Intervention de René-Pierre Signé

Réunion du 21 octobre 2009 à 14h30
Jardins d'éveil — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de René-Pierre SignéRené-Pierre Signé :

Cette structure entra dans le cercle de l’éducation nationale et évolua rapidement dans un sens pédagogique pour prendre, dès 1881, le nom d’ « écoles maternelles ».

Mes chers collègues, j’ai fait ce petit rappel historique pour souligner le fait que les écoles maternelles sont anciennes, qu’elles sont apparues avant les écoles primaires et les lois Jules Ferry, qu’elles furent mixtes, une mixité longtemps refusée aux autres lieux d’enseignement, et que la nécessité d’un enseignement s’imposa rapidement pour adjoindre à cette garderie un rôle d’éducation et de promotion sociale.

Madame la secrétaire d'État, votre proposition de jardin d’éveil va donc à contresens de l’histoire. Le Gouvernement veut pallier la faiblesse de l’offre de garde pour les moins de trois ans : la France compte à peine un million de places pour 2, 4 millions d’enfants. La pénurie d’enseignants et le manque d’intérêt pour la préscolarisation à deux ans justifient ce projet substitutif à l’école.

Des structures à mi-chemin entre la crèche et l’école, telle est donc l’expérience lancée en cette rentrée 2009.

Ces jardins d’éveil, payants pour les familles et en partie pris en charge par les communes, se posent en concurrents de l’école maternelle publique, gratuite et égalitaire. Mais ils n’assureront pas l’éveil des enfants ; ce n’est ni dans leur esprit ni dans leur rôle. Ils sonneront le glas de l’école à deux ans et, pis encore, ils pourront accueillir les enfants jusqu’à trois ans et demi.

D’autres questions se posent. Hormis le fait de cantonner le rôle des enseignants des maternelles à la surveillance des siestes et au changement de couches, qui ne relève que des propos malheureux tenus par Xavier Darcos, que peut-on reprocher à l’école maternelle ?

La préscolarisation dès l’âge de deux ans est-elle utile ? Des travaux des pédagogues, des pédiatres et des anthropologues qui s’intéressent à l’éveil de l’enfant l’affirment. Or, dans cette évolution, le rôle des familles est évidemment déterminant. L’école maternelle intervient à bon escient pour pallier la carence de l’éducation parentale dans certaines familles qui ne peuvent que peu enseigner, car on leur a peu appris. Elle n’y réussit sans doute que partiellement, mais elle n’est pas sans mérite ni sans résultat.

Il est parfaitement admis, sauf par quelques détracteurs de la promotion sociale, que le rôle assuré par l’école maternelle est primordial, d’autant que la qualité des enseignants ajoute encore à son excellence. Ce sont les enfants des milieux les plus éloignés de l’école qui seront les premières victimes de cet abandon.

Éveiller le plus tôt possible l’intelligence d’un enfant, savoir l’intéresser à l’acquisition de connaissances nouvelles, ouvrir plus largement sa vision du monde, lui permettre d’exercer précocement son jugement, voire son sens critique, lui créer de nouveaux centres d’intérêt, autant d’actions qui paraissent indispensables et combien nécessaires.

L’ensemencement des cerveaux par une pédagogie adaptée est le secret d’une réussite non seulement scolaire, mais aussi sociale. Tous les pédagogues et tous les sociologues le savent et l’affirment. L’ascenseur social si souvent évoqué, qui semble s’être grippé aujourd’hui, ne peut fonctionner qu’à partir de l’école maternelle, qui va réduire les inégalités culturelles dont on hérite.

Pour passer aux questions pratiques, l’admission dans ces jardins d’éveil ne sera pas gratuite : on parle de 150 à 400 euros par famille, suivant les revenus. Que feront les maires, et plus encore ceux des petites communes, qui ont tant de difficultés à gérer crèches et écoles ? Où trouveront-ils des locaux ?

La question de l’encadrement se pose aussi. Quels seront les formations ou les diplômes exigés pour les personnels d’encadrement, qui doivent avoir au minimum quelques notions dans le domaine éducatif de la petite enfance ?

Or, tous les CAP ou les BAFA, option Petite enfance, aussi valables qu’ils soient, sont assez loin d’atteindre les compétences des enseignants. Cela revient à avouer que le jardin d’éveil, se substituant à l’école maternelle gratuite, oubliant la complémentarité entre école maternelle et école primaire, va cautionner et mettre en place un fonctionnement a minima, un service au rabais, écartant les ambitions du service public.

En outre, ce projet prévoit un abaissement des normes d’encadrement des enfants actuellement pratiquées dans les crèches, avec un adulte pour douze enfants, au lieu de un pour huit. Ces jardins, à mi-chemin entre crèche et école, seront retirés du système éducatif et de la prévention des inégalités scolaires. Il est vrai que suppression du nombre d’enseignants oblige !

La nécessité de créer des structures de garde pour les enfants, pour urgente qu’elle soit, madame la secrétaire d'État, ne doit tout de même pas entraîner la détérioration d’un système éducatif bien rodé. C’est une atteinte grave au premier lieu de socialisation et de préparation encouragée à la réussite sociale.

La démarche qui consiste à supprimer les petites classes de maternelle pour les remplacer par des jardins d’éveil paraît essentiellement guidée par des objectifs financiers, puisque le coût est transféré aux familles et aux communes. La scolarisation tardive de certains élèves issus des milieux les plus fragiles augmentera inévitablement l’échec scolaire et il en résultera un nombre plus élevé d’enfants en difficulté.

La scolarisation des jeunes enfants ne devrait en aucun cas devenir une variable d’ajustement budgétaire, d’autant que le coût par enfant sera plus élevé qu’en école maternelle. Le choix de développer des jardins d’éveil est donc illogique et ne se justifie ni socialement, ni économiquement. C’est la raison pour laquelle, madame la secrétaire d'État, nous sommes en profond désaccord avec vous sur ce sujet.

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