Il y a un an, le 18 novembre 2021, nous avions fait le point sur l'activité de l'AP-OSCE ; depuis lors, cette assemblée a connu son renouvellement annuel cet été, les élections législatives ont substantiellement modifié la composition de la délégation française et, surtout, la guerre a éclaté en Ukraine.
Issue de l'Acte final de la conférence d'Helsinki, en 1975, qui marqua la fin de la guerre froide et le début de la détente entre les blocs, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) est composée de 57 États d'Amérique du Nord, d'Europe et d'Asie. C'est la plus grande organisation régionale de sécurité au monde. Son ADN consiste à promouvoir la stabilité, la paix et la démocratie en s'efforçant de mener un dialogue politique autour de valeurs partagées et en agissant concrètement sur le terrain, à partir du « décalogue » d'Helsinki, les dix principes que les États signataires de l'Acte se sont engagés à respecter dans leurs relations et à mettre en oeuvre pour fonder leur coopération.
Les voici : égalité souveraine des États ; non-recours à la menace ou à la force ; inviolabilité des frontières ; intégrité territoriale des États ; règlement pacifique des différends ; non-intervention dans les affaires intérieures ; respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ; coopération ; exécution de bonne foi des obligations du droit international, notamment de la Charte des Nations Unies.
L'AP-OSCE incarne, depuis 1992, la dimension parlementaire de cet espace de dialogue qui couvre un vaste éventail de questions de sécurité, dans trois directions, correspondant aux trois commissions de l'assemblée : politico-militaire, mais aussi économico-environnementale et humaine. Les 13 membres de la délégation française, 8 députés et 5 sénateurs, participent activement à cette mission.
La composante sénatoriale s'est vue modifiée, cette année, par l'arrivée de Ludovic Haye, en remplacement d'André Gattolin, qui a préféré, après quelques années de bons et loyaux services, rester uniquement membre de l'APCE. Pour le reste, elle demeure inchangée : Jean-Yves Leconte et Stéphane Demilly en sont vice-présidents ; Valérie Boyer en est membre, ainsi que Ludovic Haye, qui vient de nous rejoindre. J'en assure la présidence, ainsi que la première vice-présidence de la délégation française, qui est désormais présidée par le député Didier Paris, la précédente présidente, Sereine Mauborgne, n'ayant pas été réélue à l'Assemblée nationale. Il est donc revenu aux sénateurs d'assumer la continuité institutionnelle pour représenter la France et défendre ses amendements lors de l'assemblée annuelle de Birmingham, du 2 au 6 juillet dernier, tout de suite après les élections législatives.
Lors de cette session, la première à s'être tenue en présentiel après deux longues années de réunions virtuelles ou hybrides, notre collègue députée suédoise, Margareta Cederfelt, fut réélue, pour un deuxième mandat annuel, à la présidence de cette assemblée, où elle avait succédé à un Britannique, Lord Peter Bowness. Pour ma part, j'en demeure vice-président ; j'ai en outre été confirmé dans les fonctions de représentant spécial de la présidente pour les affaires méditerranéennes, chargé des relations avec les six pays partenaires de la Méditerranée : Algérie, Maroc, Tunisie, Égypte, Jordanie et Israël.
C'est lors de la réunion de reconstitution qui a eu lieu le 5 octobre dernier au Palais Bourbon que les autres députés ont rejoint notre délégation française : Olga Givernet, vice-présidente ; Pascal Lecamp, vice-président ; Anna Pic, Thibaut François, Meyer Habib, Bastien Lachaud et Jean-François Portarrieu, membres.
C'est peu de dire que l'invasion russe de l'Ukraine a représenté un énorme coup de tonnerre pour l'OSCE dans son ensemble et pour son assemblée parlementaire en particulier.
C'est à Vienne, alors que les bruits de botte s'amplifiaient et que les chars russes s'amassaient à la frontière de l'Ukraine, que le bureau de l'assemblée parlementaire, en grande partie incrédule, fut informé de ces préparatifs, presque heure par heure, dans une petite salle de réunion transformée en centre de crise improvisé, le 23 février au soir.
Puis les travaux, de format hybride, continuèrent le 24 février, et les jours suivants, avec la réunion de la Commission permanente, de la plénière et des commissions, dont l'ordre du jour avait été adapté pour être presque entièrement consacré à l'agression de l'Ukraine par la Russie, le matin même. La secrétaire générale de l'OSCE, Helga Schmid, a regretté que la Russie ait préféré la violence au dialogue. Elle a fait part de sa préoccupation à propos de la sécurité des personnels de l'OSCE, alors nombreux en Ukraine, notamment les membres de la mission spéciale d'observation. Mme Schmid a demandé à la Russie de cesser ses actions et de ne pas viser les civils. Enfin, elle a souligné l'importance du rôle des parlementaires en temps de guerre.
De nombreux chefs de délégation et représentants spéciaux ont ensuite pris la parole, pour condamner - avec une vive émotion - les actions de la Russie et faire part de leur soutien aux Ukrainiens. Seuls les chefs des délégations de Russie et de Biélorussie ont tenu des discours différents, véhéments, reprenant les éléments de langage de M. Poutine.
Lors de la réunion du bureau du 4 avril, à Copenhague, les discussions ont encore été essentiellement consacrées à l'invasion russe en Ukraine et aux informations sur les massacres perpétrés dans la ville de Boutcha, images récentes à l'appui, avec des témoignages d'une grande intensité.
C'est lors de cette réunion du bureau que fut actée ma nomination comme président de la commission du règlement de l'AP-OSCE, envisagée depuis décembre 2021, lors d'un précédent bureau réuni à Stockholm. Ce qui s'annonçait avant le mois de février comme le pilotage fin d'un navire de croisière s'est subitement mué en une navigation par grand frais, entre récifs et vents contraires.
Ce qui s'apparentait à un exercice de réécriture d'un règlement inspiré des usages anglo-saxons s'est transformé en un défi géopolitique, au moment où l'ADN de l'OSCE s'est trouvé mis en question de façon assez vigoureuse.
Ainsi, en juillet, l'assemblée plénière de Birmingham a adopté une déclaration condamnant fermement l'invasion russe, incitant à l'action humanitaire et économique, appelant à juger les responsables des crimes de guerre et d'éventuels crimes contre l'humanité perpétrés en Ukraine, mais aussi, au plan interne, à instaurer un mécanisme de sanction à l'encontre des représentants de la Russie.
Précisons que le Royaume-Uni, à l'occasion de cette session annuelle, ainsi que la Pologne, à l'occasion de la session d'hiver qui s'est tenue à Varsovie il y a trois semaines, ont refusé d'émettre des visas aux parlementaires de la délégation russe. L'ensemble des membres russes de l'AP-OSCE, en tant que parlementaires russes, sont sous le coup de sanctions de l'Union européenne, appliquées par le Royaume-Uni comme par la Pologne. Un tel mécanisme de sanction est inédit au sein d'une assemblée dont la raison d'être est le dialogue, la détente, la coopération et le désarmement !
Dans le contexte de la guerre en Ukraine, l'amendement au règlement de l'assemblée que nous avons, patiemment et prudemment, élaboré au cours de l'été et de l'automne visait à instaurer un mécanisme, non pas d'exclusion - comme le réclamait à l'origine la délégation ukrainienne -, mais de suspension, temporaire et réversible, comportant une clause de révision, avec une majorité qualifiée. Ce mécanisme a été calibré de manière à cibler principalement la guerre russo-ukrainienne et à ne pas pouvoir être invoqué dans des conflits plus « mineurs » entre États membres.
Dès avant la session d'automne, qui vient de se tenir à Varsovie, il est apparu que la règle dite du « consensus moins un » s'appliquait à la procédure d'adoption de cet amendement au règlement de l'AP-OSCE. Inspirée des Nations-Unies, cette règle, issue de la branche intergouvernementale de l'OSCE, s'applique aussi aux décisions les plus importantes de son assemblée, qui sont prises par sa commission permanente, où tous les États membres sont représentés. Cela signifie qu'il suffit que deux mains se lèvent contre la proposition pour qu'elle soit considérée comme rejetée, faute de consensus.
À Varsovie, la séance solennelle du 24 novembre au matin fut ouverte par la maréchale de la Diète, Elzbieta Witek, le maréchal du Sénat, Tomasz Grodzki, le ministre des affaires étrangères polonais et Zbigniew Rau, président de l'OSCE en exercice ; elle fut marquée par une intervention en visioconférence en direct du président ukrainien Volodymyr Zelensky, exhortant l'assemblée à prendre des sanctions et à agir contre la Russie, et soulignant qu'après le Parlement européen, l'APCE et l'AP-OTAN (assemblée parlementaire de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord), elle était la seule à ne pas l'avoir encore fait.
En tant que vice-président de l'AP-OSCE, j'ai présidé la première session plénière, consacrée à l'impact sur l'OSCE de la guerre en Ukraine. Je présidais en outre la délégation française, Didier Paris étant retenu dans sa circonscription par une visite du Président de la République.
Jean-Yves Leconte est intervenu dans la troisième session, consacrée à la protection des libertés et des droits fondamentaux en situation de conflit armé et de crise humanitaire, pour insister sur le rôle de la justice internationale en Ukraine, mais aussi en Biélorussie et en Arménie.
Tout en appelant à la solidarité avec l'Ukraine, Valérie Boyer, dans la même session, a plaidé avec force pour l'Arménie, en rappelant la récente résolution adoptée par le Sénat.
Pendant ce temps, d'intenses consultations se poursuivaient, sur le mécanisme de suspension, avec la présidente Cederfelt et les délégués de diverses délégations, notamment ukrainienne.
L'amendement a été ensuite débattu en commission permanente, mais n'a pas été mis aux voix, en raison de la règle du « consensus moins un ». Ce débat était utile et nécessaire, mais il ne manque pas de faire réfléchir sur l'application d'une règle qui s'apparente de fait à un droit de veto. Certes, la session de Varsovie s'est conclue par un soutien quasi unanime à une déclaration de fond, très ferme contre la Russie, appelant à mettre en oeuvre les orientations de la déclaration de Birmingham sur la nécessité de juger les crimes de guerre, contre l'humanité et autres, commis à l'occasion de la guerre en Ukraine. Cependant, il devient patent, dans le contexte actuel, que l'AP-OSCE doit se réformer pour mieux incarner sa vocation. Je suis déterminé, dans les mois qui viennent, à apporter ma contribution à cette réflexion.
J'en viens, pour conclure, à l'autre mission, très importante, de l'assemblée parlementaire : les missions d'observation électorale (MOE), dans lesquelles nous apportons notre regard de parlementaires.
Pour ma part, j'ai été coordinateur spécial de la MOE en Bosnie-Herzégovine, lors des élections générales qui s'y sont déroulées le 2 octobre. Nous reviendrons certainement sur ce pays qui figure aussi à notre ordre du jour de ce matin au titre du point sur l'élargissement de l'UE et les Balkans occidentaux.
Ayant coordonné sur place le travail de plusieurs centaines d'observateurs internationaux, dont près d'une centaine de parlementaires, de l'AP-OSCE, de l'AP-OTAN, de l'APCE et du Parlement européen, en bonne intelligence avec le bureau international de la démocratie et des droits de l'homme (BIDDH) de l'OSCE, représenté sur place par un fin diplomate suédois, expérimenté en missions délicates, je ne dirai que quelques mots sur ce pays qui porte encore les stigmates de quatre années d'une guerre qui, entre 1992 et 1995, a fait plus de 100 000 morts et déplacé plus d'un million de personnes, sur une population totale estimée à un peu plus de trois millions de personnes. Démographiquement exsangue, avec plus d'un demi-million de départs depuis 2013, la Bosnie-Herzégovine connaît, relativement à sa population, l'une des plus fortes émigrations au monde.
Politiquement paralysé par une structure politique extrêmement complexe, issue des accords de Dayton, avec un mille-feuille territorial et ethnique qui entrave largement les perspectives d'action nationale coordonnée, et soumis aux oukases, dits « pouvoirs de Bonn », d'un haut représentant censé incarner les Nations Unies et disposant d'un droit de veto législatif et constitutionnel, c'est un pays compliqué, mais un pays en paix.
À ce titre, la MOE a montré que l'organisation des élections en Bosnie-Herzégovine, si elle n'est pas sans faille, semble assez solide, et les élections laissent entrevoir le début de l'émergence possible d'une nouvelle génération, soucieuse de mieux rendre compte à ses concitoyens de son action, ce que favorise le fort soutien de l'Union européenne et de la communauté internationale.
Avant de laisser la parole à Jean-Yves Leconte, je veux évoquer brièvement la mission à laquelle a participé Valérie Boyer qui, souffrante, s'excuse de ne pouvoir nous l'exposer elle-même.
Valérie Boyer a participé à une MOE au Kirghizistan, lors des élections législatives qui ont eu lieu il y a un peu plus d'un an, en novembre 2021, dans ce pays enclavé d'Asie centrale, membre de l'OSCE, qui essaie de mener une politique dite « multivectorielle », la plus équilibrée possible, entre ses puissants voisins.
Lors de ces élections, les 90 sièges du Conseil suprême devaient être renouvelés. Elles ont vu une large victoire des partisans du président élu en janvier 2021, qui appartenait auparavant à l'opposition. Les élections d'octobre 2020 avaient été suivies par de fortes tensions, qui avaient abouti à leur annulation. Le Kirghizistan a des relations correctes avec ses voisins ; l'influence russe y demeure très forte, le russe a d'ailleurs le statut de langue officielle au côté du kirghize.
Le scrutin de novembre 2021 a été bien organisé, en contraste avec les irrégularités des élections d'octobre 2020. Une nouvelle Constitution a été approuvée par référendum en avril 2021 ; elle instaure un parlement monocaméral de 90 sièges, le Conseil suprême, au sein duquel 36 sièges sont attribués par scrutin uninominal majoritaire à un tour dans autant de circonscriptions ; les 54 autres sièges sont répartis à la proportionnelle plurinominale avec des listes ouvertes et un seuil de 5 % dans une circonscription nationale. La participation au premier scrutin de ce type a été relativement basse, 34 %, mais l'organisation est globalement satisfaisante, malgré des infractions constatées lors de recomptages.
Je tiens à signaler à ce propos que la France est le seul pays occidental ayant refusé une mission d'observation électorale, que ce soit pour la présidentielle ou pour les législatives. Les États-Unis l'acceptent - Jean-Yves Leconte vous en parlera -, de même que l'Italie, la Grande-Bretagne ou l'Allemagne.