Intervention de Alain Milon

Mission d'information situation psychiatrie mineurs en France — Réunion du 1er février 2017 à 15h10
Audition du professeur marion leboyer directrice de la fondation fondamental et responsable de la recherche à l'hôpital chenevier-mondor de créteil

Photo de Alain MilonAlain Milon, président :

Mais il y a eu des plans « santé mentale »...

Pr Marion Leboyer. - Oui, mais sans un centime pour la recherche ! Ces pathologies ne sont toujours pas considérées par les décideurs de ce pays comme étant des maladies comme les autres, qui ont besoin comme les autres d'innovations, à la fois du privé et du public.

Le privé pose aussi problème : l'incitation des industriels à se rendre compte qu'il y a de la production de valeur en travaillant sur les maladies mentales est inexistante. Et je ne parle pas que de l'industrie pharmaceutique ; cela concerne aussi l'industrie du numérique, l'industrie des outils connectés, l'industrie des compléments alimentaires. Il y a vraiment une richesse possible déployée vers la prévention et vers des outils de diagnostic précoce. Comme toujours, si la France ne le fait pas, les pays alentours vont le faire. De nouveau, nos concitoyens n'auront pas le droit d'avoir accès à toutes ces innovations.

La fondation FondaMental a apporté une modernisation du système de santé dirigée vers des stratégies de déploiement de la prévention. Je n'ai jamais vu ces termes-là portés par aucune loi.

De quoi a-t-on besoin en termes de prévention ? On a besoin d'être capables d'identifier des facteurs de risques, qu'ils soient génétiques, familiaux ou environnementaux, de manière à pouvoir empêcher l'apparition de la maladie. Cela pourrait se traduire dans les faits et dans des recommandations. L'Australie, qui s'est fait l'apôtre de la médecine de prévention chez les très jeunes, a transformé ses soins chez les sujets à risques à l'initiative du Gouvernement ; cela s'avère extrêmement efficace .

La prévention secondaire consiste à réduire le temps entre l'apparition de la maladie, le diagnostic et la prise en charge d'une pathologie. Aujourd'hui en France, il y a un intervalle de temps inadmissible entre le début d'une maladie et son diagnostic.

Je reprends l'exemple des autistes de haut niveau : la pathologie commence avant l'âge de trois ans, or je vois des patients qui ont 70 ans et qui n'ont jamais été diagnostiqués. Ils ont fait de hautes études, sont polytechniciens ou normaliens, mais sont au ban de la société. Ils ne bénéficient d'aucune prise en charge médicale ni sociale, ni d'aide à l'insertion professionnelle, et vivent de façon absolument scandaleuse avec une série de pathologies psychiatriques et somatiques qui vont venir compliquer l'évolution de leur pathologie. On rencontre cette situation pour des autistes de haut niveau, certains schizophrènes, des personnes bipolaires, qu'on continue à diagnostiquer trop tard.

La prévention secondaire est particulièrement importante pour les mineurs puisqu'une grande partie des pathologies d'adultes commence entre 15 et 25 ans. C'est l'âge auquel tous les efforts devraient être faits pour offrir, dès l'apparition des premiers symptômes un bilan diagnostic complet, des recommandations thérapeutiques et un parcours de soins psychiatrique et somatique digne de ce nom. Si le médecin généraliste, qui est en général en première ligne, suggère à un jeune d'aller consulter un psychiatre, le patient prend généralement ses jambes à son cou. Il faut former les généralistes et les spécialistes et leur donner accès à des outils en ligne qui permettent de faire des diagnostics plus rapidement.

La prévention tertiaire consiste à réduire la survenue du handicap en déployant des stratégies thérapeutiques personnalisées : médicament adapté, prise en charge des comorbidités somatiques. La première cause de mortalité chez les schizophrènes et les bipolaires sont les maladies cardiovasculaires. Cela est inadmissible et constitue, d'une certaine manière, une non-assistance à personne en danger.

Il faut déployer des thérapeutiques dites psychosociales, très spécialisées ; elles ne sont ni prescrites ni accessibles puisque les psychologues qui devraient être formés à ces stratégies sont trop peu nombreux. Par exemple, quand on prescrit des séances de rééducation des habiletés sociales à un autiste de haut niveau, qui lui permettraient d'avoir une insertion sociale de bonne qualité et une vie professionnelle correcte, ce type de stratégie n'est pas disponible. Idem quand on cherche des équipes pour les coacher pour qu'il améliore son insertion professionnelle : l'offre n'est pas disponible sur l'ensemble du territoire. En raison de l'augmentation de prévalence, il faut développer cette offre pour permettre la prévention du handicap.

Tout ça, je ne l'ai jamais vu dans aucun texte de loi.

Troisième point sur les inflammations. C'est l'un des sujets qui est le plus porteur d'espoir aujourd'hui pour mieux comprendre ces pathologies, pour déployer des bio marqueurs diagnostics, pour stratifier les patients en sous-groupes et surtout, pour développer des stratégies thérapeutiques innovantes. Nous ne bénéficions pas d'un centime de financement sur ce sujet ; on a pourtant été l'une des premières équipes à l'identifier. C'est un domaine extrêmement innovant et précurseur.

Quel est le modèle qui sous-tend cette hypothèse dysimmunitaire dans quasiment toutes les pathologies psychiatriques ? C'est l'hypothèse qui est au coeur d'interactions entre un terrain immunogénétique et des facteurs de risques environnementaux. Ces patients seraient porteurs d'un terrain génétique qui les rendrait incapables de se défendre face à certains facteurs de risques environnementaux. Il peut s'agir d'infections pendant la grossesse ou au cours de la vie, d'expositions à des facteurs environnementaux, de stress sévères ayant des conséquences inflammatoires. Cela va déclencher une cascade immuno-inflammatoire qui peut se déclencher in utero puis se déployer pendant toute la vie et avoir des conséquences au niveau du système nerveux central, au niveau périphérique et au niveau digestif.

Il est donc nécessaire d'identifier des bio marqueurs diagnostics et de développer des thérapeutiques. Il y a plusieurs pistes thérapeutiques extrêmement innovantes pour lesquels nous aimerions beaucoup avoir les moyens d'effectuer des essais thérapeutiques : le test de traitement immuno modulateur, le développement de compléments alimentaires, des techniques de stimulation du nerf vague et les thérapies cellulaires. Cela suppose qu'on soit capable de stratifier les patients sur la base de signatures clinico biologiques : on identifierait ainsi au sein de la très grande hétérogénéité de ces pathologies, celles qui pourraient bénéficier de ces stratégies thérapeutiques.

Je vous donne trois exemples.

Dans le domaine de l'autisme, on a vraiment besoin de thérapeutiques innovantes puisqu'il n'existe pas de thérapeutique aujourd'hui. On a déposé à plusieurs reprises, depuis dix ans et à la demande des associations de patients, trois projets. Le premier porte sur le développement d'essais thérapeutiques grâce à des antibiotiques. Il y a plus d'un millier d'enfants suivis par un généraliste qui ont démontré, de façon non randomisée, que l'adjonction de traitements antibiotiques pendant de longues durées permettait d'observer des régressions extrêmement impressionnantes des tableaux autistiques. Je n'arrive pas à trouver les moyens de faire financer cette étude.

Deuxième espoir, la voie des probiotiques et de la transplantation. On a plusieurs projets écrits et prêts à démarrer demain matin, mais pas de financement.

La troisième voie, plus innovante, est celle de l'utilisation des thérapies cellulaires qui ne sont pas très dangereuses et permettraient de faire un reset du système immunitaire.

Plusieurs études ont déjà démarré sur ces trois domaines aux États-Unis et ont des résultats très encourageants. Là encore, ce sont des Français qui proposent ce type d'études mais ils n'ont pas les moyens de les réaliser.

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