C'est un peu plus que de la persuasion ! La persuasion, c'est la force de la conviction. Là, c'est autre chose : c'est ceci ou cela ! Et on choisit toujours la proposition moindre, à moins d'être un peu suicidaire ; mais, dans ce domaine, j'en connais peu !
On a, il est vrai, un mauvais système. C'est pour cette raison qu'il est toujours compliqué de le prendre par bribes. Pour ma part, je pense qu'il faut engager une réforme globale de la justice, en sachant ce que l'on veut faire. En réalité, nous avons des capacités de jugement assez étroites, assez limitées. Je conviens de ce que, peut-être, nous pourrions faire mieux. Mais tout un ensemble de paramètres entrent en jeu : la présence de l'avocat, l'aide juridictionnelle, et une aide juridictionnelle accordée à temps. Tous ces paramètres retardent et limitent nos capacités de jugement.
Dans tous les postes que j'ai occupés - je le vois encore aujourd'hui dans le centre de la France -, j'ai dressé le même constat : on cherche des solutions intermédiaires, et elles sont souvent mauvaises. En effet, c'est précisément parce qu'elles sont intermédiaires qu'elles vont créer un sentiment d'inégalité. Or c'est le pire que l'on puisse faire en matière de Justice.
Pour ce qui me concerne, je suis assez favorable à l'exemplarité. Dans un précédent poste, je me suis étonné du fait que peu d'avocats fassent l'objet de poursuites pour fraude fiscale. Pourtant, Dieu sait si j'ai communiqué des lettres de clients à l'administration fiscale au motif que ceux-ci devaient régler les honoraires en espèces, avec parfois quelques preuves à l'appui. Je m'en étais entretenu avec un haut responsable de l'administration fiscale, lui faisant remarquer que certains avaient droit aux « attentions » de son service, tandis que d'autres étaient totalement ignorés. Sa réponse a été intéressante : « Monsieur le procureur, on les pressure déjà tellement ; vous ne voulez pas, en plus, qu'on les poursuive ! » Vous voyez, quand l'administration fiscale en est à ce point, cela pose un réel problème.
Notre mission est de traiter non pas telle ou telle partie de la délinquance, mais l'ensemble de la délinquance. Or il est extrêmement difficile d'expliquer aux uns les raisons pour lesquelles on ne poursuit pas tel autre pour des faits qu'ils peuvent juger, à tort ou à raison d'ailleurs, comparables, ou, en tout cas, justiciables. C'est là que réside l'autre difficulté.
Tout système qui renforce ce problème et donne à la Nation tout entière, aux personnes que nous poursuivons et que nous jugeons, et au service desquelles nous sommes, le sentiment que la justice frappe les uns et épargne les autres est mauvais.
La transaction fait couler beaucoup d'encre. On voit bien que les citoyens ne sont pas égaux devant la transaction : il vaut mieux être un chanteur célèbre ou un couturier réputé ; cela coûte moins cher de frauder.