Comment tous ces projets et ces rapports ont-ils pu être oubliés aussi rapidement ? C'est plus qu'une question de fond... Vous avez raison d'estimer que le ministre a cru que deux années de réflexion et de sensibilisation avaient donné une base très solide à sa réforme.
Les premières manifestations contre les rythmes scolaires sont historiquement parties de Paris. J'avais réalisé une enquête très importante à Issy-les-Moulineaux, en interrogeant 1 300 parents d'élèves et 70 % des enseignants de la commune. Cette commune avait une grande expérience de l'aménagement du temps scolaire, et l'avait déjà vécu de façon très positive.
Sur certains problèmes précis, on constatait déjà un fossé entre les parents et les enseignants, notamment au sujet des deux heures d'accompagnement éducatif. En effet, 80 % de parents étaient d'accord, contre un peu moins de 40 % d'enseignants. Quant aux neuf demi-journées impliquant des cours le mercredi, on comptabilisait moins de 50 % d'accord des deux côtés ! Ce message aurait dû nous alerter, et nous inciter à la prudence...
Après les élections présidentielles, en septembre 2012, alors que le rapport est sur le point d'être rendu, la machine s'enraye. L'explication n'est pas évidente. Elle s'enraye en premier lieu à l'échelon syndical, alors que tous les syndicats étaient précédemment d'accord, comme le démontrent les minutes des auditions réalisées par le ministère de Luc Chatel ou par celui de Vincent Peillon.
On constate une lutte de pouvoir intersyndicale, même si elle ne suffit pas à tout expliquer. Pourquoi le terrain répond-il ? 90 % des directeurs des écoles de Paris ont fait grève à propos des rythmes scolaires ! Il faut savoir qu'une bonne partie des écoles de Paris est située dans de vieux quartiers, où les cours de récréation sont exiguës. Les jours de pluie, par exemple, les enseignants ne savent que faire des élèves ! Le premier projet parisien comportait une pause méridienne allongée. Une partie des activités prévues pouvait se dérouler dans les classes, mais où l'enseignant, libéré durant la pause, pouvait-il travailler ? A Paris, il y a donc une justification à cette revendication très forte, sans parler du fait qu'il fallait revenir le mercredi...
Le maire de Paris, face à l'impasse, a eu l'intelligence de changer très rapidement son fusil d'épaule, et de réaliser les aménagements non en fonction des rythmes chronobiologiques des enfants, mais en prévoyant de grandes plages de temps le mardi après-midi et le jeudi après-midi, ce qui a calmé le jeu.
La fièvre parisienne s'est toutefois répandue sur toute la France. Les partisans de la réforme au début se sont retrouvés moins nombreux, et certains en ont profité pour en faire un levier politique.
L'aide financière a-t-elle accéléré le processus d'adhésion ? Non ! On s'est aperçu que cet élément jouait peu, aussi bien à droite qu'à gauche. C'était une question d'organisation, et de préparation.
Aujourd'hui, les braises couvent toujours sous la cendre ; tout peut redémarrer d'un moment l'autre ! Nous devons mettre en place des pistes de travail pour réduire les conflits. Ceci peut débloquer la situation. Le monde pédagogique s'est focalisé sur le décret. Une plus grande souplesse de celui-ci peut donc, selon moi, ouvrir une possibilité.