Intervention de Alain Augé

Commission d'enquête Concentration dans les médias — Réunion du 13 décembre 2021 à 15h30
Audition des représentants de la presse écrite — M. alain augé président du syndicat des éditeurs de la presse magazine m. laurent bérard-quélin président de la fédération nationale de la presse d'information spécialisée et mme cécile dubois coprésidente du syndicat de la presse indépendante d'information en ligne

Alain Augé :

Vos questions sont au coeur du sujet. Il est certain que la concentration est le moyen, via le partage des frais généraux communs, de maintenir la biodiversité éditoriale. Je préfère que la rédaction d'un groupe indépendant rejoigne un grand groupe et continue d'exprimer son talent et sa ligne éditoriale spécifique plutôt qu'elle ne disparaisse. À cet égard, je ne diabolise pas du tout la concentration. Le desserrement de la contrainte entre les différents acteurs des médias pour permettre plus de concentration horizontale aurait même plutôt ma faveur.

Nous sommes très sensibles au souci de notre confrère Laurent Bérard-Quélin que les actifs de presse ne soient pas bradés et restent suffisamment attractifs pour que les entrepreneurs ayant investi, parfois sur plusieurs générations, dans l'outil de travail ne soient pas spoliés par une vente à l'encan.

Avec le droit voisin, c'est une bagarre sociétale contre Google qui est devant nous. Nous sommes très à la pointe sur ce dossier. Nous sommes les mauvais coucheurs. C'est nous qui avons relancé le contentieux auprès de l'Autorité de la concurrence. Nous investissons beaucoup dans cette affaire, qui nous tient tout à fait à coeur, pour de multiples raisons.

D'un point de vue froidement économique, nous avons perdu 2,5 milliards d'euros de recettes publicitaires pour quelque 25 000 journalistes, soit un manque à gagner de 100 000 euros par journaliste en dix ans. C'est beaucoup. Or ni l'argent ni l'audience de la presse n'ont disparu. Il n'y a jamais eu autant de lecteurs de presse, engagée ou non, régulière ou non, en France. Le phénomène concerne même les jeunes générations, sur les médias traditionnels ou les nouveaux médias. Le paysage n'est pas noir. Nous observons un progrès sociétal et culturel. Simplement, aujourd'hui, des rédactions ne sont plus payées, et plus payables par le modèle existant. Des distributeurs font un excellent travail, mais avec le seul petit défaut de prendre 100 % de commission !

Le premier accord qu'avait passé la presse, avec notre ami Marc Feuillée, le patron du groupe Figaro, était à 20 millions d'euros par an. Compte tenu des audiences et de la publicité, cela donne une somme actualisée de 200 millions d'euros. Le SEPM en réclame 70 millions d'euros à Google. Nous en toucherons une petite partie, qui ne sera sans doute pas indigne, contrairement aux propositions initiales de Google. Mais ce sera tout de même une portion misérablement congrue.

Nous serons donc à un carrefour stratégique, et nous devrons nous rapprocher de la puissance publique pour savoir ce qu'il conviendra de faire. Le choix risque d'être un peu cornélien.

Pour Google, les droits voisins, c'est un peu comme l'eau bénite pour le diable ou le travail pour Gaston Lagaffe : un vrai répulsif !

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