Intervention de Pascale Gruny

Commission des affaires européennes — Réunion du 14 avril 2021 à 14h00
Questions sociales travail santé — Socle européen des droits sociaux - communication de mmes pascale gruny et laurence harribey

Photo de Pascale GrunyPascale Gruny :

Effectivement, ce plan recouvre un certain nombre d'avancées et de points positifs. Son ambition sera-t-elle suivie d'effets ? Les quatre cinquièmes des initiatives qu'il comporte ne constituent pas des mesures législatives, mais des initiatives peu contraignantes, et une partie d'entre elles repose sur l'action et la bonne volonté des États membres.

Parmi les actions de la Commission énumérées dans ce plan, on compte beaucoup de recommandations, par exemple, relatives au cadre de qualité pour les stages, ou au revenu minimum, et de plans d'actions ou de stratégies sur l'économie sociale, les droits des enfants, etc. Par ailleurs, une grande partie des initiatives législatives prévues étaient soit déjà engagées, soit en cours de discussion. La liste d'actions est ainsi claire jusqu'en 2022, mais un certain flou s'installe à partir de 2023. Une évaluation du plan d'action n'est prévue que pour 2025.

Pour revenir sur la question centrale de la répartition des compétences, comme vous le savez, l'Union européenne vient principalement en appui des États membres, ne disposant, en matière sociale, que d'une compétence partagée pour certains aspects définis par les traités. Comme pour le domaine de la santé, il existe un enjeu en termes de subsidiarité pour la mise en oeuvre de ces politiques. La confédération européenne des syndicats, que nous avons entendue, nous a indiqué qu'elle souhaiterait voir cette question traitée dans le cadre de la Conférence sur le futur de l'Union européenne. C'est effectivement un sujet de réflexion intéressant, qui pourrait être abordé dans ce cadre, et sur lequel nous sommes ouverts.

En l'état actuel des choses, les initiatives sociales font l'objet de négociations difficiles au sein du Conseil et du Parlement européen, avec des lignes de fractures marquées entre les États membres. Bien que tous aient fait part de leur soutien au plan lors du Conseil du 15 mars dernier, des divergences sont apparues sur le degré d'intervention de l'Union européenne et l'ambition de certains objectifs. Plusieurs États membres - la Hongrie, la Pologne, la Croatie notamment - ont estimé que certains objectifs, bien que désirables, étaient trop ambitieux compte tenu de la crise découlant de la pandémie et de leur situation nationale.

Ces tensions reflètent la diversité des modèles sociaux dans l'Union. Les États membres les plus réticents sont, comme vous vous en doutez, les pays de l'Est, globalement opposés à l'élévation des standards sociaux, les pays dits frugaux, pour qui la compétence sociale n'est pas l'objectif premier de l'Union européenne, et les pays scandinaves, attachés à leur modèle de protection sociale et de négociation collective.

Ainsi, des textes sont bloqués, en négociation depuis plusieurs années. Je pense à la révision du règlement de coordination des régimes de sécurité sociale, dont le seizième trilogue vient d'échouer, ou à la directive sur la présence des femmes dans les conseils d'administration, en négociation depuis 2012. Les nouvelles initiatives législatives prévues dans ce plan d'action pourraient ainsi souffrir de ces oppositions, aujourd'hui exacerbées dans le contexte de crise économique.

Outre cette problématique liée aux compétences de l'Union, nous nous interrogeons sur le volet financier de ce plan. Le faire reposer sur les instruments financiers suffira-t-il ? La mise en oeuvre de ces crédits et leur consommation par les États seront-elles satisfaisantes ? Le secrétariat général aux affaires européennes (SGAE) nous a indiqué ne pas connaître de difficultés sur l'exécution française des crédits du FSE. On se souvient pourtant du FEAD et de ses complexités de mise en oeuvre. Certes, des améliorations ont été apportées au système de gestion français, mais nous nous faisons péniblement rembourser, aujourd'hui, les dépenses de la campagne 2017, avec un taux de corrections financières, certes en baisse, mais toujours élevé.

Par ailleurs, nous nous interrogeons sur la prise en compte des mesures de ce plan d'action par les plans nationaux de relance et résilience qui sont en passe d'être finalisés. Le volet social de ces plans de relance est en effet primordial. À cet égard, nous ne pouvons que regretter l'absence d'objectif social chiffré dans le cadre de la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR), contrairement aux dépenses pour l'environnement, avec un minimum de 37 %, ou le numérique, avec un minimum de 20 %.

S'agissant de la France, d'après les informations communiquées par le SGAE, environ 20 milliards d'euros seraient consacrés aux dépenses sociales dans le cadre de France Relance, dont près de 10 milliards d'euros seraient susceptibles d'être présentés au titre de la FRR.

Outre leur montant, la question de la lenteur du versement des aides européennes, dans le cadre du plan de relance, nous inquiète particulièrement pour les aspects sociaux de réponse à la crise.

Si le dispositif SURE (Support to mitigate Unemployment Risks in an Emergency) a rencontré un vif succès, certains acteurs, comme la Confédération européenne des syndicats, regrettent l'absence, dans ce plan d'action, de mécanismes européens de réassurance chômage pérennes. Seule une évaluation du dispositif SURE est pour l'instant prévue.

L'Europe sociale avance donc, mais souffre certainement d'un problème de lisibilité. Il est essentiel que l'Union européenne sache mettre en avant les apports européens dans ce domaine, qui est en prise directe avec la vie de nos concitoyens. Nous avons besoin d'avancées politiques fortes, comme pourrait l'être la directive sur les salaires minimaux.

Nous allons terminer cette communication en apportant quelques éclairages plus précis sur certaines initiatives législatives de ce plan, qui nous semblent essentielles et sur lesquelles nous pourrions travailler dans les prochains mois. Pour la plupart, il s'agit de textes qui pourraient être repris, voire aboutir, sous présidence française.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion