Intervention de Eric de Montgolfier

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 22 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Eric de Montgolfier procureur près la cour d'appel de bourges

Eric de Montgolfier :

Vous avez dit, monsieur le sénateur, que le juge d'instruction aurait dû être sanctionné. Pour ma part, je ne suis pas certain que ce soit de bonne justice de tirer, comme cela, à vue. Je parle non pas de vous, mais de ce qui s'est passé. D'ailleurs, je vous le dis tout net, j'hésite à accepter l'idée d'une commission d'enquête sur une affaire judiciaire en cours. A cet égard, lorsque j'étais au ministère de la justice, je m'y suis opposé, au nom des gardes des Sceaux successifs, au motif que la justice était saisie et qu'il me semblait qu'il existait des règles en la matière. Le dossier d'Outreau n'était pas achevé. On peut aussi considérer que la commission d'enquête sur l'affaire d'Outreau a pesé sur la décision judiciaire, d'une manière réelle. Il était acquis que les mis en examen étaient innocents. On peut alors se poser la question de l'influence de la commission d'enquête sur ce qui s'est ensuite passé.

Je voudrais simplement revenir sur le résultat. Il est vrai que le magistrat ayant été chargé de l'instruction n'a pas fait preuve de l'humilité nécessaire à la conduite des opérations.

Disant cela, je n'ai pas tout dit.

En effet, dans l'institution, il y avait à côté du juge, me semble-t-il, une cour d'appel chargée de vérifier ce qui s'était passé. Or je me souviens avoir entendu à la télévision, avec beaucoup d'étonnement, l'un des magistrats ayant composé la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, aujourd'hui d'ailleurs à la Cour de cassation, indiquer : « On ne pouvait voir que ce que nous donnait le juge ». Mais, dans ce cas, on va faire de sérieuses économies : on va pouvoir supprimer les cours d'appel ! Si elles ne servent qu'à voir ce qu'on leur donne, franchement, elles risquent de ne pas voir grand-chose.

De plus, il y avait tous ceux qui étaient intervenus dans le processus, y compris le ministère de la justice. Pour avoir vécu assez longtemps, en direct, des affaires de cette nature, je puis vous jurer que la chancellerie, à moins que cela n'ait beaucoup changé, tient très précisément la main à ce qui se fait. Vous ne pouvez donc pas non plus gommer cet aspect des choses. Le garde des Sceaux en personne avait souhaité qu'il y ait des poursuites plus vigoureuses en matière d'atteintes sexuelles sur des mineurs. D'une manière générale, il y avait à cette époque une action tendant à la répression de ce que l'on a appelé la pédophilie ou la pédocriminalité, si vous voulez. Il y avait toute une ambiance particulière dans notre pays. Or quel est celui, le seul, auquel on demande des comptes ? C'est le malheureux clampin qui sort de l'école. Vous me direz qu'il l'a voulu, puisqu'il a voulu être magistrat. Mais alors, posez-vous une autre question, celle de notre formation.

Pour ma part, je considère que le système des grandes écoles de la République, qui avait une certaine valeur au sortir de la dernière guerre mondiale, est peut-être un modèle dépassé. Avec le temps - c'est le temps qui me permet de le dire -, je crois que l'expérience vaut mieux que les diplômes.

Pensez-vous que l'on puisse enseigner à quiconque, entre vingt-cinq et trente ans, l'art de juger les autres ? Certes, on a prévu aujourd'hui une épreuve d'approche psychologique, que j'avais souhaitée, même si j'avais alors plutôt préféré le recours à un psychiatre, mais il faut que l'on réfléchisse à ce système.

Vous vous plaignez de l'immaturité psychologique du juge d'instruction dans l'affaire d'Outreau ? Vous n'avez pas tort. Mais ne vous étonnez pas que l'institution tout entière ait été défaillante ou, plutôt, étonnez-vous-en !

Demandez-vous comment tant de jeunes gens, sans expérience, peuvent se retrouver solitaires dans une activité juridictionnelle. Les choix qui sont faits ne sont pas le fruit du hasard. Pourquoi tant de personnes veulent-elles devenir juges des enfants, une activité où l'on est seul ? Certes, il y a des gens qui gravitent autour d'eux, mais les juges des enfants sont seuls à décider. Pourquoi tant de personnes cherchent-elles à exercer la fonction de juge d'instruction, qui est également solitaire ? Or, parce qu'elle est solitaire, cette fonction est dangereuse. De mon point de vue, c'est là que se situe le problème.

Aujourd'hui, j'en suis à me poser la question suivante : et si tous ceux qui veulent devenir magistrats restaient pendant dix ans dans une structure collégiale ? Par exemple, dans un parquet, qui constitue une forme de collégialité ? Fusionnons au départ des professions de même nature: si vous voulez être magistrat, il faut commencer par être soit avocat, soit parquetier. C'est plus simple. Et, au bout de dix ans, on écrémera ; on trouvera bien une autorité indépendante pour désigner les meilleurs. Ceux-ci deviendront juges, et le resteront : ils ne reviendront pas au parquet parce que cela les arrange géographiquement, uniquement pour se rapprocher de leur vieille maman ou de je ne sais qui.

Pardonnez-moi, je vous le dis franchement, car vous m'en donnez l'occasion, vous êtes exigeants envers nous, mais vous êtes finalement assez pauvres dans vos exigences, que je trouve superficielles ; ce ne sont pas des exigences de fond.

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