui n'est pas dépensée. La réduction de la précarité énergétique repose sur deux piliers : d'une part, les aides au paiement des factures et, d'autre part, des aides à la rénovation de l'habitat.

N'accorder que des aides au paiement des factures, ce serait creuser un puits sans fond pour la collectivité. Se contenter des aides à la rénovation de l'habitat alors que des millions de logements doivent être rénovés - dans le plan bâtiment Grenelle, il y a tout de même 800 000 logements qui sont particulièrement énergivores -, ce qui demandera de nombreuses années et des budgets importants, plongerait nombre de concitoyens dans des situations difficiles, voire dramatiques.

Pour l'un comme pour l'autre, il convient d'éviter le « saupoudrage » et de mettre en oeuvre des politiques publiques ambitieuses et sur le long terme.

Dans un premier temps, nous proposons d'améliorer significativement les aides au paiement des factures d'énergie.

Certes, des mesures ont été mises en place ces dernières années par les pouvoirs publics. Je pense d'abord au tarif de première nécessité, le TPN, et au tarif spécial solidarité, le TSS, à leur récente revalorisation et à leur attribution automatique, dans le cadre de la loi NOME. Tout cela va dans le bon sens. Mais je crois que ce n'est pas à la hauteur des enjeux. Je rappellerai que le TPN est possible uniquement pour les consommateurs qui sont chez le fournisseur historique. Et on voit des consommateurs dénoncer les alternatifs alors que, en définitive, c'est le texte actuel.

Avec l'automatisation qui a pris un peu de retard, cela concerne environ 1 million de foyers alors que 3,2 millions de ménages sont en situation de précarité d'après les chiffres officiels, un chiffre qui pourrait atteindre les 4 millions vu le contexte économique et social.

Les coûts de gestion et de distribution sont également supérieurs à 10 % des sommes alloués, un ratio qui n'est pas au niveau d'une aide sociale efficace : 10 % de frais de gestion, c'est lourd pour la distribution d'une telle aide.

Afin d'élargir le nombre de bénéficiaires, les sommes qui leur sont allouées et en simplifier la distribution, nous avons proposé de substituer aux tarifs sociaux un « chèque énergie ». Cela mérite bien sûr d'être précisé, au sein des groupes de travail qui avaient été mis en place par Mme la ministre de l'écologie.

Pour nous, ce chèque serait distribué par un organisme spécial, par exemple la caisse d'allocations familiales, la CAF. Cela éviterait les démarches pour ces consommateurs en difficulté. Cela apporterait un appui financier plus important. Et on pourrait évidemment tenir compte des besoins de chauffage de la famille, du foyer, en fonction de sa situation géographique, car il est évident qu'il y a des écarts dans la facture d'énergie selon les régions dans lesquelles nos concitoyens vivent.

Nous sommes favorables à inciter l'ensemble des consommateurs, vulnérables ou pas, à faire des économies d'énergie. Je l'ai évoqué tout à l'heure, et je crois que là-dessus, il y a aussi beaucoup à faire.

Et nous avons plaidé, avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, pour que tous les consommateurs aient accès gratuitement à une information en temps réel sur leur consommation, dans le lieu de vie, lors de la mise en place des compteurs évolués. Vous savez que le principe en a été décidé, il y a des expériences, mais si votre compteur se trouve dans votre garage ou dans votre cave, vous n'êtes pas informé de votre consommation. Et cela doit être sur le lieu de vie, ce qui vous permettrait à ce moment-là de pouvoir régler et donc éventuellement consommer moins. Moi, je prends souvent l'image de l'ordinateur que nous avons dans notre voiture : si vous roulez plus vite, votre consommation augmente ; si vous avez une consommation plus écologique, votre consommation baisse et c'est affiché. Donc, aller voir dans son garage ou dans sa cave, je crois que ça n'irait pas dans le sens des économies d'énergie.

Sur l'évolution future des prix et la communication par la Commission de régulation de l'énergie d'une perspective d'augmentation de 30 % des tarifs réglementés, je crois que nous partageons l'avis de bien des experts du secteur. L'augmentation du prix de l'énergie est inéluctable, et ce dans ses trois composantes : la fourniture, l'acheminement et les taxes. En effet, quel que soit le scénario d'évolution du « mix énergétique » qui sera décidée, l'augmentation continue de la demande énergétique et le vieillissement des réseaux vont nécessiter des investissements importants qui se retrouveront inévitablement sur les factures d'énergie.

Je crois que la question n'est donc pas de savoir si les prix augmenteront, mais comment, dans quelle proportion et à quel rythme.

J'évoquais tout à l'heure les multiples changements intervenus ces dernières années, les évolutions à plusieurs périodes de l'année. Nous préconisons, dans un souci de simplicité et de pédagogie, que les évolutions soient regroupées une seule fois par an, afin de ne pas donner le sentiment aux consommateurs d'un système incontrôlé, avec des hausses à répétition, qui sont souvent, je le disais, fort médiatisées.

Afin de permettre à chacun d'anticiper les hausses à venir, peut-être faudrait-il un calendrier prévisionnel pluriannuel. Un tel calendrier serait possible dans l'électricité, contrairement au gaz, car les prix sont moins sensibles aux variations des cours mondiaux et davantage liés à des investissements de long terme.

Enfin, comme je le soulignais, il convient d'accompagner ces hausses de mesures d'aide pour les plus démunis et de donner à chaque consommateur les moyens d'économiser l'électricité, que ce soit au travers d'incitations fiscales à l'amélioration de l'habitat, au déploiement massif de services gratuits permettant de suivre ses consommations, comme devrait le proposer le projet Linky, ou de grandes campagnes de sensibilisation conduites par des organismes publics ou parapublics ; je pense par exemple à l'ADEME.

Votre dernière série de questions concernait les énergies renouvelables.

La CRE a estimé les charges dues aux énergies renouvelables en 2020 avec l'hypothèse que les objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements seront atteints pour l'ensemble des filières et dépassés pour le photovoltaïque. Les charges sont estimées à 7,5 milliards d'euros, soit 110 euros sur la facture d'un client résidentiel moyen et 200 euros sur la facture d'un client qui se chauffe à l'électricité.

Comme je le soulignais en réponse à la question précédente, les aides au paiement des factures devront nécessairement être revalorisées avec de telles hausses. Si nous prenons l'exemple d'un ménage qui se chauffe à l'électricité, sa facture moyenne annuelle est de 1 500 euros. Si ce même ménage est éligible au TPN, le montant du rabais sur sa facture ne peut excéder 136 euros, ce qui est inférieur à sa contribution à la CSPE.

Pour rendre soutenables les hausses de la CSPE, comme de l'acheminement et de la fourniture, il faudra nécessairement renforcer l'effort de solidarité nationale. Rappelons que les aides au paiement de factures ne représentent actuellement que 2 % de la CSPE.

On pourrait également s'interroger sur l'opportunité de maintenir en l'état une solidarité nationale sur les prix de l'électricité qui ne soit pas fondée sur des critères sociaux. Je pense à la péréquation tarifaire dans les zones insulaires. Cela coûte chaque année à l'ensemble des consommateurs français plus de 1 milliard d'euros, un chiffre en forte hausse. Il s'agit de surcoûts de production à base d'énergies fossiles. Ne serait-il pas plus efficace de financer des chauffe-eau solaires thermiques dans les zones insulaires, qui s'y prêtent pour la plupart d'entre elles, plutôt que d'encourager l'installation de chauffe-eau électriques en heures creuses, alors même que les moyens de production ne s'y prêtent pas ? Il faut, me semble-t-il, y réfléchir.

Au-delà de l'évolution de la CSPE, son mécanisme actuel mérite aussi réflexion. Comme je le demandais tout à l'heure, est-il justifié de faire reposer l'essentiel du financement du soutien au développement des énergies renouvelables sur le seul consommateur d'électricité ?

Ne serait-il pas plus équitable, comme le recommande d'ailleurs la Cour des comptes, que le financement du soutien au développement des énergies renouvelables soit partagé par l'ensemble des consommateurs d'énergie, avec une contribution élargie a minima au gaz naturel, voire aux autres énergies ?

On peut également s'interroger sur le mécanisme d'incitation à la production d'électricité d'origine renouvelable, qui est aujourd'hui entièrement fondée sur une « collectivisation » des surcoûts. Un consommateur qui le souhaite, qu'il soit domestique ou entreprise, ne peut pas en pratique contribuer individuellement au développement des énergies renouvelables en payant plus cher de l'électricité dite verte. En effet, les mécanismes d'obligation d'achat n'ont pas permis le développement d'une offre crédible en France dans ce domaine : la plupart des consommateurs se sont détournés des offres d'électricité dites « vertes », car elles revenaient à leur faire payer deux fois l'électricité d'origine renouvelable.

Inciter à l'autoconsommation les petits producteurs serait également souhaitable. L'Allemagne est en train, avec des dispositions, de prendre un peu cette orientation. Aujourd'hui, en effet, une toiture photovoltaïque s'apparente davantage, pour le consommateur-producteur concerné, à un placement financier qu'à une mesure d'efficacité énergétique. Il y a même des campagnes d'information et de communication qui vont en ce sens.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, en conclusion, je dirais que la hausse des prix de l'électricité semble aujourd'hui inéluctable. Les Français le savent, et ils s'y attendent. Il serait vain de penser qu'il est possible d'y échapper.

Les pouvoirs publics doivent donc mettre en place des dispositifs d'accompagnement pour permettre aux foyers les plus vulnérables de faire face à la hausse de leur facture et des politiques publiques favorisant la maîtrise des consommations par l'évolution des comportements et l'amélioration de la performance énergétique des bâtiments. Et là, il y a beaucoup à faire ; je parle non seulement des logements, mais aussi de beaucoup de bâtiments publics. J'ai le sentiment que nombre de nos concitoyens, notamment élus, sont aujourd'hui favorables à des économies d'énergie, que ce soit pour des raisons environnementales ou pour des raisons financières.

(M. Jean-Pierre Vial remplace M. Ladislas Poniatowski à la présidence de l'audition.)

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