Intervention de Julien Lamon

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 22 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de Mme Agnès Verdier-molinié directeur de la fondation ifrap fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques et de M. Julien Lamon directeur des recherches de l'association contribuables associés

Julien Lamon, directeur des études de l'association Contribuables associés :

Je reviendrai sur les causes des retours.

Je ne détaillerai pas les chiffres relatifs à la structure de la population qui s'exile, mais on peut malgré tout retenir que la moyenne des revenus nets des foyers exilés s'établit à 48 000 euros par an, soit le double du revenu moyen français, ce qui s'explique en partie par un niveau d'études plus élevé. Qui s'expatrie ? Des gens ayant des talents, de l'argent et en quête d'un meilleur niveau de vie. Ces considérations sont importantes, car elles vont servir de base à l'évaluation des sommes perdues par l'État.

Le coût de l'émigration s'évalue comme la différence entre des dépenses initiales et des recettes, puisque les expatriés rapatrient aussi de l'argent en France.

Les dépenses initiales comprennent des dépenses de formation et de santé. Tous les Français qui ont été formés par l'école gratuite française coûtent cher : quand ils s'expatrient, la France perd une partie de son investissement. Dans notre estimation, il s'agit de la part la plus importante du capital humain perdu, que nous évaluons à 5 milliards d'euros par an.

Il convient d'évaluer ensuite le manque à gagner dû à l'évasion fiscale. On estime le nombre des Français qui quittent le territoire pour des raisons fiscales à 11 200 par an. Ce chiffre s'appuie sur des extrapolations établies à partir de données émanant de Suisse et de Belgique, destinations prioritaires des exilés fiscaux.

Selon nos estimations, ces départs représentent une perte annuelle de 1,279 milliard d'euros au titre de l'ISF, de 286 millions d'euros pour l'impôt sur les sociétés, de 660 millions d'euros au titre de l'impôt sur le revenu, de 93 millions d'euros pour les impôts sur les successions, de 34 millions d'euros au titre d'autres impôts, de 830 millions d'euros pour la TVA et la TIPP et, enfin, de 800 millions d'euros au titre des impôts locaux et des cotisations sociales. Le total du manque à gagner pour l'État, par année, est estimé à 11,117 milliards d'euros, dont un peu plus de la moitié en impôts et 40 % en dépenses initiales de formation.

Heureusement, il y a des gains. Les Français à l'étranger opèrent des transferts de fonds sur des comptes français. Des impôts sur le revenu sont perçus, ainsi que de l'ISF, des impôts sur les sociétés et quelques cotisations. A ces gains, viennent s'ajouter les économies réalisées par l'État pour la formation des Français qui partent avec leur famille. Nous avons essayé de comparer ce qui était comparable.

Globalement, ces compatriotes exilés rapportent à l'État 3,32 milliards d'euros par an. En soustrayant les gains aux pertes totales, qui s'élèvent, je le rappelle, à 11,117 milliards d'euros, il apparaît que l'État français perd chaque année 8 milliards d'euros.

Si l'on raisonne en stock global de Français expatriés, lequel est à peu près constant, et non en flux, on obtient quasiment les mêmes chiffres. Nous avons perdu 180 milliards d'euros en éducation puisque ces personnes formées ne rapporteront rien à l'État. Nous avons perdu en patrimoine, depuis la création de l'ISF, 2 300 milliards d'euros, soit une fuite vers l'étranger de 115 milliards d'euros par an en vingt ans.

Ces 2 300 milliards d'euros sont perdus à un double titre. Ils sont perdus au titre de l'ISF ; si l'on raisonne en termes constants, la perte pour l'État est de l'ordre de 25 milliards d'euros. Mais ils sont surtout perdus au titre de la collectivité globale : 2 300 milliards d'euros de capitaux qui se sont échappés de France, c'est 2 300 milliards d'euros de capitaux qui ne créeront pas de richesse en France. Notre pays s'est donc appauvri de cette somme en vingt ans.

Le coût brut pour l'État, si l'on raisonne uniquement au niveau fiscal, s'élève à 233 milliards d'euros. Cette somme représente les impôts perdus depuis vingt ans sur le stock des Français de l'étranger.

Je vais terminer mon propos liminaire. Nous disposons de chiffres. Que faire ? Nous avons cherché à revenir aux causes de l'expatriation. Selon les sondages réalisés par le ministère des affaires étrangères et le CEM, près de 30 % des personnes interrogées ne souhaitent pas revenir en France pour les raisons suivantes : « une France où rien ne bouge », « pas d'avenir en France », « changer d'air », « taxes et impôts trop lourds », « le travail en France n'est pas motivant ». Un tiers de nos compatriotes qui s'exilent et qui ne reviendront pas le font pour des raisons réglementaires et fiscales.

Afin de nourrir le débat, nous avons élaboré quelques propositions, qui ne sont pas chiffrées.

Nous proposons un retour vers la stabilité réglementaire et fiscale. Pour cela, il conviendrait de mettre fin à l'inflation réglementaire et à la créativité fiscale. C'est la stabilité qui engendre la croissance.

Nous proposons également de valoriser la recherche et l'entrepreneuriat par une concurrence universitaire pour une meilleure formation et une meilleure adéquation recherche-entreprises pour que les jeunes formés à l'université restent en France. Par ailleurs, il conviendrait de cibler les publics jeunes et de valoriser le travail ainsi que la création d'entreprises.

Nous proposons aussi de s'orienter vers une plus grande neutralité fiscale : suppression de l'ISF et des niches corporatistes ; élargissement de la base de l'impôt et diminution des taux marginaux, car il existe une corrélation très forte entre la faible progressivité de l'impôt, la création d'entreprises et la création de richesses.

Enfin, nous proposons plus de responsabilité fiscale et une régionalisation de la fiscalité. Notre slogan est : « une collectivité, un impôt » afin de rendre la fiscalité plus lisible et de coller au principe empirique selon lequel plus le pays est petit, plus la collectivité qui taxe est maîtresse de sa fiscalité et la rend lisible, plus elle peut la maîtriser et plus elle peut attirer des entrepreneurs, des investisseurs ou de gros contribuables.

Telle est la conclusion de ma présentation.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion