Merci de l'intérêt que vous portez à notre projet. Markus Krall, qui est le père de ce concept, vous en expliquera les détails ; je me limiterai pour ma part à une introduction plus politique. Pourquoi un cabinet de conseil allemand, premier cabinet de conseil européen non anglo-saxon, a-t-il porté ce projet ? Il est dans sa culture de s'intéresser, à côté des activités lucratives, aux domaines d'intérêt général. C'était déjà le cas avec le projet Eureka de privatisation de la dette grecque, qui visait à améliorer la rentabilité des entreprises publiques avant de les privatiser ; c'est le cas avec ce projet d'agence de notation.
Le constat, unanimement partagé, est que la situation actuelle en matière de notation n'est pas satisfaisante. Pour des raisons politiques, car il y a une incompréhension des opinions ; pour des raisons techniques, car les méthodes manquent de transparence ; et pour des raisons économiques : coûts trop élevés, conflits d'intérêt, concurrence inexistante. Le concept proposé par Roland Berger est le seul à répondre aux insuffisances actuelles. Sur la nature de la notation d'abord, perçue comme un bien collectif, d'où l'idée d'une fondation à but non lucratif. Sur la nécessité de renforcer la concurrence, d'où la création d'une nouvelle institution : se contenter d'interdire la notation des États ne résoudrait pas le besoin de concurrence renforcée. Sur les problèmes de méthode : nous proposons une plus grande transparence en ouvrant un accès complet à des plateformes de données. À terme, le modèle économique cible est de faire payer les investisseurs, et non les émetteurs. Sur ce point, nous avons évolué : ainsi, on nous a conseillé de nous lancer, sans attendre une modification de la réglementation européenne qui conditionne le changement de modèle économique, pour conserver notre dynamique. Le but reste à terme de renverser le paradigme et d'éviter les conflits d'intérêt.
Nous en sommes à la fin d'une première phase de présentation, de dialogue intense avec les acteurs, et au début d'une deuxième phase. Le rôle du cabinet Roland Berger s'arrête là : ce n'est pas à lui de lever les fonds ; d'autres vont reprendre l'opération à leur compte, avec Markus Krall à leur tête, en s'éloignant du cabinet Roland Berger. Cette phase se heurte aux difficultés inhérentes à un tel projet : un nouvel entrant dans un paysage établi doit acquérir une masse critique, évaluée à 300 millions d'euros, et créer de la confiance et de la crédibilité. Il faudra un à deux ans avant d'être opérationnel ; pendant ce temps, les institutions financières continueront d'être notées par les agences existantes. C'est une fenêtre de vulnérabilité, mais il est possible de durer et de s'affirmer à condition de partir avec une base suffisamment large.
Pour réussir, nous aurons besoin du soutien politique des États et des grandes institutions européennes, afin que les institutions privées puissent s'engager sans crainte. Le porte-parole de Mme Merkel, M. Seiberg, a ainsi rappelé la semaine dernière l'intérêt du gouvernement allemand pour le projet. Cet intérêt des gouvernements devra s'exprimer le moment venu pour rassurer les acteurs. L'influence du Sénat français sera très importante.
Deuxième condition : une bonne diversité des partenaires. L'agence sera créée avec une base européenne, mais le but n'est pas de s'en tenir à une activité européenne. Il faudra quelques grands partenaires d'Asie, du Moyen-Orient, des Etats-Unis. Il y a de grands banquiers américains qui souhaitent vraiment changer les choses ! Il faudra réunir toutes les initiatives, nouer des coopérations avec la fondation Bertelsmann par exemple, regrouper les équipes existantes.
Quel intérêt un acteur financier européen peut-il avoir à s'engager dans ce projet ? Un intérêt de coût d'abord ; un intérêt de transparence et de méthode ensuite ; un intérêt de réputation enfin. Je parie sur un double effet Airbus-Free : parti de peu, Airbus a su créer une institution durable ; quant à Free, il est intervenu sur un marché limité et a fait chuter les prix.