Intervention de Philippe Darmayan

Mission d'information enjeux de la filière sidérurgique — Réunion du 5 juin 2019 à 14h30
Audition de M. Philippe daRmayan président de l'union des industries et métiers de la métallurgie uimm et d'arcelormittal france

Philippe Darmayan, président de l'Union des industries et métiers de la métallurgie et d'ArcelorMittal France :

Depuis la création avec Emmanuel Macron, alors ministre, en 2015, du travail sur l'industrie du futur, nous militons pour l'industrialisation de la France en poussant les mutations actuelles, notamment technologiques, avec la perspective claire et unanimement partagée d'une économie décarbonée. La donne a tellement changé que nous pensons que c'est une chance pour la France, si celle-ci s'en saisit maintenant, que de réindustrialiser notre territoire. L'un des enseignements de la crise des gilets jaunes est que l'industrie est un facteur de stabilité du territoire. Une usine dans chaque village est un rêve, mais c'est aussi l'assurance de peupler le territoire en offrant des emplois stables mieux rémunérés que les autres. C'est un projet valable pour la France. J'ai créé, avec M. Philippe Varin, France Industrie, qui regroupe l'ensemble des fédérations industrielles et les grandes entreprises pour travailler à ce projet. Ce n'est pas du lobbying mais un projet mené avec l'État.

L'État a un rôle essentiel pour fixer les règles de la compétitivité. Le taux de charges est encore, en France, deux fois supérieur à celui de l'Allemagne. La fiscalité sur les coûts de production est nettement supérieure en France à ce qui est pratiqué dans les autres États européens. Il y a un consensus entre nous, Bercy et le Premier ministre sur ce vrai problème, même si l'on nous répond ensuite qu'il n'y a pas d'argent. Nous comprenons que la situation ne peut pas se régler immédiatement, mais ce constat, partagé, nous permet d'avancer.

Les industriels se sont engagés à se prendre en main, dans chaque entreprise, pour imaginer quels seront les marchés, les chaînes de valeur, l'emploi stable de demain. Nous travaillons sur une vingtaine de filières, de l'aéronautique à la construction en passant par l'agroalimentaire, avec le but que les industriels définissent eux-mêmes les grands enjeux de demain. Ensuite les projets seront menés ensemble, y compris avec l'aide budgétaire de l'État sur l'innovation.

Nous pouvons dresser un parallèle entre cette version optimiste et les événements actuels, qu'il s'agisse d'Ascoval, de General Electric ou de Ford. La presse demande si cette politique faillit, puisqu'il y a tous ces problèmes. La réponse est non. La sidérurgie est une industrie vieille créée sur les minerais de fer et de charbon autrefois abondants dans le Massif central ou la Lorraine mais qui n'existent plus. Tout cela entraîne des changements. ArcelorMittal est réparti sur une quarantaine de sites quand les Chinois n'en ont qu'un seul. Nous soutenons nos sites parce qu'ils sont riches en compétences et en expériences, mais il peut arriver qu'une difficulté se pose sur un produit en particulier. La presse parle de l'acier comme s'il était fongible ; or c'est totalement faux. Nous avons un amas de marchés segmentés de produits et d'alliages. Les billettes pour tubes ne peuvent pas servir à faire du fil ; les produits longs nécessitent de gros laminoirs. L'acier est d'une extrême diversité. Chaque site est outillé en compétences et matériels pour s'adresser à un segment particulier du marché. Il n'est pas toujours évident de transformer une installation pour qu'elle aille vers un autre produit.

Nous sommes une industrie ancienne et cyclique qui traverse actuellement une crise due à la plongée du marché dans une dérégulation profonde. Dans ce marché mondial, la France produit 15 millions de tonnes, en exporte 50 % et importe 50 % de sa consommation, soit un flux de 15 millions de tonnes également. Nous sommes dans un marché européen et l'Europe joue dans un marché mondial.

La dérégulation actuelle explique nombre des problèmes auxquels nous sommes confrontés actuellement.

Nous faisons face à des enjeux importants de compétences, de dérégulation du marché mondial et de transition vers une économie décarbonée. Du succès de ces trois grands enjeux dépend l'avenir de notre métier.

Le premier enjeu est celui des compétences. La sidérurgie, vieille industrie, évolue vers les automatismes et le numérique. Nous devons par conséquent rééquilibrer nos compétences et notre pyramide des âges. Des embauches sont nécessaires. Quelque 33 % des salariés ont plus de 50 ans et 25 % moins de 30 ans. Il faudrait que les personnes âgées de moins de 50 ans représentent plus des deux tiers des salariés.

Quelque 60 % des effectifs sont répartis sur trois bassins d'emploi : Dunkerque, Fos-sur-Mer et la Lorraine. Les 40 % restants sont partout ailleurs. Nous investirons dans les trois premiers bassins, quoi qu'il arrive, dans les prochaines années. Il faut donc préparer les compétences en ce sens. Quant aux sites plus isolés, excellents mais peu reliés les uns aux autres, nous devons mener un gros travail sur les compétences sur place. Effectivement l'apprentissage est l'une des solutions.

Les métiers de la sidérurgie évoluent et se rapprochent des autres métiers de l'industrie. Les métiers en tension sont notamment dans la maintenance, comme dans la chimie, dans la conduite de machines complexes ou de lignes de produits, comme dans toutes les industries mécaniques, ou dans la supply chain, qui est un métier très transversal. Aussi, l'IUMM travaille sur la définition de certificats de formation avec des unités de valeur afin de savoir quelles compétences supplémentaires apporter à tous nos salariés et de les former efficacement sur ce dont les filières industrielles ont le plus besoin. J'ai pour objectif d'augmenter de 10 % le nombre d'alternants dans la métallurgie, notamment dans la sidérurgie. Nous devons travailler avec les PME pour qu'elles trouvent toutes les compétences dont elles ont besoin. Nous menons une démarche industrielle et la sidérurgie trouve bien sûr sa place dans une problématique de correction de l'histoire.

Le deuxième enjeu est celui de la dérégulation. Après l'épisode de 2015, nous faisons face à un nouvel épisode d'aujourd'hui. En 2015, les Chinois ont pratiqué le dumping. Dans ce marché mondial, ils ne respectent pas les règles du jeu. Nous avons obtenu une taxe à l'encontre des pays faisant du dumping. Cela nous a offert un répit. Il faut continuer à être vigilant et, petit à petit, amener la Chine à réduire ses capacités. En effet, la surcapacité est la cause profonde de la situation actuelle. La production mondiale actuelle d'acier est de 1,6 milliard de tonnes pour une capacité de 2,3 milliards. Quelque 30 % de surcapacité, c'est énorme pour un marché. Or cette surcapacité se situe en Chine, ce qui signifie que ce sont les Chinois qui font le prix du marché. Tous les prix mondiaux évoluent en fonction d'eux. Quand les Chinois font du dumping, l'ensemble du marché mondial connaît une valorisation très inférieure.

Que Donald Trump décide de fermer les frontières américaines n'a pas gêné les exportations européennes vers les États-Unis. Nous savons depuis longtemps qu'ils sont protectionnistes et avons pris nos dispositions, mais le marché européen étant le seul marché ouvert, les importations qui ne se font plus vers les États-Unis sont allées vers l'Europe. Entre janvier 2017 et janvier 2018, les importations européennes, comme américaines, sont restées au même niveau. Mais entre janvier 2018 et janvier 2019, trois millions de tonnes supplémentaires ont été importées par l'Union européenne alors que les importations américaines ont baissé de trois millions de tonnes. Le problème ne provient pas tant de la Chine que de la Russie et de la Turquie. Nous sommes coincés à l'Est et au Sud par des importations massives. Les exportations turques vers l'Union européenne ont crû de 126 % en l'espace de quelques mois.

Très vite, nous avons été épaulés par l'Union européenne grâce à un système de quotas. Toute importation qui dépasse le volume fixé sur la base des importations des trois années précédentes est taxée. Mais le système n'est pas satisfaisant car c'est un système global qui a plutôt poussé à l'accélération des importations avant d'atteindre la limite de volume.

Le deuxième problème, urgent, est que l'Organisation mondiale du commerce (OMC) impose que, tous les six mois, les quotas soient relâchés afin d'autoriser une augmentation des importations. Cela a été le cas en mars. Si l'on recommence bientôt, le système européen deviendra complètement inefficace. L'Union européenne doit durcir son système et imposer des quotas pays par pays, sans extension des volumes autorisés. C'est fondamental.

ArcelorMittal vient de réduire sa production de façon massive en Pologne en raison des importations russes, en Espagne et en Italie en raison des importations turques, et vient de décider de faire de même pour nos sites de Dunkerque et d'Eisenhüttenstadt en Allemagne. Nous sommes dans un marché de commodités, très sensible aux volumes. Si ces derniers augmentent, les prix tombent, dans un marché où le prix pour le consommateur reste toujours assez élevé. Nous sommes pris dans un squeeze qui affecte la marge des aciéristes. Celle-ci est actuellement extrêmement réduite, notamment sur les produits plats. Il est urgent que l'Union européenne réagisse. Il est important de revenir à un marché mondial régulé. Nous avons par ailleurs un marché de spécialité pour l'automobile extrêmement puissant mais qui ne représente que 20 % de nos volumes. Nous sommes, fondamentalement, des producteurs de commodités.

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