Intervention de Simon Sutour

Commission des affaires européennes — Réunion du 4 juin 2020 à 9h15
Institutions européennes — Relations entre la grèce et l'union européenne : rapport d'information de m. simon sutour par téléconférence

Photo de Simon SutourSimon Sutour, rapporteur :

Je m'étais rendu en Grèce en juin 2015, à un moment particulièrement difficile pour le pays du fait des turbulences politiques engendrées par les négociations houleuses entre le gouvernement Tsipras et les institutions européennes, sur le troisième plan d'aide financière.

Le déplacement que j'ai effectué à Athènes, du 24 au 26 février dernier, s'est déroulé dans un climat plus serein - à cette date, l'Italie était le seul pays européen vraiment touché par le coronavirus. La pandémie m'a conduit à mettre à jour mon rapport initial, en particulier sur la gestion de la crise en Grèce et sur ses conséquences économiques.

Le paysage politique grec a connu une profonde recomposition en 2019. La Nouvelle Démocratie, dirigée par Kyriakos Mitsotakis, a largement supplanté Syriza dans les différents scrutins organisés l'année dernière. Elle a ainsi remporté les élections européennes puis les élections locales, s'imposant dans douze des treize régions du pays, à l'exception de la Crète qui est pourtant la région d'origine de la famille Mitsotakis ; enfin, elle a obtenu la majorité absolue aux élections législatives de juillet, avec 158 sièges sur les 300 que compte le parlement monocaméral grec, la Vouli. Deux faits politiques importants méritent d'être soulignés : d'une part, le parti d'extrême droite Aube dorée ne siège plus au Parlement, et, d'autre part, le gouvernement Mitsotakis a pris l'engagement de ne pas remettre en cause l'accord de Prespa, conclu par Alexis Tsipras en juin 2018, sur le nom de la Macédoine du Nord, qui ouvre les portes de l'Union à ce pays.

Ce déplacement a été pour moi l'occasion d'aborder plus spécifiquement deux dossiers : la crise économique et la situation migratoire.

Si l'on constate une amélioration économique, le pays est encore convalescent. La Grèce se trouvait, juste avant la propagation de l'épidémie en Europe, dans une période de sortie de crise. Depuis 2010, elle avait bénéficié de trois plans d'aide successifs pour un montant total de 243,7 milliards d'euros. Elle en est sortie en août 2018, mais continue de faire l'objet d'une « surveillance renforcée » de la part de la Commission européenne et doit poursuivre les réformes structurelles. Le cinquième rapport sur la Grèce, établi en février dernier au titre de la surveillance renforcée, est globalement positif et montre que la Grèce va mieux.

Le gouvernement Mitsotakis a été élu sur un programme de réformes. Sa politique économique suit trois orientations : d'abord, une politique budgétaire favorisant la baisse des impôts - il m'a été expliqué à Athènes que la fixation à 2,1 % de l'excédent primaire, au lieu de l'obligation de 3,5 % faite aujourd'hui au pays, ne compromettrait pas la soutenabilité de la dette publique grecque ; ensuite, la promotion des investissements pour favoriser la croissance, que le gouvernement escomptait à 2,8 % en 2020, même si 2,5 % paraissaient plus réalistes, mais, avec le coronavirus, les dernières prévisions envisagent une chute du PIB grec de 9,7 % ; enfin, la mise en oeuvre de réformes structurelles, dont des privatisations. Les autorités grecques considèrent que cette politique commence à donner des résultats au vu d'indicateurs dont l'évolution est favorable.

Pour autant, la situation reste fragile.

En premier lieu, des problèmes structurels demeurent, en particulier le niveau de l'endettement public, à 173 % du PIB, et le poids des « mauvaises dettes » qui lestent le secteur bancaire. Par ailleurs, la persistance du manque de performance du secteur public grec a des conséquences dommageables sur l'environnement des affaires, sur la conduite de réformes importantes, comme celle du cadastre, ou sur l'efficacité de la justice. En dépit d'indéniables améliorations, l'insécurité juridique constitue un vrai problème. Par ailleurs, la lenteur des procédures est telle qu'un procès peut durer vingt ans...

La faiblesse des investissements, dont le déficit est estimé à 100 milliards d'euros, et l'insuffisance des exportations montrent aussi que le chemin restant à parcourir est encore long. Enfin, le pays est en retard en matière de transition numérique et écologique. Sur ces différents aspects, il existe des perspectives d'approfondissement des relations économiques franco-helléniques, qui sont aujourd'hui très réduites. Au forum organisé à Paris, le 29 janvier dernier, étaient présents pas moins de dix ministres et secrétaires d'État grecs - c'est de bon augure. À cette occasion, une rencontre très intéressante avait été organisée au Sénat par Didier Marie, le président du groupe d'amitié France-Grèce.

En second lieu, le climat social est médiocre. La longue et profonde crise économique a laissé des séquelles sociales importantes : le chômage et la pauvreté ont beaucoup augmenté, tandis que le niveau de vie chutait. Phénomène très inquiétant, 500 000 jeunes Grecs ont quitté leur pays, alors que celui-ci est affecté par un net vieillissement démographique - la population pourrait passer de 11 millions d'habitants aujourd'hui à 8 millions en 2050. Ce sont les forces vives, les jeunes diplômés, qui partent, essentiellement au Royaume-Uni et en Allemagne.

Vous le savez, la Grèce a également été fortement touchée par la crise migratoire. En 2015, plus de 850 000 réfugiés et migrants en provenance, principalement, de Syrie, d'Afghanistan et d'Irak ont atteint les côtes grecques, avec un pic au mois d'octobre, lorsque plus de 210 000 personnes sont arrivées par la mer. Le pays n'a pu y faire face seul : des dizaines de milliers de réfugiés et de migrants vivaient dans des conditions indécentes dans des camps ouverts à la hâte, avec de graves problèmes d'insalubrité et d'insécurité. La Grèce a dû supporter une charge disproportionnée du simple fait de sa position géographique. La Commission et Frontex lui apportent donc une assistance, ce qui est normal. Depuis la crise de 2015, la Commission a déboursé 2,8 milliards d'euros au titre de l'aide européenne à ce pays pour les migrants et les réfugiés.

L'accord sur les migrants conclu entre la Turquie et l'Union européenne en mars 2016 a beaucoup contribué à réduire les flux. Pour autant, la Grèce a dû relever plusieurs défis, en particulier : le respect de la procédure d'asile, ce qui requiert un service d'asile efficace, l'accueil des demandeurs d'asile - le pays comptait 1 000 places d'accueil avant 2016, contre 48 500 aujourd'hui - et l'intégration des réfugiés - je rappelle qu'environ 115 600 étrangers arrivés de Turquie à l'été 2015, surtout des Pakistanais et des Albanais, sont restés dans le pays, dont plus de 40 000 dans les îles.

Or, depuis l'été 2019, la Grèce est de nouveau confrontée à d'importantes difficultés en matière migratoire.

D'une part, l'année dernière a été marquée par une hausse significative des arrivées de migrants par mer, depuis la Turquie, dans les îles grecques. Près de 60 000 arrivées ont été observées, en hausse de 84 % par rapport à 2018 et de plus de 100 % par rapport à l'année précédente, dont plus d'un tiers de mineurs. Sur le seul mois de janvier 2020, 3 136 arrivées par mer ont été enregistrées, et 850 sur le continent, soit nettement plus qu'au cours des deux années précédentes. Certes, les flux ont logiquement beaucoup diminué dans le contexte actuel, mais il est fort probable que ce phénomène ne soit que provisoire.

Sur les îles, qui sont les principaux points d'entrée des migrants, la situation devient intenable. Les cinq hotspots sont surpeuplés : ils avaient été conçus pour accueillir 8 000 personnes, mais en reçoivent effectivement 42 000. Dans ces conditions, le gouvernement Mitsotakis a adopté une nouvelle approche consistant à transférer davantage de migrants, les plus vulnérables en priorité, des hotspots surchargés vers le continent et à accroître le nombre de retours vers la Turquie - ce volet de l'accord de mars 2016 ayant toujours été très peu opérationnel.

D'autre part, depuis la fin février, la Turquie, dans le contexte de la guerre en Syrie, exerce un chantage migratoire sur la Grèce et, plus largement, sur l'Union européenne. Le président Erdogan a décidé d'« ouvrir » sa frontière avec la Grèce, provoquant l'afflux de milliers de personnes aux postes-frontière grecs.

Les institutions européennes ont réagi dès le tout début du mois de mars. Frontex a répondu favorablement à une demande du gouvernement grec de déclencher une intervention rapide aux frontières maritimes du pays, et a envoyé du personnel et des moyens matériels supplémentaires. La Commission a annoncé une aide financière de 700 millions d'euros, dont 350 millions immédiatement mobilisables, et a activé le mécanisme de protection civile de l'Union. Plusieurs États membres, dont la France, ont indiqué qu'ils prendraient en charge environ 1 500 mineurs non accompagnés se trouvant sur les îles grecques. Enfin, la présidente von der Leyen et le président Michel ont rencontré, à Bruxelles, le président Erdogan. Ils lui ont demandé de respecter les termes de l'accord de mars 2016, mais ont aussi chargé le Haut Représentant, Josep Borrell, et son homologue turc de clarifier la mise en oeuvre de cet accord de manière à ce que les deux parties en fassent la même interprétation.

Voilà où nous en sommes aujourd'hui. Il est certain que cette crise reste ponctuelle en comparaison de celle de 2015. Il n'en demeure pas moins qu'elle illustre, une fois de plus, l'urgence d'une révision en profondeur des règles européennes, à commencer par celle du règlement de Dublin, qui déterminent les politiques migratoire et d'asile de l'Union européenne. Les Grecs plaident pour un mécanisme de relocalisation obligatoire des migrants, afin de répartir la charge de façon équitable entre l'ensemble des États membres. Ils ne sont pas favorables à ce que certains d'entre eux puissent contribuer seulement de façon financière ou humanitaire. Ils réclament un mécanisme d'urgence permettant de répondre à de futures crises potentielles. En effet, il est indispensable de trouver des solutions pérennes à un problème qui est moins grec qu'européen.

J'en viens à la pandémie de Covid-19 et à ses conséquences en Grèce.

La Grèce avait connu une longue crise économique, dont les effets s'étaient également fait sentir très fortement sur son système hospitalier, affecté par ailleurs par un exode important de médecins vers l'étranger. Mais le pays fait figure de « bon élève » dans sa gestion de l'actuelle crise sanitaire. Au 20 mai dernier, la Grèce, qui compte environ 10,5 millions d'habitants, enregistrait 165 décès et 2 840 cas - la Belgique, pareillement peuplée, déplore plus de 9 000 morts, comme l'a souligné le président.

Cette situation favorable serait due à une grande réactivité des autorités grecques qui, sans jamais déclarer l'état d'urgence, ont pris des premières mesures dès le 25 février avant d'imposer un confinement général le 23 mars. Une bonne politique de communication et une population très disciplinée auraient également facilité la lutte contre la pandémie. Le déconfinement progressif a été engagé à compter du 4 mai. Le recours à une application de traçage numérique des contacts n'est pas envisagé.

En revanche, les conséquences économiques de la pandémie devraient être douloureuses pour la Grèce. Le total des mesures initiales s'établissait à 10 milliards d'euros, porté, le 20 mai, à 24 milliards, y compris les fonds européens. Didier Marie avait exposé la réponse grecque aux conséquences économiques de la crise sanitaire, le 6 mai dernier ; je n'y reviens donc pas.

Je l'ai dit, la récession pourrait atteindre - 9,7 % du PIB en 2020, soit la plus forte chute de la zone euro. L'emploi devrait également beaucoup souffrir. Ainsi, pour le seul mois de mars 2020, plus d'emplois ont été perdus que pour toute l'année 2012. Alors que le taux de chômage avait diminué, tout en restant élevé, aux alentours de 16 % de la population active, il devrait augmenter de 6 points cette année, pour s'établir à 22,3 %, le taux le plus haut de la zone euro.

Cette situation de l'emploi s'explique en grande partie par la structure de l'économie grecque. Le tourisme en est en effet le deuxième pilier derrière la marine marchande ; il représente 20,6 % du PIB et emploie un actif sur cinq. Or, la lutte contre la pandémie a exigé la fermeture des frontières et s'est traduite par la quasi-paralysie des transports maritimes et aériens. Dans ce contexte, la saison estivale risque d'être désastreuse, même si le gouvernement cherche à limiter les dégâts en voulant faire débuter l'activité touristique au 1er juillet. Les hôtels rouvriront le 15 juin.

La Grèce a bénéficié de la solidarité européenne, en particulier au titre du mécanisme de protection civile de l'Union européenne. Elle recevra également le soutien de la Banque centrale européenne (BCE) et du plan de relance européen. La Grèce a d'ailleurs pris position en faveur d'un dispositif de mutualisation de la dette, ce qui ne surprendra personne.

L'interrogation porte surtout sur la durée de la dépression. Néanmoins, la Commission européenne, dans son sixième rapport sur la surveillance renforcée de la Grèce, publié le 20 mai dernier, s'est montrée plutôt optimiste. Elle a en effet estimé que, « compte tenu des circonstances exceptionnelles liées à la pandémie de coronavirus, la Grèce a pris les mesures nécessaires pour respecter ses engagements en matière de réformes ».

Notre commission devra rester attentive à la situation de ce pays.

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