Intervention de Laurent Bérard-Quélin

Commission d'enquête Concentration dans les médias — Réunion du 13 décembre 2021 à 15h30
Audition des représentants de la presse écrite — M. alain augé président du syndicat des éditeurs de la presse magazine m. laurent bérard-quélin président de la fédération nationale de la presse d'information spécialisée et mme cécile dubois coprésidente du syndicat de la presse indépendante d'information en ligne

Laurent Bérard-Quélin, président de la Fédération nationale de la presse d'information spécialisée :

La FNPS regroupe 527 services de presse en ligne, 1 206 publications, 426 éditeurs et 4 400 journalistes. Ces chiffres montrent combien nous représentons la diversité. Or il n'y a pas de pluralisme sans diversité. Le pluralisme ne concerne pas que l'information politique et générale. Il est fort probable que les problématiques sanitaires ou que la réforme de la politique agricole commune (PAC) jouent un rôle au moins aussi important que d'autres problématiques plus générales sur la détermination du vote d'un agriculteur, par exemple. Ne focalisez pas toute votre attention sur la presse d'information politique et générale, beaucoup de citoyens s'informent sur d'autres supports.

La meilleure garantie de l'indépendance et de la non-concentration, c'est la rentabilité. Or nos éditeurs sont fragiles, très majoritairement sous-capitalisés et beaucoup ont des marges très réduites. Il est souvent très difficile de trouver un acheteur en cas de cession. Pourtant, comme dans tous les autres secteurs, la presse a besoin d'entrepreneurs pour innover.

La rentabilité se construit autour d'une ligne éditoriale, qui se discute avec une rédaction : aucun éditeur ne peut faire un titre sans rédaction et aucune rédaction ne peut faire un titre rentable sans éditeur.

Dès lors, nous nous inquiétons de la création d'un statut d'indépendance des rédactions. Le rôle de l'éditeur est indissociable de la définition et de l'élaboration de la ligne éditoriale : son rôle est de rappeler que l'on ne fait pas un titre pour soi, mais pour ses lecteurs. Il s'agit de la rencontre d'une offre et d'une attente. Il faut laisser cette possibilité aux entrepreneurs qui sont en capacité d'investir dans les médias. La loi ne doit pas les amener à se confronter à un pôle rédactionnel avec lequel la discussion serait difficile.

Mme Dubois vient de souligner que trois cas reviennent systématiquement. Il s'agit de cas isolés. Je vous en prie, ne faites pas une loi de circonstance, qui bouleverserait inutilement l'ensemble d'une filière déjà fragile.

Je rappelle enfin que le statut de salarié est obligatoire pour les journalistes, lequel suppose un lien de subordination - c'est la nature même du salariat.

Par ailleurs, et je vais peut-être en faire bondir certains, nous croyons nécessaire de renforcer la clause de conscience et de faire évoluer la clause de cession. En effet, la façon dont cette dernière est mise en oeuvre est extrêmement destructrice de valeur ; pis, dans de nombreux cas, elle n'est pas - ou plus - légitime, son exercice n'étant pas limité dans le temps.

Je pense, par exemple, à L'Infirmière magazine, qui s'est retrouvé devant le tribunal de commerce après l'activation de plusieurs clauses de cession. Après le rachat de M. Niel, avez-vous constaté un changement de ligne éditoriale du Monde susceptible de heurter la conscience d'un journaliste ? De même du Midi Libre après son rachat par La Dépêche ? La réponse est non.

Dans notre secteur, la clause de cession constitue très souvent une double peine : on finance le départ des journalistes, qui vont ensuite monter un titre concurrent. Ce dispositif non seulement entame largement l'attractivité du secteur de la presse pour les investisseurs, mais aussi entraîne un risque et une incertitude qui obèrent la capacité d'investissement de celui qui rachète. En outre, la clause de cession engloutit directement ou indirectement une part des aides à la presse en créant un besoin de financement.

Notre proposition est simple : maintenir en l'état la clause de conscience, actionnable à tout moment, et qui suppose que le journaliste démontre qu'il n'y a plus adéquation entre la ligne éditoriale et sa conscience professionnelle. En cas de cession, nous proposons une clause de conscience inversée : il reviendrait alors à l'éditeur de faire la preuve que son changement de ligne éditoriale, s'il existe, n'est pas de nature à heurter la conscience professionnelle, l'honneur et la considération du journaliste. Dans un cas, la charge de la preuve incombe au journaliste, et c'est difficile ; dans l'autre cas, la charge en incombe à l'éditeur, et c'est tout aussi difficile.

Je voudrais encore dire un mot des aides à la presse. Si la TVA bénéficie à l'ensemble des éditeurs, nous constatons une hyper concentration des aides. Nous avions obtenu, voilà une dizaine d'années, en collaboration avec le SPIIL, une réelle transparence. Le décalage de parution de quelques mois des tableaux qui vous sont communiqués ne change rien.

Nous sommes très satisfaits du taux de subvention du FSDP, bonifié pour les entreprises indépendantes de moins de vingt-cinq salariés. Il s'agit d'un très bon axe de réflexion.

De même, l'aide à l'émergence, mise en place à la demande du SPIIL, est une très bonne chose.

Toutefois, je tiens à mettre en garde sur l'enchaînement des aides - à l'émergence puis à l'investissement -, qui représentent 50 % du chiffre d'affaires cumulé de certaines entreprises au bout de quatre, cinq ou six ans. À un moment donné, l'éditeur doit pouvoir vivre par lui-même. À défaut, on entre dans un cycle de subventions perpétuel qui crée des distorsions de concurrence.

En ce qui concerne le marché publicitaire, plusieurs de vos interlocuteurs ont évoqué le fait d'orienter les investissements. Nous ne sommes pas du tout opposés à cette mesure, mais il faut prendre garde de ne pas focaliser les annonceurs uniquement sur des titres d'IPG. Il faut tenir compte de la diversité des éditeurs, notamment les titres spécialisés et professionnels.

Dans cet esprit, je voudrais évoquer rapidement la communication publique au travers d'un exemple : Bpifrance a communiqué abondamment pendant la crise sanitaire sur les prêts garantis par l'État (PGE), mais aucun titre de la presse professionnelle, pourtant à destination des chefs d'entreprise, c'est-à-dire les premiers intéressés par ce dispositif, n'a été destinataire de cette campagne de publicité...

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