Intervention de Alain Milon

Mission d'information situation psychiatrie mineurs en France — Réunion du 1er février 2017 à 15h10
Audition du professeur christian müller psychiatre président de la conférence nationale des présidents de commissions médicales d'établissements cme de centres hospitaliers spécialisés chs en psychiatrie

Photo de Alain MilonAlain Milon, président :

Mes chers collègues, je pense qu'il n'est pas utile de vous présenter le docteur Müller qui est au coeur des débats sur l'organisation de la prise en charge psychiatrique depuis maintenant plusieurs années. Sans plus attendre, je vais lui céder la parole pour un propos introductif à l'issue duquel notre rapporteur puis les sénateurs présents lui poseront toutes les questions qu'ils souhaitent. Je rappelle au docteur Müller que cette audition est ouverte au public, à la presse et qu'elle fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise sur le site du Sénat.

Dr Christian Müller, psychiatre, président de la Conférence nationale des présidents de commissions médicales d'établissements (CME) de centres hospitaliers spécialisés (CHS) en psychiatrie. - Merci beaucoup de l'intérêt que vous portez à cette question qui est d'une très grande importance humaine. Je tiens à le dire parce que même s'il y a eu toute une série de rapports remis récemment sur le sujet, la situation de la psychiatrie infanto-juvénile est absolument exemplaire de ce que vit la psychiatrie aujourd'hui. On arrive à l'acmé d'une évolution qui nécessite à mon sens d'être aujourd'hui repensée.

Pourquoi ? Parce que c'est quasiment aujourd'hui de manière caricaturale la négation sinon le déni de la pathologie, qui a conduit à des impasses cliniques et organisationnelles lourdes de conséquences. Il est difficile pour certains de concevoir aujourd'hui que la maladie mentale existe - pas seulement d'ailleurs de la part des acteurs sociaux mais aussi de bon nombres d'autres acteurs et je ne suis pas sûr qu'on ait évolué dans la connaissance fine, de la part de la population, des problématiques de psychiatrie et de santé mentale.

C'est tout à fait étonnant car, historiquement, les équipes de pédopsychiatrie se sont engagées très tôt et de manière volontariste dans un travail pluridisciplinaire et territorial. Il ne faut pas oublier que les premiers à avoir mis en place la territorialisation sont les pédopsychiatres et ils en ont une expérience tout à fait importante.

Le centre de gravité de la psychiatrie infanto-juvénile n'a d'ailleurs jamais été l'hôpital. L'expérience acquise par les équipes est absolument considérable. Je pense qu'on est devant l'exemple même de la pertinence de la psychiatrie de secteur au regard de la continuité des soins. C'est un besoin tellement important. L'enfant, peut-être plus que les autres, a besoin d'une continuité psychique. C'est-à-dire que l'interchangeabilité des acteurs est pour lui absolument délétère. Aujourd'hui, si l'on s'attache à la question de la pédopsychiatrie, on comprendra mieux pourquoi cette interchangeabilité, qui existe dans les autres disciplines mais qui n'a pas le même impact, ne doit pas se retrouver pour la pédopsychiatrie - ni d'ailleurs pour la psychiatrie générale.

Donc l'interchangeabilité des soignants, qui conditionne l'effet thérapeutique, doit être faible.

Il faut avoir conscience de ce que sont les besoins primaires de l'enfant en termes de protection psychique, de sécurité et de prévisibilité des situations. Tout ce qui est aujourd'hui rupture, négligence, violence, ce sont des réalités extrêmement importantes. Les conséquences possibles en sont la survenue d'états dépressifs, de troubles de la vigilance, du langage, des conduites, du comportement, de dysharmonies évolutives, de déficiences intellectuelles et surtout de troubles de la parentalité. Je pense d'ailleurs qu'il faut avoir un regard d'emblée soucieux de ce que serait un soutien à la parentalité. Certains parlent d'école de la parentalité, je ne sais pas si le terme convient.

Quelques éléments quantitatifs sur l'ampleur des maltraitances : 100 000 cas connus dans notre pays aujourd'hui d'enfants en danger, c'est-à-dire 10 % de plus qu'il y a dix ans. On recense 19 000 enfants victimes de maltraitance. 80 000 enfants sont dans des situations à risques, dont 45 % ont moins de six ans. 15 % des Français disent avoir été maltraités pendant leur enfance et 60 % n'en ont parlé à personne. Et parmi ceux qui se sont exprimés, 64 % n'ont pas été aidés. Deux enfants meurent en France chaque jour de violences infligées par des adultes. En général ce sont des parents.

Ces chiffres sur la maltraitance vous montrent l'ampleur du sujet et son importance. Ce ne sont pas des enfants virtuels, théoriques. En se penchant sur ce sujet, on travaille pour l'avenir. Mais ce n'est pas dans le laps de temps d'un mandat qu'on résoudra les difficultés en matière de pédopsychiatrie...

Du côté de la psychiatrie publique, 600 000 enfants sont suivis actuellement dans plus de 300 secteurs de psychiatrie infanto-juvénile. On note une augmentation de 7 % par an de la file active de patients. L'âge moyen de la patientèle se réduit, peut-être parce qu'il y a beaucoup de travaux aujourd'hui sur la psychiatrie du bébé et sur l'attachement.

Parallèlement, on constate un effondrement démographie des pédopsychiatres qui constitue à mon sens une urgence républicaine : comment va-t-on faire dans les territoires pour assurer l'accès aux soins à nos concitoyens ? On manque également d'éducateurs, d'orthophonistes...

Face à ce constat, que faudrait-il mettre en place ? Je vais vous faire cinq ou six préconisations.

Premier point : il faut renforcer, en pédopsychiatrie, les actions de dépistage et de prise en charge thérapeutique des environnements à hauts risques, trop souvent traités de manière exclusivement sociale ou judiciaire. Le dépistage n'est pas suffisant. Il suscite l'espoir, il faut qu'il y ait des soins derrière. C'est la question du parcours de soins et de santé. Il faut aussi reconnaître que l'organisation dans certains endroits de la pédopsychiatrie s'est calquée sur une temporalité plus scolaire que sanitaire, ce qui est un problème. Il faut qu'il soit question d'une disponibilité sanitaire : 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. La psychose infantile ne s'arrête pas le week-end.

Il faut faire attention à ce que la logique de spécialisation ne porte pas atteinte à l'approche globale et à la polyvalence des équipes et des dispositifs au risque d'une fragmentation délétère de leur capacité thérapeutique. Je suis favorable aux centres de ressources et de référence mais à force de spécifier, il ne reste plus rien pour les équipes de secteur et les enfants malades se retrouvent en Belgique.

Deuxième élément : l'importance d'intégrer l'abord clinique et psychopathologique des distorsions relationnelles entre parents et enfants, éclairé notamment par des travaux modernes sur l'attachement. À cet égard, la prise en charge des enfants de deux ou trois ans est bien moins investie et couverte désormais que celle des bébés.

La promotion des actions partenariales de prévention doit être réalisée dans les pratiques des équipes par des actions, directes ou médiatisées, en direction des professionnels comme de la collectivité.

Il faut en outre organiser une pédopsychiatrie de liaison avec les services de la protection de l'enfance, comme elle existe déjà auprès des services de pédiatrie.

Il faut reconnaître la spécificité du travail en pédopsychiatrie qui nécessite du temps. Ce n'est pas la même temporalité que dans d'autres disciplines. Il faut renforcer les liens fonctionnels avec le champ médicosocial, le champ social, scolaire et éducatif. Il faut faciliter la mise en place de groupes thérapeutiques mixtes, le partage d'expériences, autrement dit aller vers davantage d'intégration et de prévention. Chacun s'y retrouvera en termes de métier : les pédopsychiatres ne sont pas des assistants sociaux...

Troisième point extrêmement important : il est nécessaire de rétablir l'accessibilité aux soins, actuellement asphyxiée par une inflation de demandes. Il faut aménager, au niveau des CMP, des modalités de gestion de file active prenant en compte l'organisation différenciée des réponses à l'urgence et aux situations non programmées. C'est aussi poursuivre l'amélioration du dispositif public de sectorisation encore trop souvent sous-équipé pour mettre en oeuvre ses missions de prévention et de soins.

Quatrièmement, l'accès aux soins d'une population en grande souffrance et en carences sévères doit être garanti, notamment en soutenant les CMP, leur répartition territoriale et leurs moyens. Le nombre des CMP est à peu près constant mais il y a eu des réorganisations, avec des fusions de CMP. Or le CMP est vraiment un pivot territorial.

Il est nécessaire de remédier aux carences constatées quant aux possibilités de soins à temps complet en pédopsychiatre dont le bien-fondé doit être réaffirmé comme temps de soins nécessaire non seulement pour les adolescents (dont l'évolution est parfois chaotique) mais aussi pour les plus jeunes qui n'ont connu que discontinuité et carences. Pour eux, l'hospitalisation peut être pour la première fois le moment propice à l'établissement de liens dans un cadre fiable. Les capacités d'hospitalisation pour les enfants et les adolescents doivent correspondre aux besoins, tant pour les enfants que pour les adolescents. Des lits peu nombreux mais à proximité d'un plateau technique, souvent intersectoriel, et dédiés par exemple aux adolescents, doivent être maintenus.

Des exemples d'hôpitaux de jour pour des prises en charge de courte durée d'adolescents sont en activité et donnent satisfaction dans la période post-urgence. Il y a une expérience remarquable à Poitiers, où l'hôpital de jour intervient juste après les tentatives de suicide d'adolescent. 95 % des adolescents suicidaires aux urgences sont pris en charge à l'hôpital de jour, très rapidement. Les services de pédiatrie aujourd'hui, il faut le reconnaître, ont aussi leurs limites. Ils peuvent proposer un accueil de qualité pour certains enfants suivis par l'équipe de pédopsychiatrie mais ils n'ont pas vocation à assurer l'hospitalisation à temps complet de toutes les pathologies pédopsychiatriques, d'autant qu'ils connaissent eux aussi une réduction de leurs capacités hospitalières.

Le tout ambulatoire a des limites, même si la plupart de notre travail est ambulatoire. L'absence de lit n'est pas un critère de modernité. La fermeture des lits a des limites. Aujourd'hui, nous sommes à peu près à une stabilisation du nombre de lits, il ne faut surtout pas le réduire.

Quels sont les points d'appui pour améliorer la situation ? La loi de modernisation du système de santé nous donne un point d'appui dans son article 69 qui prévoit le projet territorial de santé mentale. Le projet territorial de santé mentale doit indiquer des orientations sur la prise en charge en pédopsychiatrie et l'articulation avec les autres acteurs. La psychiatrie peut prendre en charge globalement mais elle ne peut pas tout faire. Il faut que les responsabilités du champ de la psychiatrie d'une part, du champ social et médicosocial d'autre part, soient clairement délimitées.

Le projet territorial de santé mentale permet des projets d'association avec le médicosocial et le social.

Les communautés psychiatriques sont aussi un point d'appui important car elles seront, je l'espère, d'une taille territoriale adaptée - pour peu que les acteurs veuillent bien s'en saisir. Elles permettent de travailler avec les acteurs du médicosocial et du social. Les contrats territoriaux de santé mentale pour les établissements devraient intégrer quasi systématiquement une dimension de pédopsychiatrie et de psychiatrie infanto-juvénile. Tout ce que j'ai dit tout à l'heure ne peut se décliner que dans une vision territoriale au plus proche et en faisant confiance aux acteurs. Ces derniers, d'une manière générale, savent à peu près ce qui est nécessaire.

Dernier point d'appui : le comité de pilotage de la psychiatrie installé le 13 janvier par la direction générale de l'offre de soins. Il est là pour proposer une orientation générale pour notre discipline. Je pense qu'il faut harmoniser une politique de santé mentale.

Pour terminer, je voudrais faire deux focus.

Le premier sur la formation. Selon Pierre Thomas, le président du conseil national des universités en psychiatrie (CNUP), on ne peut pas s'étonner de la situation de la pédopsychiatrie quand on sait qu'il existe actuellement sept facultés de médecine en France sans compétence d'universitaires en pédopsychiatrie. On est en droit de se poser la question, dans ces conditions, de la qualité des formations en la matière pour l'avenir, mais aussi de l'attractivité future de la carrière. Il y a des endroits où les professeurs sont dans le CHU, les internes dans les villes alentour : l'encadrement est alors assez faible. Et vous imaginez la situation outre-mer. Il y a un vrai problème. La reconnaissance d'une discipline et d'une spécialisation qu'est la pédopsychiatrie passe bien sûr aussi par les universitaires.

Second focus sur le divorce entre les familles d'enfants autistes et les professionnels de pédopsychiatrie. Il constitue une situation contre-nature alors que l'alliance thérapeutique devrait être la règle. Nous appelions déjà en 2013 à « la restauration d'un dialogue confiant et constructif avec les associations de familles, sans complaisance et sans démagogie mais attentif aux préoccupations du quotidien des parents ». Nous savons l'existence de travaux en cours à la Haute Autorité de santé et nous souhaitons nous associer à toute démarche utile pour retrouver les conditions d'échanges mutuels en confiance entre les familles et les professionnels.

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