Je suis heureux et honoré d'être entendu par cette mission d'information. Je sais effectivement que ma parole est libre. Je la sentais cependant libre également lorsque j'étais médiateur. Dans le rapport que j'avais rédigé alors, j'avais d'ailleurs tenté de faire preuve d'une certaine liberté de parole tout en restant mesuré et courtois, en espérant que mon propos aurait ainsi un certain impact.
Je reviendrai brièvement, car je ne crois pas qu'il s'agisse du sujet central, sur les raisons de ma démission. Ma démission m'a préoccupé durant longtemps. Auparavant, mon parcours n'avait pas été celui d'un haut fonctionnaire. J'ai travaillé en effet dans une entreprise privée pendant plus de trente ans. J'étais chef d'entreprise. En 2005, j'ai décidé d'être utile différemment en démissionnant et en rejoignant M. Martin Hirsch pour créer l'association Solidarités actives. Dans le prolongement de cette action, il m'a ensuite été proposé de devenir le médiateur de Pôle emploi, ce que j'ai accepté immédiatement.
L'idée, née durant le « Grenelle de l'insertion », de créer un médiateur pour le service public de l'emploi m'avait paru extrêmement intéressante : elle permet de donner la parole à des personnes qui rencontrent de graves difficultés face au service public de l'emploi. J'ai accepté d'occuper cette fonction pour deux raisons : aider les demandeurs d'emploi qui rencontraient des difficultés avec Pôle emploi ; aider Pôle emploi, indirectement, à mieux remplir sa mission de service public en tirant des enseignements de la réalité du terrain et des difficultés que pouvaient rencontrer les personnes dans leur relation avec l'institution.
J'ai toujours été un idéaliste du service public. Je crois l'être toujours. Je réalise simplement que la situation est plus complexe qu'il n'y paraît. J'ai considéré, en premier lieu, l'ensemble des lettres de réclamation que j'ai pu trouver, même si elles ne m'étaient pas adressées. Un certain nombre de ministères envoyaient en effet des lettres de réclamation. J'ai récupéré en outre l'ensemble des lettres de réclamation qui parvenaient au directeur général. J'ai rencontré également des conseillers dans les agences et j'ai assisté à des entretiens pour enrichir mon expérience.
Le premier constat a été extrêmement dur. Nous nous retrouvons en effet face à des personnes qui vivent des situations extrêmement douloureuses. Elles sont fragilisées par la perte d'emploi mais également souvent par une cascade d'événements négatifs qui en résulte. Elles sont désorientées. Elles font face à une grande institution avec laquelle le dialogue est quelque peu difficile. Les entretiens sont rapides. Les personnes sont désemparées. Il leur est posé des questions sur leur projet professionnel alors qu'elles ne demandent qu'à retrouver un emploi.
J'ai également été frappé par la détresse des demandeurs d'emploi dans les courriers que j'ai progressivement reçus à mon nom. Dans mon rapport, j'ai d'ailleurs exposé une soixantaine de situations individuelles qui illustrent cette détresse. En réalité, deux mondes différents s'affrontent, d'un côté des personnes démunies qui ont un besoin pathétique d'explications, de contact, d'informations, avec une méconnaissance des textes, victimes d'un sentiment d'impuissance qui devient rapidement un sentiment d'injustice et d'arbitraire lorsqu'elles ne reçoivent pas de réponse, de l'autre des conseillers qui agissent du mieux qu'ils le peuvent mais qui se méfient de l'empathie et, surtout, qui essaient de traiter chaque cas de la façon la plus rapide et la plus standardisée dans le respect des consignes d'efficacité qui leur sont données.
Vous m'interrogez sur les enseignements à tirer de mon expérience. Je pense, en premier lieu, que l'idée initiale de fusionner des services qui s'adressent à un même usager était excellente. Sa mise en oeuvre a cependant été totalement défaillante. Pôle emploi est en effet une énorme machine dont il est souvent dit, par le directeur général lui-même notamment, qu'elle assure un « traitement de masse ». L'expression m'a frappé. Nous ne pouvons, au premier abord, qu'être d'accord avec cette formule puisque plus de quatre millions de personnes sont au chômage. Un traitement de masse est donc indispensable. Cependant, l'ensemble de l'institution s'est organisé dans cette perspective de traiter une grande masse de personnes le plus rapidement possible. Ainsi, il est devenu nécessaire de « faire entrer chacun dans le moule », pour traiter chacun à l'identique en espérant que l'ensemble des demandeurs d'emploi trouveront ainsi leur place. Il est vrai que ce dispositif peut fonctionner pour une grande majorité des demandeurs d'emploi. L'approche mise en oeuvre, quasiment industrielle, peut dès lors se légitimer. En revanche, une telle approche retire évidemment une part d'humanité à la relation avec le demandeur d'emploi.
La fusion, par ailleurs, s'est opérée verticalement, du sommet vers la base. Tous les deux mois, une nouvelle strate de la direction et du management était mise en place. Malheureusement, il n'y a pas eu, en parallèle, une écoute suffisante du terrain pour réussir la conduite du changement, en tenant compte du facteur humain. Les agents et les conseillers n'ont en effet été que très peu écoutés. L'opération a été menée de façon impersonnelle jusqu'à aboutir à une relation devenue elle-même de plus en plus impersonnelle. Il est tout de même frappant de constater le nombre élevé de courriers de personnes réclamant avec souffrance de pouvoir simplement parler à un agent de Pôle emploi. A l'inverse, la possibilité de parler apaise les angoisses des usagers. Je pense, dès lors, que le premier objectif à se fixer devrait consister à personnaliser de nouveau la relation, en particulier avec les personnes dont la situation est plus complexe qu'à l'habitude. La personnalisation du contact doit absolument être recherchée.
Le deuxième enseignement que je tire de mon expérience porte sur le fait qu'au sein de Pôle emploi, la qualité du service rendu à l'usager ne constitue pas une préoccupation centrale. J'avais imaginé, pour ma part, qu'il devait s'agir d'une préoccupation presque obsessionnelle. Des enquêtes ont été menées, l'été dernier, auprès de 500 000 demandeurs d'emploi, dont le ministre de l'emploi lui-même s'est fait l'écho, qui ont montré qu'entre 30 % et 50 % des usagers ne s'estiment globalement pas satisfaits des services de Pôle emploi. Même si ce taux n'était que de 10 %, il serait déjà trop élevé. Rappelez-vous que des entreprises automobiles, après quelques incidents sur deux ou trois véhicules dans le monde, rappellent parfois l'ensemble des modèles.