Intervention de Xavier Bertrand

Mission d'information enjeux de la filière sidérurgique — Réunion du 5 juin 2019 à 14h30
Audition de M. Xavier Bertrand président de la région hauts-de-france

Xavier Bertrand, président de la Région Hauts-de-France :

Votre mission est passionnante, tant par son thème que ses enjeux. Puissent le Législatif ensuite s'emparer de son sujet et l'Exécutif en tenir compte !

Au-delà de cette mission, je m'interroge sur la nécessité d'avoir, à l'avenir, de l'acier. La réponse est évidemment positive. Où le produira-t-on ? On pourrait rétorquer qu'il n'y a plus de marché européen et que la production d'acier mondial est vouée, à terme, à n'être localisée qu'en Asie. Sauf qu'on produit de l'acier pour moins cher en Asie depuis un certain temps déjà, sans avoir arrêté d'en produire en France et en Europe ! On ne saurait bien évidemment concurrencer toutes les formes d'acier, mais certains d'entre eux requièrent des savoir-faire spécifiques. Pourquoi continuerait-on à produire de l'acier en Allemagne et non plus en France ? C'est une question de volonté politique qui concerne l'industrie dans son ensemble. Il faut arrêter les beaux discours et prendre les mesures qui s'imposent pour non seulement sauvegarder, mais aussi renforcer notre tissu industriel. C'est possible grâce à un certain nombre d'actions claires qui bénéficieront, en retour, à l'ensemble de notre industrie nationale.

Une véritable stratégie industrielle existe-t-elle en France ? Encore faut-il clarifier au préalable les rôles de l'État, de l'Europe et des régions, que la Loi NOTRe a investies d'une fonction économique. J'ai d'ailleurs demandé au Ministre de l'Économie si le rôle de l'État était celui de stratège ou de pompier. Qui, au quotidien, règle les problèmes ? Les régions doivent aujourd'hui être investies de davantage de pouvoirs, de compétences et de moyens pour intervenir efficacement. La définition des filières stratégiques en lien avec l'Europe doit relever des États, à l'instar de ce qui est actuellement en cours avec le projet de batterie de futur. Si demain, la Région Hauts-de-France a des collaborations avec la Région Grand Est, rien ne remplacera la création d'un écosystème favorable à l'échelle gouvernementale et propice à la décision de créer une filière stratégique. Aujourd'hui, je souhaite que cette clarification se produise, dans le cadre de la prochaine étape de la décentralisation, à travers la différenciation et la définition incontournable d'une nouvelle stratégie économique impliquant de doter les régions de nouvelles compétences.

Il faudra aller très vite sur d'autres sujets. Si l'on baisse singulièrement les impôts de production, il faudra également que les collectivités territoriales fassent des efforts. Je suis prêt à renoncer, dans des implantations dans de nouveaux secteurs géographiques, à une part des recettes fiscales liées aux impôts de production, si tant est que je conforte ou maintienne l'emploi. Je reprendrai à cet égard un exemple concret que j'ai évoqué devant le Président de la République : je souhaite pouvoir bénéficier d'une fraction de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) aujourd'hui dévolue à l'État, en contrepartie de compétences que j'assumerai, et passerai un contrat avec l'État par lequel je m'engage à ne pas accroître la fraction qui me sera transférée. En revanche, si je décide, avec l'aval des conseillers régionaux, de développer l'industrie localement, je veux avoir la possibilité d'exonérer fiscalement sur cette CVAE sur cinq ou sept ans ; seule m'intéresse ici la création de valeur ou d'emplois. Dès lors, si les recettes fiscales seront obtenues à l'issue de la septième ou huitième année, les emplois seront, quant à eux, créés immédiatement ! Une telle démarche permet, en retour, de conduire une politique d'aménagement du territoire. Installer une industrie de services au coeur de Lille permet de bénéficier des avantages de cette métropole, à l'inverse d'un projet d'installation dans le Thiérache qui ne bénéficie d'aucun avantage ! Dans de nombreux dossiers, nous avons pu constater que la fiscalité de production pesait beaucoup trop lourd. Il ne s'agit pas de dumping fiscal, loin s'en faut, mais il est nécessaire d'orienter des investissements productifs.

En outre, une grande région et un grand pays ne peuvent réussir que si les services et la technologie fonctionnent conjointement avec l'industrie. La Bavière ne serait pas restée une grande région si elle avait fait une croix sur son industrie ; elle a certes développé l'économie numérique de manière importante tout en renforçant ses cols bleus. En ce sens, la fiscalité de production est essentielle.

Ne nous tirons pas une balle dans le pied en raison du coût de l'énergie ! L'énergie décarbonée permet aux particuliers et aux usines, qui en sont de grandes consommatrices, d'obtenir l'énergie pour un coût moindre et il importe de bien prendre en considération les industries qualifiées d'électro-intensives, parmi lesquelles se trouve l'industrie sidérurgique ! C'est là un sujet à la fois franco-français et européen : d'une part, le groupe EDF ne doit plus considérer les industriels de cette branche comme des clients captifs et, d'autre part, la politique européenne, pas si contraignante que cela, peut néanmoins induire des coûts de production trop disparates selon les zones géographiques d'implantation. L'industrie du futur ne peut avoir de sens qu'en conciliant le numérique et l'industrie ! Il serait temps de réfléchir à l'installation d'une filière de production de robotique numérisé, qui manque actuellement à notre pays. Nous obtiendrions alors des gains de productivité et de compétitivité qui généreraient des emplois à terme ! Un nouvel écosystème national est tout à fait possible. Je n'oublierai pas le nouveau système de formation partagé entre l'État, les régions et les milieux professionnels. Au-delà de la seule question de l'apprentissage, il est important d'orienter davantage les jeunes vers l'industrie où les conditions de rémunération y sont supérieures à la moyenne des autres secteurs.

Les régions, notamment dans les schémas régionaux de développement économique, disposent d'outils de différente nature, selon qu'on se place dans une perspective de financement ou d'accompagnement. Elles sont ainsi prêtes à accompagner les entreprises dans leur projet. Pour la deuxième année consécutive, la Région Hauts-de-France est classée par le cabinet Ernst &Young comme la première région de France pour l'accueil des investissements étrangers. Qu'il s'agisse d'avances remboursables ou de subventions, voire de financements avec l'Europe sur la recherche et l'innovation, nous n'hésitons pas à intervenir. Dès lors, nous sommes devenus attractifs. Ce sont les industriels qui créent de l'emploi. Néanmoins, l'accompagnement de la Région permet de contrebalancer un cadre peu attractif. Il n'y a strictement aucune fatalité, comme en témoigne le rang de la France en matière d'attractivité, par rapport à l'Allemagne. Nous accompagnons les chefs d'entreprises dans leur réflexion stratégique de filière et soutenons les entreprises industrielles avec un régime d'aides directes et d'outils financiers avec les fonds régionaux, comme Hauts-de-France-Financement. La Région soutient également les plans de formation mis en oeuvre dans l'industrie automobile, pour adapter les compétences des salariés aux mutations technologiques et aux évolutions du marché. Enfin, nous accompagnons les entreprises pour bénéficier des fonds européens FEDER.

Nous avons repris de nos prédécesseurs Daniel Percheron, ancien sénateur, et de Philippe Vasseur, qui en avait été l'instigateur, l'idée de cette Troisième révolution industrielle. Nous pensons en effet qu'il faut aller très clairement vers le bas-carbone, la numérisation et la robotisation. Il s'agit de projeter la Région vers l'avenir, afin de conforter son leadership dans des secteurs comme l'industrie automobile où un besoin de main d'oeuvre sera toujours présent. Très clairement, il y a là un enjeu.

Depuis ces trois dernières années, 220 entreprises industrielles ont été aidées par la seule Région ; 25 000 emplois ont été renforcés et 2 300 créés, pour un investissement de 74 millions d'euros. Il s'agit là d'un bon investissement. Telle est ma conception de l'articulation du rôle de l'État, qui doit être davantage stratège, et de celui des régions.

Enfin, au niveau européen, les règles du jeu doivent être claires et harmonisées. En France, le montant des aides industrielles aux implantations est plafonnée à 10 % tandis qu'il l'est de 25 % en Pologne. Il faut harmoniser un tel taux afin de permettre le développement de projets industriels de grande envergure sur le territoire national. Il faut que la France fasse entendre sa voix au moment de la renégociation de ces plafonds qui vont prévaloir pour les sept prochaines années. La Pologne d'aujourd'hui n'est plus celle d'hier et la même règle doit prévaloir dans toute l'Europe. Il me paraît nécessaire, pour l'Européen convaincu que je suis, de plaider cela !

Le dossier Ascoval représente un formidable gâchis et c'est toute la stratégie industrielle de Vallourec doit être questionnée. Ce dossier a connu plusieurs rebondissements : la reprise d'Ascometal, annoncée comme la solution idoine, puis celle d'Altiflor qui n'a duré que trop peu de temps et enfin celle du groupe Olympus, qui connaît les retombées de la mise en liquidation, selon le droit britannique, de British Steel. Vallourec n'a pas su se diversifier, ni investir suffisamment. La rapporteure, Valérie Létard m'a fait entrer dans ce dossier il y a quelques temps déjà. Au fil des années, la baisse du prix de la tonne d'acier a permis de rendre cette entreprise viable qui est passée d'un portefeuille de deux à une dizaine de clients, en raison de la qualité de l'acier proposée et de son rendement énergétique.

Néanmoins, le marché de l'acier fluctue énormément, notamment suite au Brexit, et a besoin de plus de visibilité. Les groupes Schmolz & Bickenbach ou Ascométal avaient été identifiés par le tribunal de commerce pour la reprise de l'usine de Saint-Saulve. Je le dis très clairement : le Gouvernement a commis une erreur en ne soutenant pas l'offre de reprise du groupe Liberty Steel. Cela nous aurait permis d'avoir une visibilité sur cette usine. Il a également pensé que Schmolz & Bickenbach ne demandait rien ; choix funeste qui s'est avéré beaucoup plus onéreux ! Même le ministre de l'Économie et des finances ne disposait sans doute pas de l'ensemble des éléments pour évaluer les tenants et aboutissants des deux projets de reprise concurrents. Manifestement, Bercy n'avait ni vision stratégique, ni conscience de l'importance du partenariat de la Région à hauteur 14 millions d'euros, dont 2 millions d'euros d'avances. D'ailleurs, le groupe Schmolz & Bickenbach était-il d'abord intéressé par le développement industriel ou par le carnet de commandes et les conditions d'homologation pour pouvoir produire, par la suite, davantage d'acier en Allemagne ? J'assume totalement mes propos. Il s'agit bel et bien d'une erreur stratégique. Le groupe Liberty souhaitait également reprendre une autre entité dans le Dunkerquois et avait alors la possibilité de créer un groupe industriel. À l'époque, le dirigeant indien de Liberty Steel nous avait indiqué qu'il nourrissait un nouveau projet d'usine pour les aciers spéciaux. La fin de non-recevoir qui lui a été donnée a mis également fin à cet autre projet. Ce groupe agissait pourtant en connaissance de cause et n'a pas été retenu.

S'agissant d'Ascoval, je ne souhaite nullement porter querelle, mais le titre de M. Jean-Pierre Floris devrait être, selon moi, plutôt « Commissaire à la liquidation » qu'à la restructuration industrielle. J'ai pu le constater dans plusieurs dossiers et j'assume absolument ce que je dis ; tous les représentants économiques qui ont été en contact avec lui vous le confirmeront. J'ai été témoin d'une scène, sur le dossier industriel de la société TIM, dans le Dunkerquois. Ce jour-là, j'ai vu M. Floris se comporter avec le gérant de cette société avec une rare condescendance et lui proposer une forme de restructuration industrielle ne répondant nullement à notre cahier des charges. Tous nos efforts ont failli être ruinés par une telle attitude ! Les délégués syndicaux des entreprises industrielles de ma région sont ressortis découragés d'un rendez-vous avec lui ! Lorsqu'une entreprise n'est pas viable, il faut dire la vérité aux ouvriers et proposer une autre activité ou des voies de reclassement. À l'inverse, les activités viables - à l'instar des cabines de chantier produites par TIM ou des aciers spéciaux -, légitiment la mobilisation de moyens pour une reconversion. Je suis également prêt à préciser dans quelle conférence téléphonique j'ai constaté l'existence d'un réel cynisme d'État sur ce dossier Ascoval que l'on est prêt à laisser mourir.

J'ai pourtant remué ciel et terre pour que le Gouvernement et le chef de l'État, qui disposaient d'informations manifestement erronées, changent de position. Malgré cela, nous ne sommes pas pour autant tirés d'affaire. Dans tous les dossiers industriels, et même lorsqu'il existe une réelle stratégie industrielle, du volontarisme et des investissements, tout se passe à hauteur d'hommes et de femmes. Or, l'ensemble de ces salariés ont été ballotés par la succession de plusieurs facteurs : le cynisme de Vallourec, l'incompétence d'un certain nombre de dirigeants d'Ascométal, le manque de solidité des dirigeants d'Artiflor - que les responsables de l'État, dont M. Jean-Pierre Floris, ont contribué à fragiliser -, ainsi que les vicissitudes du Brexit qui ont fragilisé British Steel. Or, le repreneur actuel a besoin de cette société pour constituer un groupe européen. En outre, en l'absence de filière sidérurgique, comment la SNCF s'approvisionnerait-elle en rails ?

La confiance des salariés représente un réel enjeu. Je veux saluer l'implication de Mme Valérie Létard en tant qu'élue nationale et du Valenciennois. Même si les compétences économiques ont été attribuées, dans le cadre de la décentralisation, aux collectivités territoriales, seul un travail en commun avec l'État permettrait de trouver des solutions. Malheureusement, en matière industrielle, les régions sont devenues les supplétifs de l'État, notamment pour l'accès à l'information et au Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI). Certes, de bonnes relations avec les préfets permettent d'obtenir des informations financières au niveau régional, tandis qu'au niveau national, les régions sont bien souvent simplement sollicitées pour faire un chèque, sans être associées aux négociations préalables. Cette situation est honteuse. L'accès aux informations du CIRI, quitte à instaurer un délit de divulgation d'informations, doit être garanti aux élus qui ont conscience de leurs actes. On ne peut plus continuer à travailler ainsi ! Pour preuve, dans le dossier ARC où la Région est intervenue, nous n'en avons été, au final, que le financeur. Ce n'est pas une attitude respectueuse vis-à-vis des élus locaux qui sont également dépositaires d'une part de souveraineté démocratique.

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