Intervention de Carole Zerbib

Mission d'information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement — Réunion du 9 juin 2021 à 16h35
Audition de Mme Carole Zerbib proviseure-adjointe du lycée voltaire paris et membre de l'exécutif du syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale snpden

Carole Zerbib, proviseure-adjointe du lycée Voltaire (Paris) et membre de l'exécutif du Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale (SNPDEN) :

Le phénomène du harcèlement scolaire et du cyberharcèlement s'est immiscé depuis de nombreuses années au sein de l'école. Les professionnels de l'éducation éprouvent une difficulté professionnelle et humaine lorsqu'un nouvel évènement de cet ordre est porté à leur connaissance. Dans les cas de harcèlement, nous sommes d'abord confrontés à la souffrance profonde de la victime, lycéen ou collégien et de sa famille, puis à la violence du harceleur, elle-même expression d'une autre souffrance qui doit, elle aussi, être prise en charge.

Par quels moyens les professionnels de l'éducation nationale peuvent-ils percevoir l'isolement d'un élève et les signes d'un mal-être ? Nous ne voyons pas toujours ce mal-être car nous n'avons pas toujours été formés à la détection de ce phénomène, dont les signes nous échappent de plus en plus en raison de l'évolution constante des moyens de communication numérique.

L'Unsa-éducation rassemble tous les métiers de l'éducation nationale. Cela nous permet de nourrir une réflexion riche. C'est en organisant et en exploitant la complémentarité de nos métiers que nous serons efficaces pour apporter une réponse à ce fléau. Aujourd'hui, la fédération Unsa-éducation souhaite mettre en lumière la nécessité d'intégrer la problématique du harcèlement dans une politique éducative plus globale sur le vivre-ensemble. Le besoin de formation de tous les personnels de l'éducation sur cette question et l'urgence de réfléchir à la coordination entre les corps de l'éducation nationale, ainsi qu'à l'articulation avec les partenaires extérieurs (santé, police, justice,...) est prégnant. Il est également nécessaire d'avoir une présence accrue des personnels des corps médicaux et psycho-sociaux dans les établissements scolaires.

Pour nous, le harcèlement a toujours existé. Ce qui est nouveau, c'est le cyberharcèlement, du fait des réseaux sociaux et des groupes de discussion. Notre ressenti, puisqu'on ne peut pas le mesurer, est que le harcèlement et le cyberharcèlement sont en augmentation. Il faudrait que les chefs d'établissement signalent systématiquement les situations de harcèlement, quelle qu'en soit la gravité, selon la procédure de signalement mise en place dans chaque académie. De manière générale, pour tout incident significatif, nous avons la possibilité de le signaler. Il faudrait que cela soit systématiquement fait pour les cas de harcèlement. Cela permettrait de quantifier le phénomène et d'avoir des données fiables.

Les réseaux sociaux et les groupes de discussion numériques sont de nouveaux usages de communication et d'échanges qui permettent, abrité derrière un écran, pour le ou les auteurs, l'utilisation d'un nouveau moyen technique d'expression du harcèlement. Les groupes de discussion permettent une expression à caractère plus large et plus efficace, qui ne se limite pas au temps de la récréation puisque ces échanges peuvent avoir lieu à n'importe quel moment de la journée ou de la nuit.

Avec les moyens numériques, il y a également un effet de dissémination : on peut harceler plusieurs personnes en même temps ou se faire harceler par plusieurs harceleurs. Enfin, sur internet, il est possible de harceler de manière anonyme avec la création d'un avatar. Des élèves viennent nous voir parce qu'on diffuse des vidéos, des photos d'eux, ou des insultes et des menaces, sans savoir qui en sont les auteurs. En contactant la police, nous pouvons essayer de savoir qui utilise cet avatar. Mais, selon la gravité des menaces ou des propos tenus, la police ne mène pas toujours cette enquête.

Pendant le confinement, les fils de discussion se sont généralisés dans les classes, via WhatsApp et Snapchat. Il n'est pas une classe qui n'ait pas son fil aujourd'hui. Cette utilisation existait avant le confinement, surtout au lycée. La nouveauté a été au collège, car les collégiens n'avaient pas l'habitude de ces fils de discussion. Les élèves ont découvert, par ces fils, la possibilité de harceler leurs camarades. La problématique de cyberharcèlement à la sortie du confinement était plus importante au collège.

En ce qui concerne le sondage de l'IFOP qui souligne le fait que près de deux tiers des enseignants ne se sentent pas armés pour faire face à une situation de harcèlement, le manque de formation des enseignants, mais aussi de tous les personnels qui travaillent dans les établissements scolaires auprès des élèves est à déplorer. On pourrait améliorer la formation des conseillers principaux d'éducation (CPE), des personnels de direction, de tous les personnels en contact des élèves, au cours d'une formation initiale et continue sur le harcèlement, ses formes, ses effets sur les victimes et sur les actions à mener. Plus largement, il faudrait renforcer leur formation dans la gestion de classe, en psychologie de l'adolescent et à l'entretien avec les élèves, afin de leur permettre de détecter les signaux d'une situation de harcèlement et une prise en charge efficace.

Les personnels doivent aussi connaître leurs obligations de fonctionnaires : ils ont l'obligation de dénoncer toute situation de harcèlement dont ils auraient connaissance afin de protéger les victimes.

Quel regard portons-nous sur les actions mises en place par le ministère de l'éducation nationale pour lutter contre ce phénomène ? Il y a certes des actions comme la journée de lutte contre le harcèlement, qui a lieu chaque année en novembre. Beaucoup d'acteurs trouvent que celle-ci a lieu un peu tôt dans l'année scolaire. Il existe également un numéro dédié. En effet, il a récemment été annoncé la mise en place d'un référent dans chaque établissement. Pour nous, ces actions sont insuffisantes. Il faudrait pouvoir agir en amont avec les élèves, leurs parents et les enseignants, avec une formation des personnels, mais aussi des parents : sensibiliser les parents, les familles aux bonnes pratiques numériques, ainsi qu'aux signaux d'alerte chez leurs enfants. La formation des élèves est également importante avec une sensibilisation au harcèlement. Plus largement, il faut travailler sur toutes les formes de discrimination (racisme, antisémitisme, handicap, LGBT), et l'égalité homme-femme, le droit à la différence, pour apprendre à respecter l'autre.

En cas de harcèlement dans un établissement scolaire, nous auditionnons dans un premier temps les élèves : la victime, le harceleur présumé, ainsi que les témoins, afin de caractériser - ou non - la situation de harcèlement. Nous convoquons les familles pour les informer de la situation. Si la situation de harcèlement a entraîné des violences graves, souvent nous conseillons à la famille de porter plainte. En outre, nous informons et échangeons avec nos partenaires : le professeur principal de la classe du ou des élèves, le conseiller principal d'éducation, l'infirmier, l'assistant social, et éventuellement le psychologue de l'éducation nationale. La sanction est prise en fonction de la gravité du harcèlement. Pour nous, la gravité dépend de la durée dans le temps des violences physiques, psychiques et verbales des menaces. La sanction peut aller jusqu'à la convocation d'un conseil de discipline, qui peut prononcer l'exclusion définitive d'un élève.

Dans une situation de harcèlement qui débute, souvent lorsque l'élève harceleur est convoqué par la direction, le harcèlement cesse. Si nous pouvons intervenir rapidement, nous avons remarqué que le harcèlement peut cesser rapidement.

Vous nous interrogiez sur le changement de classe. Nous n'y sommes pas opposés. Cela peut aider un élève à pouvoir suivre sa scolarité dans un autre environnement. L'élève peut manifester ce désir, car souvent la place d'un élève harcelé n'est pas facile à tenir au sein d'une classe. Mais une prise en charge des auteurs du harcèlement est nécessaire pour une prise de conscience et éviter la répétition. Or cette partie est souvent oubliée : on va traiter la situation de la victime, sans s'occuper des élèves harceleurs, au-delà de la sanction. Il ne va pas y avoir de travail avec eux, et avec la classe, pour éviter cette répétition. Souvent, les élèves harcelés demandent plutôt à changer d'établissement et pas de classe. C'est ce que j'ai pu observer en collège et lycée. Il est regrettable que ce soit la victime qui doive partir et non le harceleur.

La responsabilité de tout fonctionnaire peut être engagée si des faits graves ont été portés à la connaissance du personnel et qu'il n'a rien fait. Tout fonctionnaire a l'obligation d'agir lorsqu'il a connaissance d'une information préoccupante. Les obligations du chef d'établissement portent sur la sécurité des élèves et la responsabilité de l'ordre dans l'établissement. Ne pas agir serait un manquement grave à sa fonction.

L'arsenal juridique existant est-il suffisant pour faire face au harcèlement et cyberharcèlement ? Il y a bien un arsenal juridique qui caractérise les infractions de violences physiques ou verbales, les menaces, la diffamation, l'injure ainsi que les infractions en ligne.

Mais il n'existe pas de délit spécifique de harcèlement scolaire. Peut-être faudrait-il le créer ? Il pourrait également être utile de modifier le code de l'éducation, en affirmant le droit de tout élève à une scolarité sans harcèlement.

Les journées de lutte contre le harcèlement permettent de sensibiliser et de mener des actions. Mais force est de constater que peu d'établissements s'en emparent réellement. C'est l'éducation durable, tout au long de la scolarité et dès le plus jeune âge, qui permet de lutter durablement contre le harcèlement.

Le dispositif des élèves médiateurs est plutôt une bonne idée. L'éducation par les pairs est une dynamique positive et nous y croyons. Mais attention, toutefois à ne pas faire porter une charge morale trop lourde sur les élèves. Savoir être médiateur s'apprend. Nous devons former les élèves : il ne faudrait pas que leurs actions se retournent contre eux.

La formation des élèves aux usages raisonnés du numérique et à leurs dangers se fait surtout grâce à la collaboration de partenaires extérieures : des associations comme e-Enfance, Marion La main tendue ou Respect Zone. Au lycée, avec la création de la nouvelle matière sciences numériques et technologie (SNT) en seconde, cette formation est prévue dans le programme. Mais elle intervient trop tard dans la scolarité des élèves. Elle devrait commencer dès le collège, soit dès que les élèves sont en possession d'un téléphone portable, sont en possession d'un ordinateur et qu'ils ont un accès régulier à internet et aux réseaux sociaux. L'accès à ces outils numériques se fait de plus en plus jeune. Il est nécessaire que cette formation se fasse plus tôt.

Il faudrait intégrer cette thématique à un enseignement du primaire et du collège, adaptée à l'âge et à la compréhension de l'élève. L'éducation morale et civique pourrait s'en charger au collège.

Comment peut-on agir sur les témoins, actifs ou passifs, d'un harcèlement scolaire ? En les formant sur le repérage des signaux faibles, et pas seulement forts et en les sensibilisant sur la nécessité de signaler à un adulte de l'établissement toute situation de harcèlement.

Les enseignants sont suffisamment formés et outillés face à ce phénomène, y compris dans sa composante numérique ? Vous m'interrogiez notamment sur la fin des IUFM et l'impact qu'a pu avoir le transfert de la formation des enseignants aux INSPE. Je ne crois pas que ce transfert ait eu un impact. Cette formation a toujours été insuffisante, voire inexistante.

Les enseignants sont plutôt démunis lorsqu'ils sont confrontés à cette situation. Ils sont aussi démunis dans la perception des signes. C'est aussi dans la classe qu'une situation de harcèlement peut être perçue. La formation en INSPE doit prévoir un module de plusieurs heures sur le sujet, intégré dans le tronc commun de la formation. Ce ne serait pas une formation par discipline mais toutes disciplines confondues, y compris pour les CPE.

Les personnels de direction ne sont pas davantage formés que les enseignants mais la confrontation à des situations de harcèlement et la nécessité d'agir a impliqué le développement d'un mode opératoire et un travail d'équipe avec les partenaires internes à l'établissement (CPE, professeur principal, infirmier, assistant social, psychologue de l'éducation nationale).

Vous m'interrogiez sur la méthode de la préoccupation partagée. À titre personnel, je ne la connais pas. J'ai interrogé plusieurs collègues qui ne semblent pas non plus la connaître.

Les relations avec les infirmiers, médecins, assistants sociaux et psychologues de l'éducation nationale sont incontournables et précieuses dans ces situations.

On peut regretter qu'ils ne soient pas suffisamment nombreux dans les établissements scolaires. Les psychologues de l'éducation nationale sont plus présents dans les établissements dans des missions d'information et de conseil sur l'orientation, moins sur le volet psychologique.

Afin de proposer une prise en charge rapide des élèves, il serait bon que l'institution prévoie des moyens : un psychologue qui n'interviendrait que dans des situations de harcèlement, à la fois auprès de la victime et du harceleur, devrait être mis à disposition pour un bassin, un district ou une petite ville.

Nous faisons régulièrement appel à la police, à la gendarmerie et divers associations, qui sont nos partenaires réguliers.

Enfin, de manière générale dans la lutte contre le harcèlement et le cyberharcèlement, nous sommes confrontés à un manque de temps et d'expertise, mais aussi à la difficulté de recueillir des preuves, particulièrement lorsque le harcèlement est numérique, le manque de personnels dédiés et formés pouvant apporter leur aide ou encore le manque d'interlocuteurs spécialisés dans l'éducation, dans la gendarmerie ou la police.

Les numéros 30 18 et 30 20 ne sont ni suffisamment connus ni systématiquement affichés dans les établissements. Ce sont pourtant des numéros utiles. Une affiche pourrait être obligatoirement placée sur les portes des CPE, de l'assistante sociale, de l'infirmière et de la direction.

Parmi les actions intéressantes que j'ai eu l'occasion de connaître, je signale le théâtre forum qui me paraît efficace. Le spectacle peut être fait par des professionnels, mais peut aussi être réalisé en partenariat avec des élèves. Il peut également y avoir des échanges dans les classes à partir de vidéos. La circulation de la parole peut impliquer l'élève dans sa réflexion. C'est toujours plus efficace, avec les élèves, lorsque la formation n'est pas descendante.

Enfin, il nous semble indispensable de former les enfants, leurs parents, et d'instituer des référents police et gendarmerie pour chaque école et établissement.

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