Intervention de Xavier Bertrand

Mission d'information enjeux de la filière sidérurgique — Réunion du 5 juin 2019 à 14h30
Audition de M. Xavier Bertrand président de la région hauts-de-france

Xavier Bertrand, président de la Région Hauts-de-France :

Il nous manque un ministère dédié à l'Industrie. M. Bruno Le Maire mouille réellement la chemise. Mais si l'industrie est une priorité, alors ce ministère doit relever d'un poste à plein temps. Au moment de la crise de 2008, nous avions une cellule d'intervention le plus en amont possible et qui jouait un rôle d'alerte. Dans ce même esprit, comme président de Région, je reçois chaque semaine un récapitulatif des difficultés rencontrées par les entreprises des Hauts-de-France. Il importe d'intervenir le plus en amont possible : ce rôle est avant tout celui d'un architecte et non d'un pompier. Il ne faut pas non plus dire blanc la veille et noir au lendemain des élections, comme j'ai pu le constater sur de nombreux sujets, quelles que soient les mandatures !

Allons jusqu'au bout de ce raisonnement : il faut une administration dédiée dans un ministère spécifique si l'on estime que l'industrie est une priorité. Conduire un travail de veille permet également d'intervenir avant qu'il ne soit trop tard.

Je n'ai pas souligné le rôle des banques. Sans vouloir généraliser, aller voir certaines d'entre elles uniquement si vous n'avez pas besoin d'elles. J'ai des exemples en tête dans ma région. Puisque j'avais fait campagne sur la thématique du travail, je n'ai pas délégué la compétence industrielle et économique que j'assume dès lors totalement. Je vois les dossiers en direct. Seules les banques qui disposent d'une implantation régionale, à l'inverse de plus grands groupes nationaux, dont la part de marché susciterait sans doute l'étonnement, répondent présent. BpiFrance est certes présente, mais elle ne va pas sur certains risques et, bien qu'actionnaire de Vallourec, elle ne s'est pas impliquée dans le dossier Ascoval. Certaines banques demeurent aux abonnés absents ! Encore une fois, si la Région ne croyait pas à ce dossier, elle n'aurait pas décaissé 12 millions d'euros d'avances sur le solde de l'opération ! De la même manière, elle n'aurait pas engagé 3,5 millions d'euros d'avances remboursables sur le dossier TIM. Est-ce son travail ? Non ! Mais que dire à nos concitoyens si personne n'agit ?

En matière de transmission et succession d'entreprises, la question est celle de la taille critique. Les Allemands et les Italiens du Nord parviennent à transformer leurs PME en ETI, après avoir franchi un certain nombre de paliers qui ne se limitent pas aux seuls seuils sociaux ! La fiscalité de la succession doit être revue si la finalité économique est prouvée ; une telle démarche bénéficiant alors à l'ensemble des secteurs d'activité. Du reste, en politique, on s'est longtemps passionné pour la seule création, alors que cette étape n'est nullement la plus compliquée, à l'inverse de la gestion des difficultés, de la croissance ou de la transmission des entreprises. Bercy raisonne uniquement en termes comptables et financiers, en ne concevant pas les recettes générées par le maintien de l'activité et de l'emploi sur notre territoire national. Or, investir dans une politique favorable à la transmission des entreprises représente un bon investissement. Cet outil manque aujourd'hui et il importe d'adapter notre fiscalité.

J'attends que les discours clamant la confiance envers les collectivités locales soient suivis d'effets. Je ne demande pas la différenciation pour la seule Région Hauts-de-France ! Toutes les régions pourront en bénéficier et ce sera à chacune de fixer ses priorités. La loi sera la même sur l'ensemble du territoire de la République. Il est certes plus facile aux régions qui ont déjà une tradition industrielle d'avoir un avenir industriel ! Si je privilégie une implantation dans ma Région, c'est en raison du taux de chômage qui y sévit ! Personne ne viendra s'en occuper à notre place.

La Loi NOTRe a précisé les prérogatives des régions, reconnues chef de file en matière économique, et des intercommunalités. Notre Région essaie d'associer l'ensemble des élus locaux et des parlementaires sur les dossiers économiques, même si ceux-ci ne sont généralement pas impliqués dans l'initiative Territoires d'Industrie ou dans les projets industriels.

Nous attendons le discours de politique générale que le Premier ministre prononcera la semaine prochaine et qui devrait comporter l'annonce d'une grande loi sur la décentralisation. Je ne demande pas d'argent, mais seulement la liberté de prendre des initiatives dans un cadre où le préfet de Région pourra conduire un contrôle de légalité. On peut gagner du temps, et ainsi de l'argent, pour un certain nombre d'acteurs économiques.

Je n'ai pas abordé la question de la formation pour deux raisons : d'une part, le questionnaire qui m'a été adressé, dans le cadre de la préparation de cette audition, ne l'abordait pas ; d'autre part, les régions, qui n'interviennent pas dans les collèges, n'ont pas d'accès au contenu de l'enseignement des lycées. Alors que les régions étaient auparavant les pilotes de l'apprentissage, elles n'en sont plus que les passagers ! Nous sommes cependant la seule Région à avoir donné quitus à la réforme de l'apprentissage, en espérant qu'elle réponde aux besoins des entreprises. D'ailleurs, la progression de l'apprentissage, bien que de 8 à 10 % par an, ne permet pas de résoudre le problème du chômage des jeunes ! Je suis donc prêt à jouer le jeu, à la condition que Bercy, sans coup férir et l'air de rien, ne réduise pas d'un milliard d'euros nos crédits.

En outre, ceux-ci portent principalement sur la formation des demandeurs d'emplois. Aujourd'hui, nous devrions obtenir l'intégralité des fonds destinés à cette formation et même si Pole Emploi doit en rester l'opérateur, veillons à en demeurer le prescripteur ! Le fléchage de ces fonds sur les réels besoins des entreprises, notamment industrielles, n'en serait que plus assuré. La Région a testé, depuis ces quinze derniers jours, une nouvelle politique d'orientation des jeunes sur les métiers qui donne des résultats, via notamment la mission « proche-emploi », qui a permis de sortir du chômage 13 200 personnes, via des emplois pérennes pour 88 % d'entre eux. Pour 2 euros par jour, la Région prête une voiture aux personnes qui retrouvent un emploi pour se rendre sur leur lieu d'activité. Sur la formation, grâce à nos passations de marché qui confèrent un droit de tirage, des programmes peuvent être mis en oeuvre en deux semaines par les plateformes locales sans qu'elles n'aient besoin de remonter auprès du vice-président en charge de la formation. Cette rapidité permet de répondre aux besoins des entreprises.

En outre, des Pass Emplois et des Pass Formations permettent de répondre au mieux aux besoins de l'industrie, notamment automobile. Cette politique, abondée à hauteur de plusieurs millions d'euros, permet d'adapter les compétences aux évolutions technologiques. Avec la réforme de la formation, on nous vante la création d'une application numérique ! Au passage, je soupçonne l'État, et surtout Bercy, de vouloir récupérer, à terme, un milliard d'euros grâce à cette nouvelle agence nationale qui recentralisera les moyens. D'ailleurs, les opérateurs de compétences (OPCO), forts de leurs nouvelles prérogatives, ont déjà commencé à réduire leurs financements. Sous couvert de modernisation et de simplification, nous disposerons, à l'avenir, de moins d'argent qu'aujourd'hui.

L'industrie, qui permet enfin d'améliorer la qualification et la rémunération, représente encore un outil d'ascenseur social et de transmission. Le tutorat est essentiel à la formation et des crédits doivent lui être consacrés. Nous avons un rôle à jouer dans la formation de manière très décentralisée, c'est-à-dire des bassins d'emplois. Notre travail sur les contrats de branche, que nous avons conduit avec l'UIMM et présenté lors de sa convention nationale, nous a permis de recenser les besoins par secteurs et bassins d'emplois pour les cinq prochaines années. Adaptons les formations aux besoins de l'entreprise, mais aussi aux envies et aux désirs de progression sociale dans l'industrie !

Au-delà de la question de la technostructure, il faut savoir qui décide. Le problème n'est pas franco-français ! Le ministre britannique des entreprises a exprimé son dépit de n'avoir pu soutenir British Steel, contraint qu'il était de suivre l'avis des comptables et des juristes de son cabinet. Encore une fois, qui décide ? Autant s'en remettre à des experts, voire à des algorithmes ! Tel est le fond du problème. Certes, l'expertise représente certes un coût : la Région est passée par un cabinet d'avocats pour bien sécuriser son avance versée à Ascoval.

Les compétences de l'État et des collectivités locales doivent être clarifiées. À partir du moment où les régions se voient confier la compétence économique, que l'on aille jusqu'au bout du raisonnement. Je ne demande pas un nouvel acte de décentralisation !

Le point soulevé par M. François Calvet sur le dossier du rapprochement Renault-Fiat est malheureusement passé sous silence. Je fais d'ailleurs partir un courrier au Président de la République avant la tenue du conseil d'administration de Renault de ce soir. En effet, je ne comprends pas une telle précipitation dans la conclusion d'un accord entre Fiat-Chrysler et Renault, où l'État est actionnaire à hauteur de 15 % avec un droit de vote double. Toutes les évaluations préalables doivent être conduites afin de vérifier si nos intérêts automobiles, industriels et stratégiques seront réellement préservés. Y-aura-t-il réellement complémentarité et qui y gagne réellement ? L'éventuel partenaire de Renault ne dispose pas de la même avance technologique dans le véhicule électrique. Leur situation financière diffère également. M. Bruno Le Maire a évoqué ce matin la nécessité d'un centre opérationnel, sans préciser son échelle régionale ou mondiale, et l'existence de garanties pendant les quatre prochaines années. Une telle durée est ridicule ! Le conseil d'administration de Renault doit nous donner tous les éclaircissements requis ! Ce soir se joue l'obtention d'un Memorandum of Understanding (MoU) engageant Renault sur les aspects financiers de la fusion et les pouvoirs donnés, avant que l'assemblée générale n'en entérine la décision. Si ce MoU est obtenu ce soir, alors la négociation sur l'essentiel est bel et bien terminée ! Tandis que l'existence de ce projet ne nous a été communiquée qu'à la fin du mois dernier, il y aurait urgence à s'engager dans une voie unique, sans aucune possibilité de retour en arrière ! Pourquoi une telle précipitation ? L'étude des éventuelles synergies, qui réclame du temps, a-t-elle été réellement conduite ? Le Groupe Fiat Chrysler Automobiles (FCA) a laissé à Renault un délai de quinze jours pour examiner sa proposition. Mais, considérant le poids du constructeur automobile dans notre économie et le rôle de l'État en son sein, je ne vois pourquoi on cède à cette pression. S'agit-il d'une alliance ou d'une fusion avec le Groupe Fiat et qu'adviendra-t-il de l'alliance Renault-Nissan au-delà de ses tourments récents ? En somme, la précipitation n'a pas sa place dans un tel accord. Il nous faut du temps pour valider les synergies, clarifier le futur centre opérationnel avec Nissan et définir la gestion de la propriété intellectuelle, des effectifs, - notamment dans l'ingénierie -, et d'envisager, en cas de retournement financier de la bourse américaine, les modalités du paiement des retraites que le fonds de pension de Chrysler devra assurer. L'ensemble des élus, des salariés et des dirigeants doivent être informés de toutes ces questions. Toute précipitation est à bannir ; Renault n'est pas une entreprise comme les autres et l'ensemble des questions soulevées par cette opération ne saurait trouver de réponses en seulement quelques jours. J'en appelle à la fois au Président de la République et aux dirigeants de Renault afin d'éviter le sentiment d'un passage en force ; un tel délai de quinze jours étant notoirement insuffisant.

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