La reconnaissance par le Conseil européen de juin dernier du statut de pays candidat à l'Ukraine, ainsi qu'à la Moldavie, fut un geste politique très fort, marquant le plein engagement de l'Union européenne contre l'agression russe - engagement à la fois symbolique et concret.
Il convient à présent, un semestre après, de prendre toute la mesure des conséquences de cette décision à l'égard des pays des Balkans occidentaux.
Nous avions évoqué ce sujet lors de notre précédente communication, le 21 juin dernier, qui était intervenue entre la décision de la Commission européenne de proposer au Conseil européen la candidature de l'Ukraine et de la Moldavie et la décision prise par ce dernier de la retenir, les 23 et 24 juin.
L'attente des Balkans à l'égard de la présidence française était alors d'autant plus forte que se mettait en place la nouvelle méthodologie d'élargissement, adoptée en 2020 à l'initiative de la France, et censée être plus prévisible, plus dynamique et plus politique.
D'ailleurs, la présidence française avait tenu à organiser, le 23 juin dernier, une réunion de dirigeants, juste avant le Conseil européen, rassemblant les Vingt-Sept et les institutions de l'Union européenne avec les chefs d'État ou de gouvernement des six pays de la région.
La Serbie, qui est candidate depuis 2012, s'en tient à une politique étrangère encore imprégnée de ses liens denses et anciens avec la Russie et donc peu alignée sur celle de l'Union européenne. En effet, la Serbie n'a pas appliqué de sanctions contre la Russie, bien qu'elle ait voté la résolution condamnant l'agression russe de l'Ukraine à l'assemblée générale des Nations Unies.
Tout comme la Serbie, le Monténégro, candidat depuis 2010, attend un horizon qui tienne compte de ses spécificités. Nous avons reçu plusieurs délégations parlementaires du Monténégro depuis cet été. Le ministre des finances monténégrin a, hier encore, rendu visite au groupe d'amitié sénatorial. L'évolution politique de ce pays nous préoccupe, aussi l'observons-nous avec attention, tout en encourageant ses efforts. Or ceux-ci sont réels, puisqu'il s'agit du pays le plus avancé actuellement, au regard des chapitres de négociation ouverts. Je l'ai d'ailleurs souligné avant-hier dans une interview sollicitée par la télévision d'État accompagnant le ministre lors de sa visite au Sénat.
Quant à l'Albanie et à la Macédoine du Nord, elles étaient suspendues à la levée des obstacles qui persistaient alors avec la Bulgarie. Ces obstacles ont été levés, grâce, il faut le souligner, aux efforts de la présidence française, mais non sans provoquer ensuite une onde de choc politique durable en Macédoine du Nord, ainsi, d'ailleurs, qu'en Bulgarie.
Mon collègue co-rapporteur Didier Marie reviendra sur la situation de la Bosnie-Herzégovine, qui doit faire l'objet d'une décision du Conseil européen aujourd'hui même, après que le Conseil des ministres des affaires étrangères a donné son accord mardi à l'octroi du statut de candidat à ce pays, confronté, selon la présidence tchèque, à un « moment historique ».
Quant au Kosovo, considéré jusqu'à présent comme candidat potentiel, il a déposé hier, sa demande de candidature.
Tout en réaffirmant un « attachement total et sans équivoque » à « la perspective de l'adhésion » et en appelant à « accélérer le processus », les conclusions des réunions estivales du Conseil européen donnaient l'impression que la région des Balkans demeurait au milieu du gué, entre la formidable avancée politique en faveur de l'Ukraine et de la Moldavie et le quasi-sur-place de pays engagés de longue date dans un processus long et difficile.
C'est dire la force des attentes qui s'exerçaient sur la présidence tchèque, mobilisée pour répondre aux aspirations européennes réelles des peuples de la région, dans un contexte géopolitique très contraignant - la nature, selon l'antique précepte d'Aristote, ayant horreur du vide.
Nous devons en effet nous montrer très attentifs à ne pas alimenter les narratifs, contraires aux intérêts de l'Union européenne et des pays de la région, de puissances cherchant à y renforcer leur influence.
Comment, dans ce contexte, permettre aux pays qui sont déjà bien avancés de progresser rapidement, tout en offrant aux autres des perspectives concrètes d'adhésion, sans méconnaître les obstacles réels qui se dressent sur leur chemin ? Tel était le dilemme, non seulement de la présidence tchèque, mais de l'ensemble de l'UE, dans le contexte géopolitique que nous connaissons.
Nous avions dressé en juin un tableau sinon exhaustif, du moins détaillé de la situation de chaque pays. Je présenterai un bilan d'ensemble, avant que mon collègue revienne sur les situations des pays évoqués.
C'est de Tirana, la semaine dernière, le mardi 6 décembre, que fut envoyé un signal important de confiance envers la capacité de ces pays à progresser pour remplir les critères définis à Copenhague. La préparation de ce sommet, qui a réuni les Balkans occidentaux, les 27 et les institutions européennes, ne fut pas aussi tranquille que le cours du Danube : la Serbie avait menacé de ne pas y participer, mais elle est finalement venue, ainsi que le Kosovo. La déclaration finale du 6 décembre réaffirme fortement l'importance majeure du partenariat stratégique entre l'UE et les Balkans occidentaux, et la perspective claire de leur adhésion à l'UE, avec des engagements concrets à cet égard.
Rappelons que l'UE est déjà le principal investisseur, partenaire commercial et donateur de la région. À Tirana, l'Union européenne, d'une seule voix, appelle à l'accélération du processus d'adhésion, « sur la base de réformes crédibles menées par les partenaires, d'une conditionnalité équitable et rigoureuse et du principe des mérites propres ». :chaque mot est pesé. L'accélération doit aller de pair avec les réformes, les progrès accomplis par chaque pays selon ses « mérites propres », notamment dans le domaine de l'État de droit, de l'indépendance du pouvoir judiciaire et de la lutte contre la corruption et la criminalité organisée : c'est évidemment très important.
La déclaration de Tirana, partagée par les pays de la région, affirme aussi sans équivoque que la Russie est seule responsable des crises énergétique et économique actuelles. Les dirigeants de l'UE demandent parallèlement aux Balkans occidentaux de réaliser des progrès rapides et soutenus vers un alignement complet sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l'UE et d'agir en conséquence, y compris en ce qui concerne les sanctions décidées par l'UE. Message qui s'adresse surtout à la Serbie...
Cependant, l'UE continuera d'aider les partenaires des Balkans occidentaux à faire face aux répercussions négatives de la guerre en Ukraine sur leurs économies et leurs sociétés. Si, après la crise de la covid-19, les pays de la région avaient pu se plaindre d'un certain retard à l'allumage de l'aide européenne à la résilience et à la relance, ils peuvent ici constater un engagement très clair et très concret de l'UE.