Madame la professeure, votre audition aujourd'hui nous permet d'aborder un thème particulièrement important, celui de la recherche en matière de psychiatrie des mineurs et de son application clinique. Je rappelle, qu'en plus de vos activités hospitalo-universitaires, vous êtes la directrice de la fondation FondaMental qui promeut la recherche et gère des centres experts en matière de diagnostics. Nos précédentes auditions ont souligné le manque de recherche dans le domaine de la psychiatrie des mineurs et le manque de traduction de cette recherche dans les pratiques cliniques. On nous a par ailleurs indiqué que poser un diagnostic précoce ne sert à rien si les prises en charge ne sont pas accessibles immédiatement. Nous souhaitons donc échanger avec vous sur ces points. Je vous cède la parole pour un propos introductif à l'issue duquel notre rapporteur et les sénateurs membres de la mission d'information vous poseront des questions.
Pr Marion Leboyer, directrice de la fondation FondaMental et responsable de la recherche à l'Hôpital Chenevier-Mondor de Créteil. - e souhaite préciser en préambule que je suis une psychiatre d'adultes ; je ne prends pas en charge de mineurs. Mais qui est mineur devient majeur, donc susceptible d'être pris en charge par des psychiatres d'adultes.
Je rappelle que les maladies mentales sont un enjeu majeur de santé publique, qui concerne 38 % de la population européenne. Je ne peux pas vous dire les chiffres en France car il n'y a malheureusement pas de recherche en épidémiologie ; nous ne disposons pas de chiffres, à la différence de tous les pays européens et anglo-saxons.
Les maladies mentales représentent un problème de santé publique sur le plan de la fréquence et sur le plan du coût. Nous avons présenté au Sénat, en 2012, la première étude de coût (direct et indirect) des maladies mentales qui s'élève à 109 milliards d'euros. Il n'a sûrement pas diminué depuis. À l'horizon 2020, l'OMS prévoit que les maladies mentales seront la première cause mondiale de handicap.
Cette situation grave serait pour partie évitable si l'on soutenait la recherche. On sait aujourd'hui que la psychiatrie, comme les autres disciplines médicales mais probablement plus que les autres, a besoin d'innovation : dans la compréhension de ces pathologies, dans le développement de marqueurs diagnostics, et dans les stratégies thérapeutiques innovantes, toutes choses que la France est parfaitement placée pour faire. Or, aujourd'hui elle est en queue de peloton des pays européens : nous ne consacrons que 2 % du budget de la recherche biomédicale à la recherche en psychiatrie. C'est d'autant plus scandaleux que la London School of Economics a démontré que c'est en psychiatrie que le retour sur investissement de la recherche biomédicale est le plus important. Il y a vraiment un manque de reconnaissance et de prise en compte des besoins d'innovation. Or l'innovation, en diminuant la fréquence et les conséquences de la maladie mentale, rapporterait au pays.
Cette situation est encore plus criante pour la pédopsychiatrie. Je suppose que vous avez dû entendre à ce micro que le nombre de cas d'autisme recensés est passé de 1 pour 5 000 dans les années 1970 à 1 pour 12 au dernier recensement. Comme d'habitude, on ne dispose pas de chiffres en France, en l'absence d'étude épidémiologique.
Quelles sont les causes de cette augmentation de prévalence ?
Probablement le déploiement de systèmes diagnostiques. Nos consultations et nos centres experts sont envahis de demandes de bilan diagnostique qui ne sont pas réalisés par le système de soins classique. Sur le centre Asperger que je dirige à Créteil, le nombre de consultations a augmenté l'an passé de 2 500 %. Aujourd'hui, le délai d'attente pour obtenir un bilan diagnostique est de trois ans, ce qui est inadmissible pour un pays développé.
Cette augmentation des cas d'autisme dans le monde est également certainement liée à des facteurs environnementaux qu'on ne sait pas identifier. Une série d'études en cours, par exemple à Harvard, supposent ou recherchent l'impact de polluants, de pesticides et de toute une série de facteurs de risques environnementaux. Certains sont périnataux.
Des études scandinaves ont mis en lumière l'augmentation du risque de développer une série de pathologies psychiatriques qui apparaissent précocement (autisme, schizophrénie, troubles bipolaires) en cas de survenue d'infection virale pendant le premier trimestre et infection bactérienne pendant le second trimestre de la grossesse.
La prise de certains médicaments (Valproat par exemple) augmente également l'incidence d'autisme. Cela est connu depuis très longtemps. C'est probablement vrai d'autres psychotropes. L'information est très en retard en France. Les maladies auto-immunes sont également en cause.
L'information doit donc être correctement dispensée, à la fois au grand public et aux médecins. Il existe un énorme problème de qualité de la formation dans notre pays, qui touche à la fois des jeunes médecins et des professions paramédicales tels que les psychologues, les orthophonistes, les infirmières. Vous avez dit tout à l'heure que la recherche avait fait des progrès mais que l'impact sur le plan de la prise en charge des mineurs laissait à désirer. C'est en grande partie parce que les exigences de formation sont insuffisantes.
Pour conclure sur les grands enjeux de santé pour la psychiatrie des mineurs, je souhaite évoquer plusieurs points.
Comme toujours en France il y a des clivages.
Quand on atteint l'âge de la majorité et qu'on a été suivi par des services de psychiatrie pour enfants, la transition, le suivi, la continuité des soins ne se font pas. Il y a une rupture entre la pédopsychiatrie et la psychiatrie d'adultes, avec une série de clivages : idéologique mais aussi maintenue par l'organisation des soins. Il y a la pédopsychiatrie d'un côté et la psychiatrie d'adulte de l'autre, et entre les deux, cette zone d'ombre qui s'appelle l'adolescence et pour laquelle l'organisation des soins est très floue. Les maisons des adolescents ne sont pas coordonnées et n'ont pas toutes le même fonctionnement, ce qui augmente l'inégalité de l'accès aux soins.
Beaucoup de pays ont imaginé, pour remédier à ce clivage entre psychiatrie de l'enfant et de l'adulte, des services de psychiatrie conjuguant de la pédopsychiatrie, un service de psychiatrie de l'adolescent, un service de psychiatrie de l'adulte et un service de géronto-psychiatrie. Cela permet une vraie continuité et une meilleure circulation des informations.
Un autre clivage existe entre le MCO (médecine-chirurgie-obstétrique) et la psychiatrie. Il est à l'origine d'une catastrophe sanitaire puisque les malades psychiatriques ont plus souvent que les autres des maladies somatiques non prises en charge. Ils n'ont pas de généraliste, pas d'accès aux spécialistes des maladies auto-immunes ni aux diabétologues. Leur espérance de vie est réduite de vingt ans du fait de cette absence de prise en charge somatique.
Ensuite, les moyens pour la recherche en psychiatrie sont insuffisants, probablement encore plus encore en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Qui dit absence de recherche dit absence d'innovation, donc absence d'accès à l'innovation, ce qui nous amène au troisième enjeu : la formation.
Ou plus précisément à l'absence de formation. En France, on n'exige pas des jeunes psychiatres en formation qu'ils lisent, qu'ils écrivent, qu'ils publient. Certaines exigences internationales ne sont pas respectées. Les psychologues ne sont pas formés à l'utilisation d'outils thérapeutiques : remédiation cognitive, la psycho éducation, thérapies cognitivo-comportementales Même si l'on prescrit ces stratégies thérapeutiques, elles demeurent inaccessibles pour les patients.
Des outils existent pour pallier ces dysfonctionnements, comme la e-santé, mais encore faut-il qu'on ait les moyens de les déployer. C'est ce que nous souhaitons faire dans l'institut de médecine personnalisée en psychiatrie à Créteil, que nous voulons créer. Il permettrait de promouvoir l'innovation diagnostique et de déployer la médecine personnalisée. Un patient n'a pas le même âge qu'un autre, n'a pas la même histoire, n'a pas les mêmes facteurs de risques, n'a pas le même besoin de prise en charge et on a absolument besoin, comme on le fait pour le cancer ou pour les maladies cardiovasculaires, d'une évaluation complète qui conduise à un temps et à une prise en charge personnalisée. C'est vrai pour les mineurs comme pour les majeurs et ça n'existe pas en France aujourd'hui.