Pensez-vous que ces programmes dont il est question dans la littérature anglo-saxonne puissent être employés en France, dans la mesure où notre pays n'a pas forcément la même culture en matière de psychiatrie ?
Pr Diane Purper-Ouakil. - Pour les avoir utilisés successivement à Paris et Montpellier, je pense que ces programmes sont « exportables ». Le succès rencontré et la demande des familles sont extrêmement forts. Il existe désormais des dérivés de ce type d'approche, que nous utilisons au centre hospitalier universitaire de Montpellier et qui ne sont d'ailleurs pas nécessairement anglo-saxons. Nous travaillons aussi avec l'université de Tel-Aviv qui a développé d'autres types de programmes. L'expérimentation et les données de recherche sont suffisantes pour tester l'applicabilité de ces dispositifs dans nos populations globales. Les parents sont pleinement parties prenantes.
Je souhaiterais terminer en soulignant que la recherche demeure déficitaire dans notre spécialité. Nous manquons d'infrastructures et de laboratoires s'occupant de recherches en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent ou en psychologie du développement et suffisamment rattachés aux services de psychiatrie. Dans le champ des neurosciences, le développement est très important. Là aussi, les ressources sont encore insuffisantes.
Professeur Jacques Dayan, vice-président de l'Association internationale pour la santé mentale du bébé (WAIMH France). - Je m'exprime ici surtout en tant que représentant de l'association internationale de psychiatrie du bébé. Cette discipline est particulière dans la psychiatrie des mineurs pour plusieurs raisons. D'une part, elle s'adresse à un être sans langage et crée un nouveau paradigme dans les pratiques de psychiatrie. D'autre part, elle ne peut être conçue sans les parents et constitue ainsi une psychiatrie de l'interaction. On n'est pas forcément en présence d'un malade tout en ayant un trouble des interactions. Troisièmement, elle ne peut être conçue qu'en articulation avec d'autres intervenants dans une logique collective car elle fait appel à des compétences multiples. Il est nécessaire d'accorder le travail respectif de chacun.
Cela est d'autant plus important qu'il s'agit d'une psychiatrie développementale. Les premiers temps de développement de l'enfant, qui nait précocement par rapport à d'autres espèces, sont ceux d'une croissance neuronale extraordinaire impliquant la création de millions de synapses à la minute et en interaction avec l'environnement. Nous avons cependant du mal à prendre en compte cet environnement car il faut faire appel pour la recherche à des outils artificiels, comme la vidéo ou des enregistrements.
Dans la pratique, cela a des conséquences importantes. Le terme de précocité peut se comprendre de deux façons. D'un côté, dans le cadre d'une pathologie, des signes précoces peuvent par exemple annoncer une éventuelle schizophrénie. De l'autre côté, se pose la question des signes précoces dans le développement. C'est le sujet qui nous intéresse. Or il existe une psychiatrie des mineurs assez classique, qui concerne les troubles développés par un enfant, liés soit à une charge génétique, congénitale ou organique importante, soit à des interactions pathologiques. Dans ce dernier cas, l'enfant ne présente pas encore de troubles, ce sont les interactions qui sont troublées. Si l'on considère la psychopathologie en général, de nombreux troubles relèvent de l'interaction avec l'environnement. Il s'agit le plus souvent de troubles du comportement ou de troubles internalisés, des troubles anxieux ou autres.
Il existe une spécialité avec laquelle la psychiatrie des mineurs, et donc la psychiatrie infanto-juvénile, ont du mal à se développer et pour laquelle il y a une certaine résistance des pouvoirs publics, c'est la psychiatrie périnatale. Celle-ci est totalement intégrante et doit être intégrée, en particulier sur le thème de la précocité, à la psychiatrie des enfants.
La psychiatrie du bébé prend en charge les troubles maternels susceptibles de générer des troubles du développement chez un enfant qui se porte encore bien. Fait partie de la psychiatrie infantile la dyade mère-bébé ou père-bébé, voire donneur de soins-bébé, dans une pathologie qui n'est pas encore affirmée et dont on espère qu'elle ne s'affirmera pas. D'après la littérature scientifique, de 12 à 15 % des mères présentent des troubles, avec une dépression ou une souffrance néonatale avec des impacts potentiels sur le bébé, dans les domaines affectifs, cognitifs et même moteurs. Or il existe en France une grande pénurie de moyens, avec une unité mère-bébé dans une région sur deux. Le taux de suicide maternel est très élevé. L'Inserm ne pas prend en compte la mortalité maternelle d'origine psychiatrique, ce qui fausse quelque peu la réflexion nationale. Les besoins sont d'autant plus importants qu'il s'agit d'une psychiatrie développementale et qu'il convient d'intervenir lorsque la dyade est malade mais avant que l'enfant lui-même ne soit malade.
A mon sens, nous constatons à la fois une progression et une régression des prises en charge et des connaissances. La progression des connaissances est basée sur la mise en évidence d'un certain nombre de troubles parentaux et de leurs répercussions. La prise en charge de ces troubles parentaux nécessite la diffusion de connaissances dans le public. Cependant, en général, les personnes concernées savent ce qu'elles doivent faire mais en sont mentalement incapables, du fait de la dépression. Une telle situation nécessite des soins particuliers que doivent prodiguer des thérapeutes qui devraient bénéficier d'une double formation en psychiatrie de l'adulte et infantile, ainsi que de nouveaux moyens.
Les éléments de régression portent sur la collaboration avec les services sociaux. Après la Seconde Guerre mondiale, les travaux relatifs à la théorie de l'attachement ont conduit à la révision du travail dans les pouponnières qui étaient jusqu'alors des lieux iatrogènes avant de devenir des lieux d'aides. Or à nouveau depuis l'application de la loi de 2007 sur la protection de l'enfance, on assiste à une régression très importante en ce qui concerne la prise en charge des mères. En effet, celles-ci sont très facilement jugées comme maltraitantes ou incompétentes et elles font face au regard d'une véritable police des familles. Une formation en psychopathologie et en développement des travailleurs sociaux s'impose afin de garantir le respect de ces mères qui reste un élément-clé pour le soin. Enfin, outre la prise en compte de ces nouveaux besoins, il est essentiel d'assurer l'intégration des parents à la psychiatrie des mineurs.
La loi du 5 mars 2007, qui avait pourtant été bien accueillie et demandée par les professionnels, que ce soit des secteurs sanitaire, social ou encore médico-social, vous semble-t-elle générer, dans les pratiques, des effets pervers ? Sa mise en oeuvre a-t-elle finalement conduit à stigmatiser les mères ?
Pr Jacques Dayan. - C'est bien ce que j'ai dit. Comme la formation, notamment celle des travailleurs sociaux qui est lacunaire, la prévention de la maltraitance des enfants va s'accompagner du déni de ce que représente le trouble mental, en particulier le trouble mental aigu. Je mets à part la schizophrénie. Or ces troubles aigus sont curables. Dans la crainte extrême d'une maltraitance d'un enfant, on juge les compétences des parents à un moment où ils vont mal et où leur niveau de performance est abaissé par leurs troubles. Alors même que ces personnes ont besoin d'un soutien destiné à leur redonner l'estime d'elles-mêmes, elles sont jugées et mises en difficulté. De fait, on constate des implicites sociaux car c'est d'autant plus vrai pour une mère déprimée qui se trouve en situation de précarité. Il faut donc accroître les efforts en matière de formation comme vient de le souligner ma collègue, rappeler clairement la place de chacun et les raisons pour lesquelles et le moment où il faut s'adresser à la pédopsychiatrie.
La loi de 2007 prévoit l'entretien du quatrième mois qui est en général conduit par une sage-femme.
Pr Jacques Dayan. - Notre association s'est penchée sur les effets de cet entretien du quatrième mois. Très schématiquement, nous avons constaté que les effets attendus étaient bien au rendez-vous lorsque les sages-femmes étaient bien formées ou étaient en lien avec les psychopathologues. A l'inverse, leur manque de formation pouvait induire des effets délétères.