Intervention de Jean-François Rapin

Commission des affaires européennes — Réunion du 15 décembre 2022 à 8h30
Institutions européennes — Réunion plénière de la lxviii conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires cosac à prague du 13 au 15 novembre 2022 - communication

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin, président :

Pour finir notre réunion, je me propose de vous rendre compte de la dernière réunion plénière de la Cosac - elle rassemble pour rappel six parlementaires des commissions des affaires européennes de chaque parlement national, ainsi que six eurodéputés - qui s'est tenue à Prague du 13 au 15 novembre 2022. J'y ai participé avec nos collègues Didier Marie et Pierre Louault.

Elle comptait cinq sessions : la première était, comme le veut l'usage, consacrée à un premier bilan de la présidence tchèque de l'Union. Il a ensuite été question du futur de l'Europe, à la suite de l'aboutissement de la Conférence sur l'avenir de l'Europe - en présence de Othmar Karas, premier vice-président du Parlement européen, et de Vìra Jourová, vice-présidente de la Commission européenne -, puis de l'autonomie stratégique européenne, avec l'intervention de Maro efèoviè, également vice-président de la Commission européenne. Enfin, les deux dernières séquences ont été consacrées à l'Ukraine et à la perspective européenne pour les Balkans occidentaux et les pays du Partenariat oriental.

Un point important a concerné le fonctionnement des institutions européennes et la place qu'y tiennent les Parlements nationaux. La France ne préside plus le Conseil de l'Union, mais elle reste membre de la troïka présidentielle jusqu'au 31 décembre 2022.

À ce titre, j'ai été consulté par la présidence tchèque, comme le président Anglade, mon homologue de l'Assemblée nationale, sur le projet de contribution et de conclusions de la Cosac, avant la soumission de ces textes à l'assemblée plénière de la Cosac.

Nous avons eu la bonne surprise de constater que la présidence tchèque proposait d'y saluer les conclusions des groupes de travail que nous avions initiés et menés à bien sous présidence française, l'un sur l'État de droit et l'autre, que je présidais, sur le rôle des Parlements nationaux. Le texte demandait aussi à la Commission européenne de répondre aux propositions de ces groupes, sur lesquelles nous avions obtenu un consensus en juin dernier, sans toutefois que le Parlement européen accepte de s'y rallier.

Nous étions donc très satisfaits de ces textes. Après consultation de la troïka, la présidence tchèque les a pourtant revus très sensiblement : elle s'est alignée sur les demandes de modifications du Parlement européen, se contentant de saluer l'initiative de création des groupes de travail, et non plus leurs conclusions, et appelant les institutions européennes à seulement prendre note des travaux de ces groupes, au lieu d'y répondre. Or c'est bien une prise de position de ces institutions sur les propositions de ces groupes de travail que nous attendions.

Le groupe de travail sur les Parlements nationaux avait en effet abouti à des propositions très novatrices : octroi aux Parlements nationaux d'un droit d'initiative législative indirect, organisation de conférences interparlementaires ad hoc en amont de la présentation des principaux textes législatifs, inclusion d'un bref résumé des contributions des parlements nationaux dans les dispositions introductives des propositions législatives, ouverture aux présidents des commissions des affaires européennes des Parlements nationaux d'un droit d'accès aux documents des trilogues ou encore ouverture aux parlementaires nationaux et à la Cosac du droit d'adresser des questions écrites aux institutions européennes.

Si vous êtes, comme moi, convaincus que les Parlements nationaux, représentant les peuples qui forment l'Union, ont un rôle essentiel à jouer pour la rapprocher des citoyens et répondre à leurs préoccupations, vous comprendrez combien il m'a paru regrettable de voir le Parlement européen s'interposer avec autant de force et d'efficacité, pour éviter que ces propositions innovantes soient endossées par la Cosac, enceinte pourtant destinée à permettre une expression collective des Parlements nationaux de l'Union.

Le texte finalement adopté par la Cosac est donc très frileux, car nos amendements, balayés en réunion de troïka et redéposés en séance plénière, n'ont pas pu y être adoptés. Il faut reconnaître aussi que les règles de procédure en vigueur ne nous ont pas facilité la tâche : aux termes du règlement de la Cosac, il aurait fallu réunir une majorité des trois quarts sur nos amendements. Or seule une majorité simple des membres de la Cosac les a soutenus, ce qui était pourtant déjà une grande satisfaction.

Je dois donc vous faire part de ma déception sur le résultat de cette réunion de la Cosac, qui n'aura pas voulu faire fructifier les propositions que la présidence française nous avait permis de formuler pour renforcer le rôle des Parlements nationaux. Je constate néanmoins qu'elles ont déjà prospéré puisque la vice-présidente de la Commission, Vìra Jourová, s'y est référée lors d'une récente réunion interparlementaire à Bruxelles, à laquelle j'ai assisté.

La place des Parlements nationaux dans l'architecture institutionnelle européenne, même si elle est reconnue dans les traités, est loin d'être évidente dans les faits. Encore dernièrement, j'ai été invité, avec Gisèle Jourda, en notre qualité de représentants du Sénat français, à la cérémonie organisée le 2 décembre en clôture des travaux de la Conférence sur l'avenir de l'Europe. Or le programme de cette journée n'accordait qu'une place minime aux Parlements nationaux : un quart d'heure était prévu pour un retour d'expérience de la Cosac, partagé en outre avec le Comité européen des régions, le Comité économique et social européen, les partenaires sociaux et la société civile, quand quatre heures au total étaient consacrées à l'expression des représentants des institutions européennes et à leurs échanges avec les citoyens. J'ajoute que les Parlement nationaux n'ont été invités à la réunion du 2 décembre que lors de la Cosac - ils avaient été totalement occultés jusqu'alors -, après que des voix se sont élevées contre leur absence.

Cet épisode témoigne d'une bien maigre considération à l'égard des Parlements nationaux. C'est pourquoi j'ai écrit aux présidents des trois institutions - la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil - pour leur faire part de mon étonnement et décliner leur invitation.

J'ai la ferme conviction que les Parlements nationaux sont un rouage essentiel et irremplaçable de la démocratie européenne. Seuls à même de contrôler le Conseil, ils ont pour eux deux atouts majeurs, reconnus d'ailleurs par le traité comme devant présider à la prise de décision européenne : leur transparence et, surtout, leur proximité avec les citoyens, atouts sur lesquels l'Union européenne gagnerait à miser, à l'heure où elle fait face à des défis majeurs - guerre en Ukraine, réchauffement climatique, crise énergétique, pression migratoire, atteintes à l'État de droit, montée des nationalismes -, qui exigent des réponses concrètes sur le terrain.

Nous sommes tous collectivement responsables de l'avenir de l'Europe. Je considère que tenir les Parlements nationaux à l'écart de cette responsabilité est très dangereux pour l'avenir de l'Union.

Je tenais à vous tenir informés de cette situation. À l'approche de la période des voeux, nous espérons que la réflexion ouverte par la Conférence sur l'avenir de l'Europe conduira l'Union européenne à saisir sa chance pour devenir plus démocratique et ainsi conforter son avenir.

Ma conclusion est simple : si les institutions européennes ne comprennent pas et n'acceptent pas que les Parlements nationaux doivent participer à la construction européenne, elles seront balayées et écrasées par le nationalisme. Si l'on n'entend pas les gens sur leur vision de la construction européenne, nous courons à la catastrophe. La Cosac est aujourd'hui étouffée par le Parlement européen, alors qu'elle a été établie pour les Parlements nationaux. Si les choses continuent ainsi, la Cosac restera une belle endormie et les Parlements nationaux n'auront plus de place du tout dans la construction et l'élaboration des plans de l'Union européenne.

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