Intervention de Anne Chailleu

Mission commune d'information sur le Mediator — Réunion du 19 mai 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Philippe Foucras médecin généraliste président et Mme Anne Chailleu membre du formindep

Anne Chailleu, membre du Formindep :

J'ai noté dans les auditions précédentes que vous portiez une attention toute particulière à la Drug Information Association (DIA). La DIA est une association fondée dans les années 1960 par les professionnels de l'industrie pharmaceutique. Aujourd'hui, elle compte 18 000 membres dans le monde entier auxquels s'y ajoutent les membres des agences de réglementation. Dans son audition, le docteur Abadie a commis une erreur. Il ne s'agit pas d'une association paritaire puisque, selon mes vérifications, sur les treize directeurs qui composent le management board, une seule personne ne fait pas partie de l'industrie mais représente le College ter Beoordeling van Geneesmiddelen (acronyme anglais : MEB), l'agence néerlandaise du médicament. Cette association n'a jamais eu la prétention d'être une organisation paritaire mais elle a reçu de l'EMA le monopole de la formation sur les systèmes d'eudravigilance, qui permettent la déclaration des effets secondaires des médicaments. Ceci pose des problèmes, la DIA étant uniquement financée par les cotisations de ses membres, tous issus de l'industrie. Les membres des agences de réglementation ne sont qu'invités et, lorsqu'ils participent à des forums, leurs travaux sont toujours accompagnés d'une étude contradictoire réalisée par l'industrie afin de « ne pas manipuler l'auditoire ».

Figure aussi parmi les exemples de pantouflage retour le cas de la directrice de l'Institut de veille sanitaire (InVS), Mme Françoise Weber, qui a travaillé au sein de l'industrie pharmaceutique. Sans préjuger de la qualité des personnes et de leur engagement au sein de l'Agence, une telle démarche contrevient aux règles fixées par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Le pantouflage constitue en effet l'une des premières sources de la corruption. Actuellement, force est de constater que la fonction publique française se prémunit très mal contre ce type de transfert. Peut-être faudrait-il renforcer les contrôles en les confiant à un service indépendant, comme le service central de prévention de la corruption, qui détient les outils juridiques pour émettre des avis indépendants.

La théorie de la capture comprend, outre le pantouflage, un processus d'acculturation des fonctionnaires qui, à force de contacts informels ou amicaux avec les entités qu'ils sont censés contrôler, finissent par intégrer les idées et défendre les intérêts de l'industrie pharmaceutique. Ce phénomène apparaît dans tous les secteurs de contrôle. Il constitue même, pour les entreprises, un investissement rentable. Ainsi, le recrutement de Thomas Lönngren par CBio, bien qu'à un poste quasi-honorifique, a fait grimper de 27,6 % le cours de l'action de ce laboratoire australien.

En matière d'acculturation, je citerai l'exemple d'une tribune parue dans le New England Journal of Medicine le 2 avril 2009 intitulée « Des médicaments sûrs et le coût des bonnes intentions ». Cette tribune comporte des idées qui font froid dans le dos. En voici quelques extraits : « Certains observateurs ont conclu que le système réglementaire dans son entier devait être revu car les régulateurs avaient échoué à appliquer un contrepoids suffisant aux compagnies. » S'ensuit une démonstration tendant à prouver que l'on en fait trop en matière de pharmacovigilance. Le développement des outils informatiques va augmenter les possibilités de réaliser des études de pharmaco-épidémiologie. Les quatre signataires listent plusieurs craintes : « Le nombre de faux signaux va augmenter ; un tel scénario va entraîner la perte de la confiance du public et va même endommager la santé publique en obérant l'utilisation de médicaments et vaccins qui sauvent potentiellement des vies. Si les décisions réglementaires sont prises sur la base de signaux douteux, nous finirions par refuser à des patients atteints de maladies mortelles l'accès à des soins même si le rapport bénéfices-risques restait favorable. (...) La couverture médiatique peut, de façon disproportionnée, augmenter la visibilité publique des effets secondaires et induire des jugements biaisés. » En conclusion, les auteurs indiquent que « nous pourrions assister à une spirale de la connaissance du risque dans laquelle de meilleurs outils de pharmacovigilance détecteront plus de signaux de sécurité qui attireront plus l'attention sur les mauvais côtés des médicaments, lesquels, en retour, vont créer une pression sur les autorités réglementaires pour plus de sécurité et plus d'outils de pharmacovigilance et ainsi de suite ». La conclusion me paraît claire « L'opposé du bien est la bonne intention. »

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