Le problème est surtout de savoir si ces opérations sont portées à notre connaissance.
Vous avez créé un magnifique dispositif dans le code de procédure pénale, à l'article 40. Vous qui sanctionnez tout, mesdames, messieurs les parlementaires, là, vous n'avez rien sanctionné du tout ! C'est curieux, car c'est l'une des rares dispositions qui ne connaissent pas d'accompagnement sur le plan pénal, ce qui pourtant lui donnerait de la force.
Si vous cherchez des idées, j'en ai quelques-unes. Il n'est pas normal d'obliger les autorités constituées à dénoncer au procureur de la République des faits qui paraissent de nature pénale sans prévoir aucune sanction si l'obligation n'est pas respectée. Car c'est cela qui se passe ! Dans les faits, j'ai vu assez rarement appliquer cet article 40. J'ai connu des recours à l'article 40 utilitaires : le préfet me prévient d'un fait ; je lui dis que ce n'est pas une infraction ; il me répond que M. Ciotti se plaint ; je lui réponds que ce n'est quand même pas une infraction. Le préfet sait donc que ce n'est pas une infraction, mais il pourra dire qu'il a alerté le procureur de la République, en application de l'article 40, ce qu'il fait et cela permettra au parlementaire de s'exclamer : « Quel est ce voyou qui ne veut pas agir ? ».
Cet article autorise un très vilain jeu. Je vous le dis tout net : soit vous le supprimez, soit vous lui donnez une véritable portée. Si, dans le cadre d'une procédure pénale, on se rend compte qu'une autorité connaissait l'infraction et a laissé faire, on pourra lui demander des comptes, car ce ne sera pas une erreur, ce sera une faute.
Cela étant, dans un bon système juridique, il est préférable d'apporter la preuve. Même si l'on inverse la charge de la preuve, il faudra de toute façon à un moment donné faire la preuve. Je pense au système italien ; si une personne dispose d'une fortune dont on ne connaît pas l'origine, on suppose qu'elle est d'origine criminelle, à charge pour la personne de démontrer le contraire. Cependant, il faudra bien vérifier les éléments qu'elle apporte et on se retrouvera une fois encore dans un système de preuve.
Le problème reste donc entier. En apparence, on se sera donné des armes, mais des armes qui en réalité ne serviront à rien, sinon à prolonger la procédure. Vous affirmez qu'il y a de moins en moins de saisines à l'instruction. Pardi ! C'est que la procédure pénale d'aujourd'hui n'est plus celle d'hier. Ne croyez pas que les procureurs soient si attentifs à la voix de l'exécutif, de quelque hauteur qu'elle vienne.
Personnellement, j'ai vraiment réduit la part des juges d'instruction. Pourquoi ? Parce que, dans nombre de cas, les juges instruction étaient saisis en vue d'obtenir un mandat de dépôt. Avec la création du juge des libertés et de la détention, avec toutes les procédures qui se sont développées, les besoins ne sont plus les mêmes. La comparution immédiate a changé la donne, puisque cette procédure ne nécessite pas que l'on fasse appel au juge d'instruction, dont la charge moyenne est passée de 180 dossiers, ce qui n'avait pas toujours beaucoup de sens, à 50. Aujourd'hui la matière est plus concentrée.
Le problème tient à ce que la procédure pénale s'est sensiblement alourdie. Il est très sympathique, par exemple, de prévoir que le procureur ayant pris ses réquisitions définitives, elles doivent être communiquées à l'avocat, qui va pouvoir formuler des observations. A chaque étape, les temps de procédure sont allongés. Or, plus la procédure est lourde, plus le temps s'écoule et plus vous nous le reprochez. C'est pourtant vous qui êtes à l'origine de cette lenteur, dans bien des cas, pas toujours je vous rassure, mais c'est encore trop souvent, je vous l'accorde. Ces lenteurs ne sont pas imputables uniquement aux juges.
Quoi qu'il en soit, ne nous imputez pas à charge et de mauvaise foi le fait d'avoir réduit le nombre d'informations. Pour ce qui me concerne, je l'ai volontairement réduit, car c'était du temps perdu sans profit.
Néanmoins, vous devriez vous interroger sur les pratiques de correctionnalisation des affaires criminelles. Vous avez voté des lois qui prévoient que tel fait, de nature criminelle, doit être jugé par la cour d'assises. J'ai été nommé dans une heureuse région où des faits peuvent être qualifiés crimes sans que cela surcharge gravement les stocks. C'est une terre bénie, j'en conviens, mais qu'en est-il ailleurs ?
À Nice, la cour d'assises comporte deux chambres et les stocks sont importants. Si je n'avais pas correctionnalisé à tour de bras, à l'instigation même de la cour d'appel, nous ne nous en serions pas sortis. Le problème est qu'il faut expliquer aux victimes qu'il s'agit bien d'un crime, mais que nous n'avons pas suffisamment de place pour en renvoyer les auteurs devant la cour d'assises ! Tout le monde accepte implicitement cet état de fait. Je ne suis pourtant pas certain que ce soit là de bonne justice...
Vous avez tiré un fil, mesdames, messieurs les sénateurs, vous m'obligez à le suivre. L'idée que l'on se fait de la justice dans ce pays ne peut pas être fragmentaire : telle erreur est commise ici ; là, il y a l'affaire d'Outreau... Non, c'est un tout qui se tient ! Les juges voient malice dans la diminution des affaires d'instruction. Ils ont peut-être parfois raison ; il existe des différences entre nous. Quoi qu'il en soit, je le fais et je le dis, car ce la me semble être dans l'intérêt de la justice.
En revanche, il n'est pas dans l'intérêt de la justice, selon moi, de disqualifier acrobatiquement une infraction criminelle afin de la faire juger par le tribunal correctionnel et ainsi gagner du temps. Le Parlement ne peut pas rester indifférent à ce problème.