En ce qui concerne l'idéologie en Irak et Syrie, Saddam Hussein a favorisé la montée du salafisme en Irak pour contrer la prise d'influence des Frères musulmans, fondés en 1928 en Égypte, et aussi en réaction à l'Iran après la révolution islamique et la guerre Iran-Irak de 1980-1988 - je rappelle que les salafistes et les Frères musulmans sont des mouvements concurrents au sein de l'islam politique. Au départ, les Frères musulmans prônaient une réforme de l'islam et la lutte contre l'occupant britannique. Les Frères musulmans ont gagné du terrain dans les années 1950 en Irak. Ce mouvement a toujours utilisé l'action sociale pour prendre pied. À Mossoul, les élites étaient de plus en plus affiliées aux Frères musulmans. Il y a une volonté de ce groupe de participer aux élections.
La campagne de la foi de Saddam Hussein, qui a consisté à réintroduire l'islam dans l'espace public et à favoriser la formation des imams en Arabie saoudite, a donné lieu à une wahhabisation de la société, qui a également touché l'armée. En outre, la migration de villageois vers la ville a conduit au développement de quartiers de populations salafisées. Certaines zones sont ainsi salafisées depuis 15 à 20 ans. Si Mossoul est traditionnellement une ville conservatrice - toutes les filles sont voilées et il y a beaucoup de distance entre les hommes et les femmes -, il ne s'agissait pas toujours de salafisme.
Ce que Daech a apporté était inconnu à Mossoul : ainsi l'application de châtiments très rigoristes n'était pas dans la mentalité des habitants. Il faut se souvenir que Mossoul est le deuxième plus grand pôle universitaire. La mentalité de Daech n'était pas celle de la population.
Falloujah est vu depuis 2004 comme une ville salafiste. Or, il ne faut pas oublier que, dans les années 1980 et 1990, c'était la ville des soufistes. On voit actuellement une résurgence du soufisme. Falloujah peut être un terrain pour Daech. En effet, si une partie de la population a fait un rejet total de la religion - absence de fréquentation de la mosquée - en raison du carcan religieux qui lui était auparavant imposée, d'autres sont toujours salafistes et proches du djihad. Ces derniers ont accueilli Daech qui correspondait à leurs valeurs. Or, on retrouve aujourd'hui dans certaines de ces mosquées des discours complotistes. La situation est inquiétante. En outre, aucun travail de médiation entre les communautés n'est actuellement fait. Il en est de même sur les manuels scolaires extrémistes, présentant une vision très conservatrice de la société et du rôle de la femme.
Les attentats qui frappent l'Afghanistan visent les bases où sont présents des Iraniens. Il y a également une fracture sectaire.
En ce qui concerne la France, j'ai moi-même eu l'occasion d'approfondir mon travail. Toutefois, Daech est présent de manière dématérialisée. On ne recrute plus forcément dans les mosquées ou les organisations. Il y a moins de groupes formalisés : ce sont désormais des petites cellules qui iront ensuite rejoindre les théâtres d'opération ou mèneront des attaques.
Pourquoi Daech a-t-il autant capté la jeunesse ? La guerre en Syrie a eu une résonance importante en France. Au départ, beaucoup de jeunes disaient s'y rendre pour faire de l'humanitaire. En Jordanie, il y avait un discours anti-chiite très fort. J'ai ainsi interviewé le président de la chambre de commerce dont les deux fils ont rejoint Daech et il leur a d'abord envoyé de l'argent. Certains sont tombés dans la radicalisation, passant d'un groupe à l'autre. Enfin, la raison originelle n'est pas toujours la religion ou la violence. Al-Qaida était vu comme un groupe élitiste, rhétorique. Daech voulait des combattants, avait la volonté de transcender les groupes pour changer leur vie et le monde.
Parmi ces jeunes, certains ont été aiguillés par des imams leur proposant de faire de l'humanitaire, puis les ont dirigés vers des groupes armés. En outre, la Syrie était facile d'accès par rapport à d'autres théâtres d'opération. Beaucoup sont passés de rien à Daech car ils y ont vu une opportunité. Le passé religieux est parfois très bref.