Intervention de Mariya Gabriel

Commission des affaires européennes — Réunion du 4 juin 2020 à 9h15
Recherche — Audition de Mme Mariya Gabriel commissaire européenne en charge de l'innovation de la recherche de la culture de l'éducation et de la jeunesse par téléconférence

Mariya Gabriel, de la culture, de l'éducation et de la jeunesse :

commissaire européenne en charge de l'innovation, de la recherche, de la culture, de l'éducation et de la jeunesse. - C'est un très grand plaisir et un honneur pour moi d'être présente aujourd'hui parmi vous pour cet échange de vues sur les mesures prises par l'Union européenne dans le cadre de mon portefeuille.

Nous sommes confrontés à un immense défi : une pandémie qui ne connaît pas de frontières et qui a eu un très fort impact sur nos modes de vie. Reconnaissons que, dans une première phase, la crise sanitaire a mis à rude épreuve la solidarité entre les États membres de l'Union européenne. Mais elle a aussi montré que l'Europe conserve une capacité de réaction rapide. Dans cette situation, nous avons pu trouver des solutions en restant unis et solidaires. L'envoi de personnel médical français dans d'autres pays, ou le transfert de patients français vers l'Allemagne ou le Luxembourg en sont de beaux exemples. Nous devons faire en sorte que les leçons de cette première phase, dans laquelle les intérêts nationaux ont primé, nous renforcent, et que nous ne refaisions pas les mêmes erreurs.

Dans une seconde phase, l'Europe a été sur tous les fronts, avec la mise en place de nombreuses mesures qui ont permis d'améliorer la situation, comme la réserve commune pour l'équipement médical, etc.

J'ai la profonde conviction que nous ne pourrons sortir durablement de cette situation que grâce à la science, la culture, la recherche et l'innovation, et je suis heureuse que nous n'ayons pas attendu la mi-mars pour agir : dès la fin du mois de janvier, un appel d'urgence pour la recherche a été lancé dans le cadre du programme Horizon 2020. 18 projets ont été identifiés, impliquant 151 équipes qui travaillent sur les vaccins, les tests et les traitements. D'ores et déjà, l'un de ces projets présente des résultats très encourageants : il s'agit d'un projet développé par une entreprise irlandaise pour développer un diagnostic portable en 30 minutes, qui contribuera à réduire drastiquement le risque de propagation du virus.

Le 4 mai, sous l'autorité de la Présidente de la Commission, Mme Ursula von der Leyen, nous avons organisé un marathon mondial des donateurs, afin de récolter 7,5 milliards d'euros et d'accélérer le développement, la production et la distribution de vaccins, de traitements et de tests diagnostiques. Nous ne reproduirons pas les erreurs du passé : nous offrirons un accès à tous. Avec plus de 10 milliards d'euros récoltés, nous avons dépassé notre objectif. Nous travaillons à présent à développer trois écosystèmes, concernant les vaccins, les traitements et les tests.

Le programme Horizon 2020 a montré son incroyable efficacité. Nous avons ainsi réussi par ce programme à mobiliser en quelques semaines 1 milliard d'euros, ce qui, vous le savez, est beaucoup pour une dernière année de période budgétaire. Depuis le lancement des dix-huit projets, nous avons multiplié les actions. Avec le Conseil européen pour l'innovation, qui est en quelque sorte notre fabrique de licornes pour la prochaine période, nous avons un instrument qui nous permet de soutenir rapidement nos start-up et nos PME. Ce sujet me tient énormément à coeur. Pendant la crise, nous avons lancé deux appels à projets successifs, pour un montant total de 314 millions d'euros. En une semaine, nous avons reçu 4 000 propositions, dont 1 400 étaient liées au Covid-19. Preuve, s'il en fallait, de la vivacité de nos PME et de nos start-up.

Le 7 avril, nous avons adopté, avec les ministres de la recherche, un plan d'action intitulé « ERAvsCorona » (Espace européen de la recherche contre le corona). Il prévoit dix actions très précises qui ont commencé à se mettre en place. Il s'agit tout d'abord de la création d'une plateforme européenne de données, qui permettra aux chercheurs d'échanger des données en temps réel. Cette plateforme est opérationnelle depuis le 24 avril.

Nous avons également organisé le plus grand hackathon européen jamais lancé : il a réuni, en 48 heures, 21 000 participants venant de tous les États membres de l'Union européenne et plus de 2 000 solutions ont été proposées - c'est un record mondial. Il a été suivi, un mois plus tard, d'un « matchathon » dont j'ai annoncé les gagnants il y a deux jours. Nous allons continuer à travailler très étroitement avec eux : ils intègreront une plateforme du Conseil européen de l'innovation (CEI) pour être mis en relation avec des financeurs, pour que les idées géniales nées en Europe bénéficient à l'Union européenne.

La prochaine étape sera de créer, avec les ministres de la santé et de la recherche, un réseau européen d'essais cliniques, qui nous permettra d'accélérer le processus de développement des vaccins et des traitements.

Je souhaite souligner le rôle majeur de l'Institut européen de l'innovation et de la technologie, dont on ne parle pas suffisamment. Il fonctionne sur un mode décentralisé, avec une forte dimension régionale et locale. Il a contribué à la lutte contre l'épidémie. Il faudrait qu'il puisse développer son offre de formations, car nous devons investir davantage dans les compétences et l'éducation. Il nous permettra aussi, au niveau régional, d'identifier les marchés du futur et les technologies disruptives, en lien avec les écosystèmes économiques.

Nous avons également travaillé en coopération internationale. Depuis trois mois, toutes les semaines, et désormais toutes les deux semaines, je participe à une réunion des ministres de la science de quinze pays, organisée par les États-Unis. Nous avons fait une déclaration conjointe au profit de la science ouverte. La science ouverte sera le modus operandi d'Horizon Europe ; l'ouverture des données et des publications scientifiques est un accélérateur pour la recherche et l'innovation. Le G7 est également un cadre dans lequel la coopération se déroule bien : nous avons fait une déclaration commune qui met en avant l'importance de la coopération internationale. Enfin, en marge du sommet Japon-Union européenne, j'ai signé, avec le ministre japonais, un accord de coopération scientifique et technologique sur la coopération et la science ouverte dans le contexte du coronavirus. Mais n'oublions pas que les intérêts de l'Union doivent primer. Les résultats de la recherche européenne ne doivent pas être partagées intégralement, ni sans aucune contrepartie. Aussi je résumerais notre état d'esprit sur l'ouverture de la science dans cette formule : « aussi ouvert que possible, aussi fermé que nécessaire ».

S'agissant maintenant du futur programme Horizon Europe, nous avons présenté un budget ambitieux, assorti d'un instrument de relance également ambitieux « Génération suivante de l'Union européenne ». Nous travaillons pour la génération suivante, mais avant cela, il faut aussi être là pour soutenir la génération qui va assurer la sortie de crise et la transition écologique et numérique. Nous avons des leçons à tirer de la crise : il faut plus de coopération, de flexibilité, de solidarité, d'égal accès et de synergies. Je suis satisfaite que le budget proposé pour Horizon Europe ait augmenté par rapport au programme précédent, mais pourquoi ne pas aller plus loin sur ces investissements stratégiques ? Il faut que les États membres mettent, au coeur de leurs stratégies, la nécessité d'investir dans nos chercheurs, dans nos entreprises, dans nos talents. Ceux-ci doivent sentir qu'ils peuvent rester en Europe, que c'est ici leur maison. Je compte sur les États membres pour défendre le budget d'Horizon Europe dans les négociations budgétaires, et - pourquoi pas ? - pour l'augmenter encore.

Dans le cadre du plan de relance, nous avons aussi proposé un nouveau programme, EU for Health, qui comportera un volet de recherche complémentaire à celui d'Horizon Europe, centré sur les essais, l'homologation et le déploiement des technologies de santé.

Grâce à Horizon Europe et à ces nouveaux programmes, nous pourrons conserver un leadership et répondre aux attentes des États membres.

Le programme Horizon Europe présente plusieurs nouveautés. En premier lieu, il préserve notre capacité de recherche menée par la curiosité, via le Conseil européen de la recherche, qui est pour moi très important : de tout ce que nous utilisons aujourd'hui dans notre vie quotidienne, quelle part étions-nous même capables d'imaginer il y a dix ans ? C'est le premier pilier.

Le deuxième pilier d'Horizon Europe sera structuré en missions autour de cinq sujets principaux : le cancer, le changement climatique, les villes intelligentes, la qualité des eaux et la qualité de l'agriculture. Sa mission sera un portefeuille d'actions déterminantes par leur impact positif dans la vie quotidienne des citoyens : pour la première fois, les citoyens européens doivent pouvoir se dire qu'il y a eu un changement dans leur vie grâce à un programme européen de recherche. Ces missions travaillent déjà depuis quelques mois. D'ici quelques semaines, elles vont rendre leurs premières recommandations. En effet, le Parlement européen a demandé à ce que des indicateurs mesurent l'état d'avancement des missions chaque année d'ici à 2024. Nous travaillerons ensuite ces priorités, avec les États membres, les institutions européennes, mais aussi les citoyens, avant de les présenter, en septembre, lors des deuxièmes journées de la recherche et de l'innovation.

À côté de ces missions, nous comptons aujourd'hui 120 partenariats public-privé. Leur nombre sera réduit par deux et des critères définis afin de les rendre plus efficaces. Je voudrais aussi proposer un nouveau partenariat sur la préparation face à de nouvelles pandémies. Nous avons des forces, mais aussi des leçons à tirer de la pandémie actuelle. Je ne pense pas que ce sera la dernière et nous devons nous préparer dès à présent.

J'en viens maintenant au troisième pilier du programme, consacré à l'innovation. Nous ne manquons pas de start-ups en Europe : nous en comptons plus que les États-Unis, mais nous manquons de licornes. Nous allons donc mobiliser 10 milliards d'euros, voire plus, pour créer une fabrique européenne de licornes, au sein du Conseil européen de l'innovation (CEI), avec deux instruments : un « éclaireur » (« path finder »), qui financera la première phase de développement - de l'idée au produit - et un « accélérateur » pour financer la seconde phase - du produit au marché. Environ 70 % de ce budget sera réservé aux PME. Notre coopération avec le commissaire Thierry Breton est excellente : nous devons en effet assurer de la cohérence et des synergies avec la stratégie industrielle de l'Union européenne pour soutenir l'épine dorsale de notre économie que sont les PME.

Une communication est prévue en juillet au sujet de l'espace européen de la recherche (EER). Cet espace est utile et pertinent, comme l'a montré le plan d'action « ERAvsCorona ». Il s'organisera désormais autour de trois axes :

- en premier lieu, la directionnalité - comment mieux canaliser les investissements publics et privés vers les domaines prometteurs ? - ;

- en second lieu, l'inclusivité, car quinze pays concentrent 94,4 % des fonds alloués par le programme Horizon 2020, tandis que le reste du financement concerne les treize pays les plus récemment entrés dans l'Union. Il y a certes des arguments objectifs à cette répartition, mais les instruments doivent aussi être à la disposition de tous, si l'on veut que l'Europe conserve son leadership en matière de recherche ; autrement, nos divisions risquent de se transformer en véritables fractures ;

- en troisième lieu, la connectivité : nous devons travailler à davantage de connexions entre connaissances et acteurs à travers l'Europe.

Je souhaite également dire quelques mots de l'éducation et de la culture, qui font partie de mon portefeuille de commissaire.

Le Covid-19 a impacté très durement le secteur de la culture, qui aura besoin de plus de temps pour se remettre de cette crise. C'est profondément injuste, car aucun d'entre nous n'aurait pu imaginer de traverser le confinement sans les contenus de nos artistes et de nos créateurs ! Ils nous ont permis de vivre différemment ces temps difficiles. Je serai toujours aux côtés de la France dans son combat pour faire avancer la reconnaissance des droits d'auteurs et la réflexion sur les services de médias audiovisuels (SMA). Ce n'est pas seulement le programme Europe créative qu'il faut renforcer : il faut aussi trouver d'autres sources de financements, y compris Horizon Europe, dans lequel est inclus un cluster sur la culture.

En ce qui concerne l'éducation, je tiens à dire un énorme merci, de la part de toutes les institutions européennes, aux enseignants, élèves et parents qui se sont mobilisés durant cette période. Mais ne fermons pas les yeux devant les difficultés : nous devons continuer à travailler sur la connectivité dans les zones rurales, mais aussi sur les équipements, sur l'éducation aux médias et la pensée critique pour combattre la désinformation, etc. Je crois au rôle clé de l'école et de l'éducation. C'est pourquoi je présenterai, en septembre prochain, un nouveau plan relatif à l'éducation numérique qui abordera ces sujets et nous travaillerons, pour la première fois, en septembre également, sur un espace européen de l'éducation.

Les universités européennes vont jouer un rôle majeur. Les universités françaises font partie de nos participants les plus actifs. Ensemble - chercheurs, universités, secteur privé, société civile -, nous allons dessiner les universités européennes du futur qui nous permettront de garder nos talents en Europe.

Face à l'incertitude, la recherche, l'innovation, l'éducation et la culture restent les outils essentiels que nous avons à notre disposition pour réaliser les transitions nécessaires (numérique, écologique, etc.) et stimuler l'emploi, la croissance et la compétitivité sur notre continent. C'est en ayant recours à ces outils que nous sortirons durablement de la crise. Nous avons besoin de plus de flexibilité et de coordination. L'Union européenne a joué un rôle fondamental dans la résolution de la crise : elle nous a permis d'être rapides, solidaires et coordonnés à grande échelle. Elle nous a montré qu'elle était à la hauteur des enjeux.

Je reste confiante : grâce à la force motrice de la recherche, de l'innovation, de l'éducation et de la culture, l'Europe pourra montrer un autre leadership dans la gestion de la crise et dans la sortie durable de la crise.

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