Intervention de Olivier Poivre d'Arvor

Mission d'information Fonds marins — Réunion du 15 mars 2022 à 17h00
Audition de M. Olivier Poivre d'arvor ambassadeur pour les pôles et les enjeux maritimes

Olivier Poivre d'Arvor, ambassadeur pour les pôles et les enjeux maritimes :

Je vous remercie de votre invitation, votre mission d'information est indispensable : nous en sommes à un point où il faut agir, mais nous sommes paralysés par toutes sortes de peurs et d'incompréhensions.

Le dossier des grands fonds est le moins bien documenté parmi les sujets maritimes, que ce soit en France ou à l'international. Qui plus est, s'il peut être intéressant de se référer aux grandes explorations des romans de Jules Verne, cela n'est pas complètement raisonnable. Dans ce dossier, on constate malheureusement que, souvent, la raison ne prime pas ! Nous devons avoir une approche scientifique, honnête.

Le cogito n'est pas français, il est universel. Nous connaissons très peu d'espèces marines, alors que les mers représentent 80 % de la surface du globe, pourcentage qui va d'ailleurs augmenter avec la montée des eaux. Nous connaissons quasiment tout en ce qui concerne la terre et si peu en ce qui concerne la mer. Nous devons apprendre à connaître cette « masse », pas seulement par curiosité ou amour de la science, mais par intérêt bien compris : nous devons savoir quoi en faire pour son propre bien. Si nous ne connaissons pas les phénomènes climatiques ou maritimes, la nature et l'homme ne pourront que s'opposer, ce qui ne serait positif pour personne.

Il est vrai que ce mouvement est tardif. La convention des Nations unies sur le droit de la mer, dite convention de Montego Bay, qui définit la notion de zone économique exclusive ne date que de 1982. Les États ont eu la sagesse de définir ces zones, même s'il reste évidemment des difficultés. Aujourd'hui, des travaux sont en cours au niveau international sur la question de la « colonne d'eau » ; ils pourraient aboutir à la fin de l'année 2022.

En ce qui concerne les grands fonds, la communauté internationale a pris des précautions. Elle a créé l'AIFM il y a près de 30 ans : cette décision collective apporte davantage de transparence et de contrôle. Les moyens de l'AIFM sont limités et son bilan est « raisonnable » : elle n'a pas été surchargée de demandes et une dizaine de permis a été attribuée - je suis presque étonné que cette structure ait été inventée pour si peu...

En tout cas, nous devons travailler tous ensemble sur ces sujets. Il n'y a aucune raison de mettre l'océan sous cloche - d'ailleurs, comment fixer un moratoire pour un organisme vivant ? Nous devons améliorer nos connaissances. La décision de l'Unesco est importante de ce point de vue, mais il faudra dégager une enveloppe financière suffisante... Le projet de « jumeau numérique » de l'océan annoncé par la présidente de la Commission européenne permettra aussi d'avancer dans nos connaissances, en rassemblant des données existantes sur le fond de la mer, sans y aller, donc sans l'endommager. Une autre annonce intéressante a été faite en ce qui concerne la société Mercator, dont la plupart des actionnaires sont européens, je le souligne.

Quel est le rôle de la France ? Avant même la guerre en Ukraine, nous savions que la mer était un enjeu stratégique majeur et que les grands conflits terrestres y auraient des translations - je pense notamment à Taïwan ou plus largement à la mer de Chine méridionale. Qui plus est, plusieurs puissances - la Chine, la Corée du Sud ou le Japon par exemple - se sont montrées intéressées par l'exploitation des grands fonds. Ces acteurs sont poussés par des raisons économiques. Parmi les grandes puissances maritimes, la France est une puissance d'équilibre : nous devons montrer l'exemple et nous emparer de ce dossier, en prenant en compte les réalités locales.

Les différentes annonces faites par le Président de la République sont de bonnes nouvelles et elles sont rassurantes. Je rappelle que, dès 1984, François Mitterrand parlait de l'importance de l'exploration et de l'exploitation des grands fonds. Ce n'est pas un sujet nouveau, mais une stratégie et des crédits ont maintenant été définis. Une mission a été mise en place auprès du secrétariat général de la mer, même si elle a certainement besoin d'un accélérateur pour montrer sa pleine efficacité.

Beaucoup se sont interrogés sur le fait que la France se soit abstenue lors du vote, à l'occasion du congrès en septembre 2021 de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), d'une motion sur un moratoire relatif à l'exploitation des fonds marins. Nous estimons que la discussion doit avoir lieu dans le cadre de l'AIFM, qui est une organisation des Nations unies. Les États devront prendre leurs responsabilités dans ce cadre. L'AIFM prépare un code minier depuis 2015 et devrait le terminer pour la fin de l'année 2022 ou pour 2023 - c'est un travail de longue haleine... Votre mission d'information permettra d'ailleurs de porter la voix de la France sur ces sujets.

En tout cas, je fais confiance à l'AIFM, qui n'est pas une entreprise commerciale ou capitalistique, pour proposer une position mesurée ; elle constitue une forme de garantie, d'autant que l'Union européenne a pris un certain leadership sur ces sujets. La France, acteur d'équilibre, jouera tout son rôle dans ce processus. Il ne s'agit pas dans ce cadre de « racler » les océans qui, je le rappelle, le sont déjà du fait de la surpêche - ce n'est donc pas la première fois que les grands fonds sont menacés !

Il me semble que, dans ce contexte, il serait intéressant d'organiser à l'automne une conférence pour mettre toutes les parties intéressées en France autour de la table - les scientifiques, qui ont assez peu pris la parole jusqu'à maintenant et qui ont pourtant beaucoup de choses à dire, les responsables politiques et administratifs, les ONG, etc. - afin d'apaiser les choses. Je le répète, les enjeux ne sont pas seulement économiques et scientifiques, ils sont aussi stratégiques.

En la matière, la France est vertueuse. Je rappelle par exemple qu'elle n'a pas accordé sa garantie à TotalÉnergies pour le projet Yamal 2 en Arctique, parce que toutes les garanties n'avaient pas été apportées en termes de protection de la biodiversité.

Un dernier point en ce qui concerne les câbles sous-marins. Il est vrai que plus de 90 % des communications passent par les grands fonds, mais il existe beaucoup de fantasmes en la matière. Nous devons prendre les choses au sérieux, mais il n'y a pas de menaces immédiates sur ces câbles. Aujourd'hui, les menaces sont d'abord naturelles avant d'être humaines.

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