Intervention de Didier Marie

Commission des affaires européennes — Réunion du 15 décembre 2022 à 8h30
Voisinage et élargissement — Élargissement de l'union européenne - communication

Photo de Didier MarieDidier Marie, rapporteur :

Ainsi, l'UE a pris un certain nombre de mesures pour aider les Balkans occidentaux dans le domaine de l'énergie. D'abord, à très court terme, pour atténuer les effets de la crise énergétique, nous apportons un soutien spécifique aux familles vulnérables et aux PME. En second lieu, à court et moyen terme, nous aidons à accélérer la transition énergétique et l'indépendance énergétique, notamment grâce au plan REPower EU. À Tirana, les dirigeants de l'UE ont confirmé leur décision d'ouvrir les achats communs de gaz, de gaz naturel liquéfié (GNL) et d'hydrogène aux partenaires des Balkans occidentaux et ils les ont encouragés à utiliser cette plateforme.

Grâce aux moyens de l'instrument de préadhésion (IPA), la mise en oeuvre du plan économique et d'investissement et des programmes verts et numériques déjà adoptés se poursuivra afin de renforcer l'économie et la résilience de la région des Balkans. Un nouveau train de 400 millions d'euros de subventions, correspondant à une valeur d'investissement total de 1,2 milliard d'euros, vient ainsi d'être approuvé pour financer douze nouveaux projets d'investissement.

Au plan politique et stratégique, l'UE et les dirigeants des Balkans occidentaux ont montré leur détermination à accélérer et à approfondir leur engagement, en accordant une attention particulière aux jeunes : ainsi, l'UE associe déjà progressivement ces partenaires à des programmes tels qu'Erasmus +, le corps européen de solidarité et l'initiative « universités européennes », en conformité avec l'approche plus progressive de l'intégration européenne, issue de la nouvelle méthodologie proposée par la France en 2020. Simple inflexion ou changement d'approche ? Il faudra l'apprécier pays par pays, au regard de ses progrès, chapitre par chapitre, chacun des 35 chapitres étant ouvert et clos sur décision du Conseil, soit 70 décisions par pays !

Au cours du sommet, les dirigeants de l'UE et des Balkans occidentaux ont fait le point sur les progrès accomplis en faveur de l'intégration des Balkans occidentaux au marché intérieur de l'Union européenne ; sur la libre circulation et la reconnaissance des documents d'identité pour tous les citoyens de la région ; sur la reconnaissance mutuelle des diplômes universitaires et des qualifications professionnelles dans la région ; sur la modernisation des systèmes de paiement des économies des Balkans occidentaux ; dans le domaine du numérique ; et dans la mise en oeuvre des voies réservées entre l'UE et les Balkans occidentaux, une initiative visant à faciliter la logistique transfrontalière et la continuité des flux de marchandises.

Les dirigeants se sont également félicités de l'accord signé entre les opérateurs de télécommunications en marge du sommet. Il en résultera une réduction des frais d'itinérance entre l'UE et les Balkans occidentaux en 2023, avant leur suppression totale en 2027. Cette avancée très concrète correspond à une attente forte des populations, qu'elles résident dans ces pays ou qu'elles fassent partie de leur diaspora européenne.

Enfin, la déclaration de Tirana souligne - en termes diplomatiques - que « la gestion des migrations reste un défi et une responsabilité communs ». En effet, les Balkans occidentaux ayant connu une augmentation substantielle des flux de migrants cette année, un traitement conjoint de la gestion des migrations est nécessaire. C'est pourquoi l'alignement sur la politique de l'UE en matière de visas et la coopération concernant les systèmes de retour sont, entre autres sujets, sur la table.

Sur ce point, un soutien financier important de l'UE permettra aux partenaires d'améliorer les régimes d'asile et d'accueil, de renforcer la protection des frontières, de lutter contre les réseaux de passeurs et les groupes criminels organisés et d'intensifier les retours des Balkans occidentaux vers les pays d'origine. Cette question demeure sensible.

Il en est de même de l'ambiguïté de la politique extérieure de la Serbie à l'égard de la Russie, dont elle dépend pour ses approvisionnements en gaz et aussi pour obtenir un soutien politique sur la question du Kosovo. La Serbie et la Russie pourraient avoir un intérêt commun à maintenir cette question du Kosovo à l'agenda politique de l'UE. Tant que celle-ci ne trouve pas de résolution effective, Belgrade joue un rôle central dans la région.

L'UE est fortement engagée dans son rôle de médiateur au Kosovo depuis plus d'une dizaine d'années. La mission Eulex (European Union Rule of Law Mission in Kosovo) est la plus grande mission civile jamais déployée par l'UE. Tant que cinq pays membres s'opposent à la reconnaissance du Kosovo, le dialogue arbitré par l'UE se maintient, mais ne progresse pas. Après l'affaire de la reconnaissance des plaques d'immatriculation cet été, un compromis avait été trouvé entre la Serbie et le Kosovo avant le sommet de Tirana, mais les affrontements ont repris ces derniers jours sur le terrain.

Des opposants à la reconnaissance du Kosovo, la Slovaquie et la Grèce, semblent infléchir quelque peu leurs positions depuis quelques années, la première assez timidement, la seconde plus franchement. La Roumanie campe sur la position « ni blocage, ni ouverture ». Chypre et l'Espagne demeurent tout à fait fermées, pour des raisons intérieures compréhensibles, mais qui ont peu à voir avec la situation du Kosovo. Le fait que le dialogue soit mené, au nom de l'UE, par d'anciens ministres des affaires étrangères de ces deux pays hostiles à sa reconnaissance, est très peu apprécié au Kosovo. Néanmoins, c'est cet État contesté qui va déposer très prochainement sa candidature à l'entrée dans l'UE.

La situation de la Bosnie-Herzégovine a été évoquée par Pascal Allizard à propos de la mission d'observation électorale (MOE), à laquelle j'ai participé pour le Conseil de l'Europe, aux côtés de notre collègue Claude Kern. La complexité du système d'organisation politique, hérité et imposé par les accords de Dayton de 1995, à l'issue de quatre années de guerre, et plus généralement l'état politique et social de ce pays, interrogent sur la décision que s'apprête à prendre le Conseil européen. Les élections générales d'octobre dernier en Bosnie n'ont pas marqué une inflexion majeure, malgré un frémissement vers un renouvellement et une aspiration à la modernisation et au progrès, compatibles avec l'ambition européenne.

Il est certain que la géopolitique prime : l'intérêt stratégique de l'UE pour un environnement stable et sûr dans son voisinage proche doit être, à cet égard, pris en considération. Et il est vrai que la décision relative à l'Ukraine et à la Moldavie a considérablement changé non seulement la perspective, mais la donne pour la Bosnie. Elle a précipité les encouragements de certains États membres, mais pas totalement vaincu les réticences de certains autres.

Il reste que la Constitution de la Bosnie-Herzégovine, annexée aux accords de Dayton, reconnaît la partition ethnique du pays, et la non-égalité entre ses citoyens. Ses trois principales composantes, Bosniaques, Croates et Serbes, paraissent de moins en moins unies. Et aucun des principaux partis ou des responsables politiques qui se sont présentés aux dernières élections n'a mentionné l'adhésion à l'UE comme objectif ou même comme élément central de son programme électoral.

J'ai observé les élections à Mostar, ville symbole, où il n'y en avait pas eu entre 2008 et 2020 pour les dernières élections municipales. Le coeur vivant de la démocratie, aussi imparfaite soit-elle, a repris ses pulsations, sous l'oeil vigilant des observateurs internationaux et des institutions comme le Conseil de l'Europe.

La reconnaissance de la candidature de ce pays à l'entrée dans l'Union serait un pari ; un pari risqué, au regard des progrès qu'il lui reste à accomplir pour rejoindre un modèle européen d'État de droit. Un pari qui pose la question du sens même de l'élargissement, sur lequel il serait sans doute utile, monsieur le président, que notre commission réfléchisse plus avant. L'adhésion de la Bosnie-Herzégovine, de la Serbie et du Kosovo mettrait-elle fin aux conflits qui les déchirent encore, sur les cendres de la guerre ? Transformerait-elle la paix qui y est « gelée », comme on a pu le dire de certains autres conflits, en paix froide, durable ? Le précédent chypriote semblait - ne l'oublions pas - justifier l'adhésion ultérieure de la Turquie, candidate depuis près d'un quart de siècle. Une chose est sûre : l'adhésion des pays des Balkans occidentaux n'attendra pas un quart de siècle.

C'est pourquoi il nous revient d'être lucides, réalistes, vigilants et d'appeler à un dialogue exigeant, afin que l'élargissement ne dénature pas l'Union européenne, mais contribue à porter durablement son message de paix et de prospérité dans un monde de plus en plus dangereux.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion