Je voudrais au préalable dire quelques mots concernant le renouvellement de la délégation française, à la suite des élections législatives. Le changement a été très profond chez les députés puisque, sur les vingt-quatre députés sortants, seuls quatre font à nouveau partie de la délégation. Beaucoup ont été battus ou ne sont pas représentés. Quelques-uns, comme Isabelle Rauch ou Olivier Becht, occupent désormais d'autres fonctions.
La délégation est dorénavant présidée par Bertrand Bouyx, député Renaissance du Calvados, qui a également été élu vice-président de l'Assemblée parlementaire, selon les traditions de la délégation.
La délégation est très diverse sur le plan politique, à l'image de l'Assemblée nationale. Elle comprend notamment quatre députés RN et six députés LFI.
La répartition des membres entre les commissions n'a pas soulevé de difficulté particulière. Je voudrais souligner que notre collègue François Calvet a été désigné par le groupe PPE membre suppléant de la commission sur l'élection des juges à la Cour européenne des droits de l'Homme. Il s'agit d'une commission importante, puisqu'elle auditionne les candidats proposés par les États pour siéger à la Cour européenne des droits de l'Homme et formule des recommandations de vote qui sont généralement suivies par l'APCE.
J'en viens maintenant à la session en elle-même, qui a connu plusieurs temps forts. Je sais que l'ordre du jour de la matinée est chargé et je me concentrerai donc sur quelques thèmes principaux qui font écho aux travaux de la commission des affaires européennes, en vous renvoyant à mon rapport pour plus de précisions sur les autres points.
Le premier sujet sur lequel je souhaite appeler votre attention est la difficulté à laquelle s'est trouvée confrontée la délégation française s'agissant des questions de laïcité et d'« islamophobie ».
Le rapporteur suédois de l'APCE, Momoudou Malcom Jallow, qui avait auditionné au Sénat nos collègues Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien, a dressé un véritable réquisitoire contre l'approche française de la laïcité dans son rapport sur « la sensibilisation et la lutte contre l'islamophobie, ou le racisme antimusulman, en Europe ».
Il y relève ainsi que « le respect de la liberté individuelle devrait être la priorité » et qu'il est « ironique de tenter de combattre le radicalisme et de protéger la liberté des femmes, en les obligeant à ne pas porter [le voile] », affirmant que la législation française « limite la participation des femmes musulmanes à l'économie et à la vie publique, car celles qui se sentent obligées par leur foi de porter le hijab ont tendance à renoncer à la pratique de certains sports ou à certaines professions plutôt que de renoncer au voile ». Il dénonce également la « vague de répression » qui s'est abattue sur certaines mosquées soupçonnées d'encourager l'extrémisme.
Momoudou Malcolm Jallow est un tenant d'une logique communautariste. Son approche était à cet égard caricaturale et empreinte d'une réelle mauvaise foi, ce qu'a dénoncé avec force Jacques Le Nay. Il n'en demeure pas moins qu'elle a un écho certain et que ce débat a, une nouvelle fois, souligné la nécessité d'une réelle mobilisation pour expliquer et défendre l'approche française de la laïcité.
Mon deuxième point concerne les Balkans occidentaux, un fil rouge de cette partie de session. Je n'évoquerai pas la mission d'observation électorale en Bosnie-Herzégovine à laquelle Claude Kern et Didier Marie ont participé, puisque Pascal Allizard en parlera tout à l'heure.
Un débat important, mené par l'ancien Premier ministre grec Georges Papandréou, a eu lieu sur les perspectives européennes des Balkans occidentaux. La résolution adoptée par l'APCE souligne les dangers liés à l'influence russe dans la région et les risques d'accentuation des fractures, voire de déstabilisation.
Sans surprise s'agissant d'une résolution portée par un collègue grec, la résolution votée par l'APCE appelle à donner un nouvel élan au processus d'élargissement de l'Union européenne, tout en relevant les nombreux défis qui doivent être surmontés, notamment en matière d'État de droit, d'indépendance du système judiciaire, de lutte contre la corruption ou encore de liberté et d'indépendance des médias.
Bernard Fournier a plus précisément interrogé le Premier ministre albanais, qui s'exprimait devant l'APCE à l'occasion de cette partie de session, sur sa vision des risques liés à de possibles opérations de déstabilisation menées par la Fédération de Russie. Évoquant l'influence russe en Serbie ou en Republika Srpska, mais aussi dans les autres pays de la zone à l'exception de l'Albanie et du Kosovo, Edi Rama lui a répondu que « les Balkans sont la chaîne la plus faible de toute la solidarité et de la stabilité européenne » vis-à-vis de la Russie.
Dans ce contexte, le Premier ministre albanais, qui s'exprimait en français, a estimé qu'il ne fallait pas « mettre une pression extrême sur la Serbie par des sanctions. Parce que, premièrement, la Serbie ne pourra pas survivre aux sanctions et, deuxièmement, il faut faire attention à ne pas créer les conditions de jeter la Serbie ou la population qui admire Vladimir Poutine - malheureusement - dans les bras du Kremlin ».
Au-delà de sa vision sur le devenir des Balkans, Edi Rama était venu à Strasbourg avec un objectif bien précis, qui était de mettre publiquement en cause des travaux antérieurs de l'APCE sur le trafic d'organes au Kosovo, en vue d'obtenir un nouveau travail sur le sujet. Il s'est exprimé dans des termes et avec une virulence très inhabituels, qui ont profondément heurté les parlementaires présents. Ce fut indéniablement l'un des moments les plus « chauds » de cette session.
Mon troisième point concerne l'Ukraine. L'autre grand moment politique fut en effet l'intervention, en visioconférence, du Président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui a accepté pour la première fois de répondre aux questions des parlementaires. Je l'ai moi-même interrogé sur les besoins d'assistance auxquels faisait face l'Ukraine, en particulier sur les plans médical et humanitaire. Ce fut l'occasion pour lui de remercier la France pour son engagement et son action.
L'APCE a également débattu de l'escalade militaire en Ukraine. Elle a adopté une résolution rapportée par un collègue lituanien qui condamne dans des termes très forts les actions menées par la Russie, le texte invitant les États membres du Conseil de l'Europe « à déclarer terroriste le régime actuel de la Fédération de Russie ». La résolution prône également la mise en place d'un système complet de responsabilité et soutient, en particulier, la création d'un tribunal international spécial ad hoc afin d'engager des poursuites pour le crime d'agression contre l'Ukraine. La délégation ukrainienne conduite par notre collègue Mariia Mezentseva avait largement développé l'approche de l'Ukraine en la matière, quand elle a été reçue au Sénat il y a quinze jours.
J'observe que, depuis ce déjeuner de travail, la Présidente de la Commission européenne a elle-même annoncé qu'en travaillant « avec la Cour pénale internationale, (...) [l'Union européenne aiderait] à mettre en place un tribunal spécial pour juger les crimes de la Russie ». La commission des questions juridiques et des droits de l'Homme de l'APCE s'est réunie lundi dernier pour approfondir les enjeux juridiques de ce sujet.
Deux autres personnalités se sont exprimées devant l'APCE au cours de cette partie de session : le Président du Conseil fédéral suisse, qui a notamment été interrogé sur la neutralité suisse à l'aune de la guerre en Ukraine, et le Président irlandais, alors qu'un débat était programmé sur les conséquences du Brexit sur les droits humains en Irlande, thème qui fait directement écho aux travaux menés par votre groupe de suivi sur la nouvelle relation euro-britannique.
Pour ne pas être trop long, je mentionnerai simplement que plusieurs débats ont eu lieu sur les questions migratoires, en particulier sur la notion de « pays tiers sûrs pour les demandeurs d'asile » et sur « le détournement du système d'information Schengen par des États membres du Conseil de l'Europe pour infliger des sanctions à motivation politique ». Ce dernier rapport était confié à une collègue turque et nous avons pu constater à nouveau la nécessité de s'impliquer dans les débats pour éviter certaines mises en cause inappropriées.
La délégation française a également eu des rencontres avec les délégations canadienne et arménienne. À la suite des affrontements survenus mi-septembre, le sujet des tensions entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan a donné lieu à un débat d'actualité spécifique en séance plénière à Strasbourg.
La rencontre entre les délégations m'a notamment permis de remettre officiellement à nos collègues arméniens la proposition de résolution déposée par plusieurs présidents de groupe, adoptée par le Sénat le 15 novembre dernier, « visant à appliquer des sanctions à l'encontre de l'Azerbaïdjan et exiger son retrait immédiat du territoire arménien, à faire respecter l'accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020, et favoriser toute initiative visant à établir une paix durable entre les deux pays ».
Enfin, j'avais déjà eu l'occasion d'évoquer devant vous la possible tenue d'un sommet des chefs d'État ou de gouvernement du Conseil de l'Europe. Ce sommet était réclamé par l'APCE, sur fond d'interrogations concernant le sens de l'action du Conseil de l'Europe après l'exclusion de la Russie, mais aussi d'inquiétudes ou d'incompréhensions liées à l'initiative de la Communauté politique européenne. Le périmètre géographique de la Communauté politique européenne et du Conseil de l'Europe est en effet quasiment identique, les seules variations concernant le Kosovo, Monaco, Andorre et Saint-Marin.
Ce sommet a bien été confirmé depuis : il aura lieu à Reykjavik en mai 2023 et alimentera, incontestablement, les débats que nous aurons l'an prochain.