Vous avez parlé des manques en matière de recherche. Quels sont les tabous français qui conduisent à cette situation de parent pauvre en matière de recherche, en particulier en épidémiologie ?
Les lois récentes concernant la santé (loi HPST de 2009 ou plus récemment la loi de modernisation de la santé de 2016) ont-elles apporté une amélioration en matière de prise en charge du fait psychique ?
Vous avez parlé de la Dépakine mais aussi des maladies inflammatoires du premier ou du deuxième trimestre de grossesse ; où en est l'état des recherches médicales ?
Comment améliorer le parcours de soins ?
Pensez-vous que la distinction entre neurologie et psychiatrie est toujours d'actualité ou faut-il revenir aux neuropsychiatres d'antan ?
Pr Marion Leboyer. - Le manque de recherche touche absolument tous les domaines de la psychiatrie, pas uniquement l'épidémiologie. Pourtant, les maladies mentales sont des maladies comme les autres qui ont besoin de développement d'outils de compréhension Il s'agit de recherches en neurosciences, en immunologie, en imagerie cérébrale, de développement de modèles animaux, de développement de bio-marqueurs. On a besoin d'avoir accès aux plateformes de métabolomique, de protéomique, de génomique, d'immunologie. Ça implique la construction de bio-banques.
Or, la psychiatrie n'a pas accès aux réseaux des CIC par exemple, ce qui est totalement scandaleux. Je passe mon temps à supplier mes collègues d'avoir accès à toutes ces infrastructures. La psychiatrie est toujours reléguée, considérée comme le parent pauvre qui n'a pas accès à tout cela alors même que les neurologues y ont accès très facilement. Nous, psychiatres, n'avons accès ni aux financements ni aux infrastructures. Le législateur pourrait se saisir de ce sujet car sans une vraie volonté de donner des moyens et accès aux infrastructures existantes, on n'y arrivera pas.
Pensez-vous vraiment que cela relève du champ de la loi ? Si tel est le cas, il faut effectivement s'en saisir et ce sera l'une de nos toutes premières préconisations.
Pr Marion Leboyer. - Je vous le demande. Les maladies mentales sont des maladies comme les autres qui ont besoin d'innovation et qui peuvent bénéficier, comme dans tous les pays développés, de tous les outils auxquels ont accès les autres spécialistes. On a besoin d'accès aux biobanques, à toutes les plateformes biologiques, à l'imagerie cérébrale, aux grands outils de calculs. Le législateur doit dire que la psychiatrie est un enjeu majeur de santé publique, que la situation s'aggrave et que ça devient une priorité. Tant que ce ne sera pas perçu comme une priorité de santé publique, qui coûte extrêmement cher à la société et à l'État et qui fait que des mineurs malades vont devenir des majeurs malades qui vont se transformer en patients chroniques et résistants et seront pris en charge à l'hôpital, alors qu'on peut faire de la prévention, du dépistage, de l'identification de facteurs de risques environnementaux, il n'y a aucune raison que ça s'arrête. C'est toujours la recherche qui porte l'innovation en médecine. Il y a besoin d'un acte fort qui dise qu'au même titre que les autres disciplines, la psychiatrie a besoin de recherche. En épidémiologie pour chiffrer et pour calculer les besoins de santé, pour identifier les facteurs de risques environnementaux ; en big data pour améliorer la stratification des patients. Et on a besoin d'innovations thérapeutiques. J'ai construit plusieurs projets, afin de développer la e-santé, les compléments alimentaires, la transplantation, qui ne trouvent pas de financement. Nous n'obtenons pas de moyens, ni publics ni privés, pour développer des essais thérapeutiques.