Je vous remercie de nous donner l'opportunité de ce temps d'échange et de dialogue. Nous avons en effet souhaité partager avec vous l'expérience qui est celle des Apprentis d'Auteuil dans le domaine de la prévention et de la répression des infractions sexuelles.
Je précise que nous ne sommes ni juristes, ni chercheurs, ni psychiatres. Nous sommes des professionnels de l'éducation avec une expérience d'acteur de terrain depuis un peu plus de 150 ans. Notre champ d'activité, vous l'avez souligné, est très divers, puisque nous agissons dans le champ scolaire, de la protection de l'enfance, de la formation professionnelle et du soutien à la parentalité.
J'aborderai trois questions dans mon intervention : comment notre institution, s'appuyant sur son expérience, a été conduite à mettre en place une procédure de traitement des transmissions d'informations préoccupantes, qui lui permet également de développer des actions de prévention des infractions sexuelles. Puis quel accompagnement nous mettons en place auprès de nos équipes, auprès des jeunes, des enfants et des familles. Enfin, nous partagerons avec vous quelques sujets de préoccupation et quelques suggestions.
Je précise que nous accompagnons actuellement en France environ 27 000 jeunes et 5 800 familles. À l'international, nous travaillons dans une logique de coopération, dans une quarantaine de pays, avec une centaine de partenaires sur des sujets liés à l'éducation, la formation et l'insertion des jeunes.
Notre activité couvre l'ensemble du territoire national, qu'il s'agisse de la métropole ou des outre-mer.
L'élément déclencheur de notre action en matière de prévention des infractions sexuelles fut une affaire de pédophilie ayant éclaté en mai 2001. Cette affaire impliquait l'abbé Daheron, un ancien salarié de la fondation, incarcéré le 25 avril 2001 pour agression sexuelle sur mineur par personne ayant autorité. Cet ancien collaborateur oeuvrait en tant que bénévole au sein d'une de nos structures. La plainte avait été déposée auprès des services de police de Rouen par les parents d'un jeune garçon qui affirmait avoir eu des relations sexuelles avec cet abbé entre 1999 et 2000. Par la suite, deux autres personnes - majeures - se sont également déclarées victimes.
La fondation a choisi de rendre publique l'incarcération de l'abbé Daheron au cours d'une conférence de presse. En 2003, celui-ci a été condamné à six ans de prison pour viol et agression sexuelle sur trois mineurs par les assises de Paris.
Cet événement fut le déclencheur dans la prise en compte de cette problématique au sein de la fondation, avec la volonté d'y apporter une réponse institutionnelle, à travers la mise en place d'une procédure globale pour prévenir et traiter de tels incidents lorsqu'ils surviennent dans une de nos structures.
Nous avons donc mis en place un dispositif de gestion des incidents, accidents et infractions graves permettant un accompagnement gradué des établissements, selon la gravité des faits à traiter. Dans ce cadre, nous avons créé un observatoire des incidents, accidents et infractions. Il s'agit d'un outil de gestion pour les établissements ; il permet à l'institution de recenser, de suivre et de tracer les suites de tous les incidents.
Cette action répond à un engagement officiel de la direction générale, soutenue par notre conseil d'administration, qui était d'assurer une parfaite lisibilité de tous les faits survenus et de développer une politique de prévention.
Notre dispositif permet de recenser les faits qui se produisent entre jeunes, ou entre jeunes et adultes, sur un mode déclaratif, depuis 2001. Pour ce faire, nous avons développé une application informatique, qui répond à l'obligation de signalement, comme la loi nous y contraint.
Par le biais de cette application, nous suivons les déclarations portant sur tout fait grave survenu dans un de nos établissements, qui remontent toute la chaîne managériale jusqu'à la direction générale.
Cela permet ensuite à notre observatoire national, constitué d'une équipe de cinq personnes, de conseiller les personnels dans les établissements et au niveau régional.
Cette cellule nationale reçoit et analyse les « fiches incidents », le but étant d'assister les équipes concernées par l'événement. Elle établit aussi un rapport annuel transmis à la direction générale et au comité exécutif qui réunit, outre la direction générale, les directions opérationnelles à l'échelon régional. Enfin, ce rapport annuel est communiqué à notre conseil d'administration. L'équipe de la cellule nationale peut se rendre sur place, à la demande des établissements, pour favoriser une relecture distanciée des incidents et pour rappeler les procédures aux personnels.
Quand les faits sont particulièrement graves, l'observatoire national saisit ce que nous appelons une cellule d'alerte, de prévention et de gestion de crise, caractérisée par la complémentarité des regards. En effet, elle est composée d'experts dans les domaines juridique, éducatif, psychologique et de la communication. Je dirige cette cellule de crise depuis une dizaine d'années. Je peux dire que nous disposons d'un capital d'expérience qui nous permet d'intervenir de manière adéquate auprès des équipes.
En résumé, lorsqu'un événement survient au niveau d'un établissement, il est transmis à l'observatoire national des incidents et infractions. Si nécessaire, la cellule d'alerte nationale est saisie et se réunit dans les deux heures ; une cellule de crise régionale se met alors en place, en articulation avec la cellule nationale. Cela nous permet de gérer en direct ces situations et crises.
Je rappelle à ce stade les principes fondamentaux édictés par la fondation, portés à la connaissance de tous les salariés et dont le respect est confié à la responsabilité des directeurs d'établissement : la protection de l'enfant et la tolérance zéro - nos salariés savent que nous ne tolérons aucune infraction au devoir de protection des jeunes qui sont confiés à la responsabilité des Apprentis d'Auteuil -, le respect de la loi et la transparence.
Par ailleurs, il peut nous arriver d'être saisis via les réseaux sociaux. Dans ce cas, nous procédons immédiatement aux vérifications nécessaires et nous enclenchons la procédure que je viens de vous décrire. Nous avons mis en place au niveau national une capacité de veille sur les réseaux sociaux.
En ce qui concerne le recrutement des professionnels et des bénévoles de la fondation, nous avons édité une fiche « processus de recrutement » communiquée à l'ensemble de la ligne managériale diffusée par les équipes RH au niveau national, régional et dans nos établissements.
Compte tenu des activités spécifiques de notre fondation, et en vertu de la loi, nous exigeons, pour tous les salariés en contact avec des mineurs, dans le cadre des établissements habilités ou autorisés à accueillir du public relevant du champ de la protection des mineurs, la production du bulletin n° 2 du casier judiciaire. A défaut, nous ne prenons pas le risque d'embaucher la personne.
Pour l'ensemble des autres activités, nous demandons aux candidats qui souhaitent intégrer la fondation, qu'ils soient salariés ou bénévoles, de produire le bulletin n° 3.
Nous procédons par ailleurs à des vérifications grâce au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV). Ce contrôle est réalisé pour les salariés recrutés dans le cadre des établissements soumis à autorisation ou à habilitation. Mais les délais de réponse posent parfois des difficultés pour le recrutement.
En ce qui concerne les bénévoles, tout établissement qui fait appel à un bénévole régulier au contact de mineurs fait une demande de consultation du casier judiciaire (B2) et du FIJAIVS.
Cette politique de recrutement des bénévoles, détaillée dans un document spécifique, est communiquée à l'ensemble de nos établissements.
Enfin, dans certains établissements - ce n'est pas imposé -, le recrutement des bénévoles passe aussi par un entretien avec le psychologue de la structure.
S'agissant de la formation, qui est aussi l'un des premiers moyens de prévention, nous avons développé au sein de la fondation plusieurs modules. L'un d'eux s'intitule « éducateur à la vie - mention jeune en difficulté ». Il s'agit d'une formation co-construite avec deux partenaires, d'une durée de dix-huit mois. Elle allie des apports théoriques et des éléments pratiques, car elle concerne les éducateurs amenés à être au contact des enfants, dont une forte minorité d'entre eux ont malheureusement déjà subi des atteintes ou des agressions sexuelles. Leur rapport à la sexualité, et plus généralement à l'altérité, est donc plus compliqué à gérer.
Nous dispensons également une formation sur « le regard et le positionnement des professionnels face à la vie affective, relationnelle et sexuelle des jeunes », d'une durée de quatre jours, que nous proposons à nos équipes intervenant auprès des jeunes. Enfin, nous organisons une formation sur une journée relative à l'accompagnement des jeunes à l'utilisation du numérique, qui aborde aussi cette question.
Nous avons constitué un réseau d'éducateurs à la vie affective, relationnelle et sexuelle, en veillant à ce qu'ils puissent être présents dans chacune de nos régions - nous sommes organisés en cinq régions métropolitaines et deux régions outre-mer. Nous réunissons ce réseau deux à trois fois par an pour un échange de pratiques, l'objectif étant une montée collective en compétence et en expertise sur ces questions.
Nous avons diffusé, mais vous en avez eu connaissance, un petit livret édité par Bayard Presse sur les violences sexuelles, destiné aux enfants. Nous avons aussi construit une mallette pédagogique intitulée « Au fil de la vie », qui s'adresse à des enfants de cinq à douze ans, adaptée aux étapes de leur évolution psychique. Elle prend en compte trois dimensions : leur prise de conscience en tant qu'être vivant et sexué ; le travail sur le sentiment d'existence et la singularité de chacun ; et le travail sur la construction de la relation. Un outil similaire existe à destination des adolescents.
Nous travaillons avec d'autres associations, comme SOS Village d'Enfants, ainsi qu'avec certains conseils départementaux. Par exemple, le département des Ardennes dispense des formations sur la sexualité et les violences sexuelles qui ont été suivies par nos équipes en poste dans ce département.
En ce qui concerne la prise en charge, par la fondation, des jeunes victimes de violences sexuelles et de leur suivi spécifique, ma collègue vous lira dans un instant l'extrait du témoignage d'un directeur d'établissement dans un département où nous sommes confrontés à la problématiques de jeunes victimes de violences sexuelles et gravement traumatisés, dont un nombre non négligeable est devenu auteur. Dans le secteur rural, ces jeunes ont peu de possibilités de bénéficier d'une prise en charge interdisciplinaire. Le témoignage qui va suivre illustre à mon sens de façon pertinente ce qu'est la réalité au quotidien des équipes éducatives qui prennent en compte ces enfants.