Intervention de Françoise Laborde

Réunion du 21 octobre 2009 à 14h30
Jardins d'éveil — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Françoise LabordeFrançoise Laborde :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à mi-chemin entre la crèche et l’école maternelle, les jardins d’éveil constituent une nouvelle approche en matière de politique d’accueil de la petite enfance, destinée à diversifier l’offre de garde proposée aux parents d’enfants âgés de deux à trois ans.

Les avantages de cette formule paraissent indéniables : un coût inférieur à celui d’une crèche ou d’une assistante maternelle, une structure d’accueil qui favorise la socialisation.

Certes, le jardin d’éveil est revendiqué comme une transition éducative qui facilite l’éveil de l’enfant. Il s’agit non pas de scolariser, mais de préparer les enfants à la vie en société, en leur donnant le choix des activités et en leur apprenant des règles de vie.

Mais il me semble, madame la secrétaire d’État, que ces missions sont précisément celles qui sont dévolues aux crèches municipales et aux crèches familiales.

Vous prévoyez très rapidement la création, à titre expérimental, de 8 000 places d’accueil en jardins d’éveil. Ce projet s’inscrit dans l’objectif du Gouvernement de créer au moins 200 000 offres de gardes supplémentaires d’ici à 2012, pour répondre aux besoins de l’ensemble des familles. Or 2012, c’est demain ! On ne peut que se féliciter d’une telle annonce si l’État consacre à ce projet les moyens nécessaires.

La France est aujourd’hui championne d’Europe de la natalité. Force est cependant de constater qu’il est difficile, pour les parents, de trouver un mode de garde pour leurs plus jeunes enfants et de concilier vie privée et vie professionnelle.

Cette difficulté est d’ailleurs sensible en milieu rural tout comme dans les zones urbaines. Elle touche l’ensemble des ménages et, en particulier, les plus modestes qui doivent arbitrer entre préserver les deux revenus ou sacrifier l’un des emplois, le plus souvent celui de la femme, pour assurer la garde de l’enfant en bas âge.

Notre pays manque d’équipements collectifs destinés aux enfants de moins de trois ans. Je citerai simplement quelques chiffres pour illustrer mon propos.

En 2005, en France, seuls 32 % des enfants de moins de deux ans étaient accueillis dans des établissements collectifs, contre 73 % au Danemark, 53 % en Suède, 42 % en Belgique ou 39 % en Espagne. Il manquerait donc dans notre pays entre 300 000 et 400 000 places d’accueil.

Cette pénurie de places contraint les parents qui optent pour un congé parental à utiliser ce dernier dans sa durée maximale de trois ans, alors que ces trois années sont souvent ressenties, dans le monde de l’entreprise, comme un obstacle au retour à l’emploi en termes de carrière et considérées comme trop longues, par les intéressés eux-mêmes, en termes d’épanouissement personnel.

Créé à l’origine pour favoriser l’épanouissement familial, le congé parental est désormais vécu comme un choix forcé, voire une contrainte.

D’ailleurs, les chiffres du ministère de la santé l’attestent : un tiers des 580 000 bénéficiaires s’arrêtent de travailler non par choix, mais parce qu’ils ne trouvent pas de mode de garde.

Le jardin d’éveil apparaît, dès lors, comme une structure intermédiaire entre la famille, la crèche ou l’assistante maternelle et l’école.

Dans ce contexte, elle semble tout particulièrement adaptée pour l’accueil des classes d’âges intermédiaires, après deux ans et avant les trois ans de l’enfant. En effet, la question de l’accueil des tout-petits, dès deux ans, en école maternelle reste encore très conflictuelle, en partie par manque de postes d’enseignants et donc de classes nécessaires à un accueil de bonne qualité pour les enfants.

Aussi, madame la secrétaire d’État, permettez-moi de vous faire part de mes inquiétudes et de mes interrogations, partagées tant par les parents que par les collectivités locales, quant aux modalités de mise en œuvre à grande échelle des jardins d’éveil.

Pourquoi favoriser une offre d’accueil concurrente à celle des crèches municipales alors qu’il faudrait déployer davantage de moyens pour accroître l’offre dans les structures existantes, par exemple dans la section des plus grands, qui ont fait leurs preuves, et dont le personnel est particulièrement bien formé ?

La question du personnel d’encadrement se pose, en effet, en termes non seulement qualitatifs mais aussi quantitatifs. Ainsi, le mieux-disant supposé du jardin d’éveil est très relatif. Un adulte pour douze enfants, c’est presque le même chiffre qu’à l’école maternelle, car il y a souvent une ATSEM – agent territorial spécialisé des écoles maternelles – en petite section, alors qu’à la crèche le rapport est de un pour cinq ou de un pour huit selon l’âge de l’enfant.

Les conditions de mise en œuvre du cahier des charges des jardins d’éveil sont un autre motif d’inquiétude, entraînant de grandes disparités selon que le jardin d’éveil sera rattaché à un centre de loisirs, à une crèche ou à une école maternelle. Dans ce dernier cas, il y aura forcément continuité du projet pédagogique entre les deux établissements, et il ne serait pas surprenant qu’insidieusement une forme de préscolarisation se mette en place dans les faits et dans les esprits, notamment celui des parents, créant ainsi une nouvelle forme d’élitisme.

Enfin, et c’est le plus alarmant, il est à craindre que la généralisation des jardins d’éveil ne remette en cause la gratuité de la scolarisation précoce, mise en place pour améliorer la réussite scolaire des enfants issus de milieux défavorisés, et qui concerne quand même 21 % des enfants de deux à trois ans.

Or il est impératif de préserver cette possibilité, car, si le tarif est certes plus attractif que celui d’une crèche, il n’en reste pas moins que les jardins d’éveil seront financés, en partie, par les familles.

La mise en place de cette nouvelle structure est donc, à mes yeux, ni plus ni moins qu’une forme de privatisation de l’école maternelle, un nouveau transfert de compétences vers les collectivités territoriales et, en définitive, un désengagement de l’État, ayant pour conséquence directe le renforcement des inégalités territoriales.

En cette période de crise, la mise en place d’un service public d’accueil de la petite enfance, gratuit et de qualité, serait plus que jamais nécessaire.

La question que je voudrais vous poser, madame la secrétaire d’État, est simple : comment comptez-vous garantir que les jardins d’éveil ne s’étendront pas aux plus de trois ans et qu’ils ne concurrenceront pas l’école maternelle ? Qui plus est, les enfants y seront accueillis à partir de deux ans pour une durée de neuf à dix-huit mois, c’est-à-dire jusqu’à l’âge de trois ans et demi, le jardin d’éveil empiétant ainsi sur la petite section d’école maternelle.

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