Intervention de Eric de Montgolfier

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 22 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Eric de Montgolfier procureur près la cour d'appel de bourges

Eric de Montgolfier :

Vous me posez des questions, mais je ne puis vous livrer que des appréciations.

En dehors de tout contexte politique, c'est avec étonnement que j'ai pris connaissance, pendant l'été, du communiqué du ministre du budget faisant état de 3 000 noms. Je me suis dit en souriant qu'il s'agissait peut-être bien de notre dossier, mais je ne retrouvais pas ce chiffre. J'avais déjà livré des indications complètes aux services fiscaux, à savoir la copie des données informatiques dont je disposais. Il faut toutefois accepter l'idée que nos découvertes furent évolutives.

Comme je vous l'ai dit, il ne s'agit pas d'une liste ni d'un catalogue, ce serait trop facile. En réalité, M. Falciani, pour des raisons qui m'échappent encore, nous a livré par bribes ce qu'il détenait. Avant que l'autorité judiciaire n'aille chercher ces données - je l'ai su plus tard -, il semble que des tractations aient eu lieu avec les services fiscaux, ce qui n'est pas peu dans ce dossier.

Qu'a fait le ministre du budget ? A-t-il minoré ce chiffre volontairement ? Le chiffre correspondait-il à ce qui avait été extrait pas ses services à ce moment-là ? S'agissait-il non pas des données que nous avions communiquées mais de celles qui avaient déjà été obtenues par ses services avant que nous n'intervenions ? Pour ma part, je fais suffisamment confiance au ministère des finances de l'époque pour penser que c'était une stratégie intelligente. M. Woerth a indiqué que ses services détenaient une liste de 3 000 personnes ayant ouvert des comptes dans des banques suisses sans citer HSBC Patrimoine, ce qui a provoqué un mouvement intéressant. Il y a en effet beaucoup plus de gens qui détiennent de l'argent dans des banques suisses qu'il n'y en a dans la seule HSBC. Un certain nombre d'entre eux, sans avoir un compte à HSBC, se sont alors sentis concernés et se sont livrés, dans ce que l'on a appelé à Bercy « la cellule de dégrisement », à une sorte de remords actif : transigeons, négocions. Dans mon entourage même, quand la nouvelle a commencé à se répandre, on m'a dit qu'un tel aimerait savoir si telle banque était concernée...

Il y avait donc une stratégie que j'ai trouvée plutôt fine.

Je ne peux pas vous expliquer pourquoi il y a une différence de chiffres. Il faut le demander à M. Woerth. Il est possible qu'elle provienne, non pas d'une erreur technique, mais d'un stade de connaissance inférieur à celui auquel nous devrions un jour parvenir. Il m'était expliqué par les techniciens que ces données informatiques étaient susceptibles de remplir un train de marchandises !

Il est possible que M. Woerth n'ait pas disposé de toutes les données à l'époque du communiqué. Il s'agissait peut-être aussi d'une stratégie qui a permis, d'après le directeur de la vérification fiscale qui m'a souvent tenu informé, de récupérer pas mal d'argent de la fraude. Je n'ai pas d'autre opinion sur la question ; il y a des possibilités différentes.

Vous m'avez interrogé sur la manipulation des données. Les premiers à en parler furent les Suisses. J'ai d'abord eu un contact téléphonique avec la procureure fédérale suisse au sujet de la remise de la copie des données. Je lui ai demandé comment procéder afin de ne pouvoir être soupçonné, en cas de perte, de l'avoir égarée volontairement. Elle m'a répondu que, de toute façon, elle savait que j'allais les truquer. Ce n'était guère aimable, mais passons... Nous avons fait en sorte de remettre la copie à l'ambassade dans les conditions formellement les moins contestables. La procureure fédérale suisse m'a tout de même écrit que, d'après on ne sait trop qui, il n'y avait pas tout. Cela prouve qu'il y avait sans doute encore plus de personnes concernées, et seule HSBC avait dû pouvoir lui fournir la liste de ses heureux clients.

Les données ont-elles été truquées ? Sans vouloir me défausser, je vous avoue que je n'en sais rien, et ce pour une bonne raison : on parle volontiers de l'indépendance de l'autorité judiciaire, mais ce n'est pas tant la nôtre qui est en cause dans la réussite des dossiers que celle des services auxquels nous devons nous adresser. C'est le vrai sujet.

Je demande à l'IRCGN de transformer, avec l'aide de M. Falciani, des données informatisées en données exploitables. Il me faut des noms, des lieux et des sommes. Comment voulez-vous que je sache si l'on m'a transmis toutes les données ou seulement une partie ? Je n'ai aucune possibilité de le vérifier, pas plus que je ne puis m'assurer, quand je lis une audition dans un dossier, que tous les propos ont été retranscrits.

Nous vivons dans un système fondé sur la confiance de l'autorité judiciaire dans les services auxquels elle s'adresse. Un tel dossier comportant quelques risques de politisation, j'avais préféré m'adresser à la gendarmerie nationale, qui est parfois moins sujette aux pressions diverses, ainsi qu'à la douane judiciaire. J'ai été conduit à me poser un certain nombre de questions sur mes choix au vu des mouvements qui se sont produits par la suite au sein de ces services. Mais quels choix avais-je ? De toute façon, le risque est toujours grand et, plus les affaires sont susceptibles de politisation, plus il est difficile pour le ministère public d'être certain des services qu'il choisit pour exécuter ses instructions.

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